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La gestion du processus de mondialisation
L'ONU AU XXIe SIÈCLE


Par Carlos Lopes

Dans son Rapport de 1999 sur le développement humain, le Programme des Nations Unies pour le développement souligne les facteurs qui caractérisent l'ère de la mondialisation : la réduction du temps et de l'espace ainsi que la disparition des frontières. Ce processus lie la vie des gens de manière plus étroite, plus intense et plus immédiate. L'intégration de l'économie n'est pas seule en jeu — il y a aussi la culture, la technologie et la gouvernance.

Dans sa forme actuelle, la mondialisation présente un défi universel — un défi non seulement pour chaque pays, mais aussi pour les institutions de gouvernance mondiale. Le phénomène est là et aucun pays, ni aucune institution ne peut y échapper. Mais, à mon avis, la question essentielle réside sur la manière de gérer le processus. Il nous faut donc nous interroger sur les différentes formes de réglementation, tant au niveau national qu'au niveau mondial.

Au niveau national, il est nécessaire de s'interroger sur les diverses formes politiques, économiques et socioculturelles de la réglementation, de discuter des systèmes politiques de gouvernance. La démocratie est-elle compatible avec les défis que pose la mondialisation ? Par exemple, la libre circulation des flux financiers amène à s'interroger sur les nouveaux aspects des marchés financiers autoréglementés qui n'impliquent pas les États.

Pour ce qui est des formes économiques de la réglementation, il faut nous interroger sur le rôle de l'État et des politiques commerciales "adéquates". Le rôle de l'État est passé de celui d'un acteur productif à celui de facilitateur et, en matière de réglementation, le rôle des gouvernements est devenu de plus en plus important. Cependant, dans certains cas, ce changement a eu pour conséquence de susciter la crainte de perdre le contrôle. Le pouvoir économique n'est plus associé aussi étroitement au pouvoir politique. De nouveaux acteurs du secteur privé apparaissent sur la scène, phénomène incontestablement nouveau. De surcroît, le tour de vis fiscal, si souvent associé à la mondialisation, est une contrainte pour les sociétés.

En ce qui concerne les politiques commerciales, il faut que les pays trouvent un équilibre entre le protectionnisme et la libéralisation du commerce. Cependant, les formes de protectionnisme sont beaucoup plus sophistiquées que par le passé. L'échec de Seattle a illustré la complexité de l'ordre du jour de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Dans ce jeu de haute voltige, le succès d'un pays dépendra de la manière dont un État utilisera les options qui sont à sa disposition.

Pour ce qui est des formes socioculturelles de la réglementation, nous devons nous interroger, par exemple, sur les aspects culturels de certains produits et sur la manière dont nous appréhendons les nouvelles technologies de l'information.

Au niveau mondial, nous devons nous interroger sur les structures actuelles de gouvernance, telles que les agences des Nations Unies, les institutions de Bretton Woods et l'OMC. Les anciennes structures, dont les Nations Unies, étaient, et sont toujours, souvent considérées démesurées, réactives, rigides et lentes. Elles ont joué un rôle important dans le passé mais semblent, actuellement, dépassées par le rythme du changement. De nouveaux acteurs, tels que le Forum économique mondial, le G-8, les organisations non gouvernementales et les médias, sont apparus sur la scène et se sont emparés du pouvoir dont étaient investies les anciennes structures. Et ils sont rapides, plus proactifs, plus efficaces et plus souples.

Ce phénomène nouveau ne signifie pas que les Nations Unies et les anciennes structures ont perdu leur raison d'être — loin de là. Mais il est nécessaire que les Nations Unies réexaminent certains aspects de leurs mandats, de leurs fonctions et de leurs responsabilités. Premièrement, le débat sur la gouvernance, qui se concentre principalement sur les questions concernant la croissance économique et la stabilité financière — la nouvelle architecture financière, est actuellement trop limité.

En outre, il est encore beaucoup trop déséquilibré, le G-7 dominant les discussions. Il est nécessaire d'y inclure les pays en développement. Les Nations Unies ont un rôle à jouer en ce sens car elles peuvent aider à élargir le débat, qu'il s'agisse des questions à examiner ou des contributions. Or, pour ce faire, elles doivent avoir la capacité d'examiner les questions fondamentales de la gouvernance économique et politique. La première étape est de rétablir son rôle dans la question du développement.

Deuxièmement, il est impératif de prendre en compte les points de vue de la société civile. Actuellement, les gouvernements de ses États Membres forment la structure de base des Nations Unies. Cependant, l'Organisation intensifie ses efforts pour inclure les points de vue de la société civile dans les divers débats sur le développement. Les manifestations qui ont eu lieu récemment à Seattle et à Washington nous ont fait prendre conscience de la complexité des questions abordées et de la nécessité d'une plus grande transparence dans la prise de décisions de la part des institutions mondiales. Mais, à mon avis, contrairement aux appels des manifestants à Washington, le défi n'est pas de "casser la banque" ou de "définancer les fonds". Il s'agit plutôt de trouver des règles et de renforcer les institutions de gouvernance mondiale afin de préserver les avantages des marchés mondiaux et de la concurrence, et de faire en sorte qu'elles répondent aux besoins des gens et non pas seulement aux intérêts des entreprises.

Troisièmement, il faut que les Nations Unies tirent profit des opportunités créées par les nouvelles technologies. La vitesse à laquelle les nouvelles technologies de communication se développent est ahurissante. Toutes les heures, 70 000 nouveaux sites sont créés. Le nombre de visiteurs sur Internet double tous les trois mois. À l'ère de la mondialisation, l'information est synonyme de pouvoir. Malheureusement, la majorité de la population mondiale n'y a pas accès. Les nouvelles technologies créent non seulement un fossé entre ceux qui sont branchés et ceux qui ne le sont pas mais aussi entre ceux qui détiennent les connaissances et ceux qui n'y ont pas accès. Or, les Nations Unies peuvent jouer un rôle déterminant. Nous avons déjà vu, avec les ONG, comment de petits acteurs peuvent se faire entendre par le biais d'Internet. Les accès de groupes peuvent créer d'énormes opportunités dans les pays en développement. À cet égard, les Nations Unies doivent créer de nouveaux partenariats avec le secteur privé.

Par exemple, la collaboration du PNUD avec Cisco Systems et l'industrie des loisirs a permis de créer NetAid. NetAid se sert d'Internet dans la lutte contre la pauvreté en donnant aux internautes la possibilité de prendre des moyens d'action directs pour y remédier, en donnant aux organisations engagées dans la lutte de nouveaux outils et de nouvelles connexions à des millions de sympathisants potentiels en ligne et en offrant aux communautés l'accès à de nouvelles ressources et opportunités afin de partager les fruits de la révolution informatique. Et cela marche. Pendant son lancement, le 19 octobre 1999, le site NetAid a enregistré plus de 40 millions de visiteurs venant de 160 pays. À la fin de janvier 2000, la fondation Netaid.org avait reç des dons s'élevant à 12 millions de dollars afin de venir en aide aux communautés vivant dans la pauvreté extrême.

La raison d'être des Nations Unies n'a pas disparu avec la mondialisation et l'entrée de nouveaux acteurs sur la scène internationale. Au contraire, le besoin d'une gouvernance mondiale est probablement plus fort que jamais. Mais, il faut "dégraisser" l'ONU et chacune de ses agences pour qu'elles soient des organisations "moins larges et plus agressives". Nous devons être plus souples, plus efficaces et plus proactifs dans nos opérations, à chaque niveau et à chaque étape. En outre, dans la gouvernance mondiale, il faut renforcer nos partenariats avec d'autres acteurs, tels que les institutions de Bretton Woods, l'OMC, la société civile et le secteur privé. Pour que cela puisse se faire, nous devons puiser dans les nouvelles opportunités que nous offrent les nouvelles technologies. Alors, la réduction du temps et de l'espace ne seront plus des obstacles dans cette nouvelle ère de la mondialisation.



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Carlos Lopes est Administrateur assistant adjoint et Directeur adjoint du Bureau des politiques de développement, PNUD.

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