Chronique | Logo

L'INTERVIEW de Chronique ONU


Suite de la page précédente

Les agents humanitaires sont de plus en plus souvent menacés et agressés. Que pensez-vous que l'on puisse faire pour garantir plus efficacement leur sécurité ?

Je pense que l'on ne trouvera pas la réponse dans une démarche purement militaire. Notre expérience nous montre que cela ne marche pas, c'est simple. Le recours à des véhicules blindés ou à des escortes armées, ou l'application de protocoles de sécurité très stricts, n'ont pas beaucoup d'effets et peuvent accroître en fait les risques parce que l'on devient davantage une cible. Pour nous donc, la principale façon d'accroître la sécurité de notre personnel, qu'il s'agisse d'agents expatriés ou recrutés sur place, repose sur quatre principes. Le premier est la clarté - clarté dans ce que nous faisons sur le terrain de façon à ce que l'action humanitaire soit évidente pour ceux qui en bénéficient, pour les populations en danger avec lesquelle nous travaillons, et pour les parties belligérantes. Le deuxième principe est la proximité - plus on est près des gens et des communautés avec lesquels on travaille, plus on a de contacts, plus on noue des liens et des rapports amicaux avec les gens des régions où nous intervenons, et plus on comprend une situation particulière et mieux on saisit les risques courus. Le troisième principe est la transparence - nous devons agir dans la transparence absolue et ne pas tomber dans le piège du secret par souci de sécurité. Je sais que certaines sociétés ont offert à MSF des logiciels d'encryptage qui nous permettraient d'encrypter nos communications et données, de façon à ce qu'elles ne puissent pas être lues si elles étaient volées. Mais je suis persuadé que la simple utilisation de systèmes de ce genre augmente les soupçons, et une augmentation des soupçons se traduit par une augmentation des risques. Enfin, le quatrième et dernier principe est simplement la vigilance - vigilance vis à vis de la situation, vigilance sur le terrain, savoir que les situations peuvent évoluer, savoir que des risques peuvent apparaître, les surveiller, et réagir ensuite de manière appropriée, en utilisant la proximité, la transparence et la clarté de notre programme.

La technologie, dans le domaine des communications en particulier, a progressé de manière incroyable depuis la fondation de MSF. Quels effets cela a-t-il eus sur vos activités et l'assistance humanitaire en général ?

Vous savez, au début des années 70 par exemple, on acheminait les rapports de programmes d'Afghanistan jusqu'au Pakistan à dos d'âne ou par courrier du Soudan à Paris. Et puis au milieu des années 80, les télécopieurs sont arrivés. Cela a fait une grosse différence. Puis, ce fut au tour de la technologie du téléphone par satellite. Le coût du transport aérien, pour le fret comme pour les passagers, a considérablement baissé. Il est incontestable que ces changements technologiques ont eu un énorme impact sur la vitesse à laquelle nous pouvons aborder les problèmes, à la fois lors d'une crise grave et pour la gestion au jour le jour. Et maintenant, bien sûr, avec Internet, on est en contact virtuel en ligne avec n'importe quel programme sur le terrain lorsque les agents peuvent se brancher sur Internet. Mais la technologie n'a pas modifié notre mission de base, ni nos intentions de base et nous ne sommes pas esclaves de la technologie. Il existe par exemple maintenant toutes sortes de nouveaux véhicules formidables que l'on peut utiliser sur le terrain, mais l'un des gros problèmes, c'est que ces véhicules tout terrain de luxe posent un problème de sécurité parce que les gens veulent les voler. Alors, en certains endroits, nous utilisons de vieux véhicules et de vieux équipements moins séduisants et moins susceptibles d'être attaqués. Même chose pour les équipements de communication. Si vous vous servez des sytèmes de relais de technologie par satellite les plus sophistiqués, vous aggravez les risques. Et les gens peuvent s'interroger, se demander pourquoi vous avez un tel équipement dans cette situation. Voilà pourquoi, en fonction de la situation, nous utilisons la technologie la plus rudimentaire possible pour accomplir notre tâche. Il nous arrive de nous servir de simple radios HF ou de talkies-walkies, ou de technologie peu sophistiquée pour communiquer.

Face au terrible bilan du VIH/sida et autres maladies dans certaines régions, votre organisation a lancé une campagne visant à fournir les médicaments essentiels. En quoi consiste-t-elle et quels sont les progrès accomplis ?

La campagne a essentiellement pour but d'élargir l'accès à des médicaments qui sauvent la vie. On découvre par exemple qu'à Nairobi, on demande souvent aux parents des malades d'une méningite liée au sida de les ramener avec eux pour qu'ils meurent chez eux parce qu'ils ne peuvent pas se payer la fluconazole, le médicament qui permet de lutter contre la maladie. A Nairobi, ce médicament coûte 20 dollars; en Tha•lande, le même coûte 70 cents.

La différence s'explique par le fait que le médicament est protégé par une licence d'exploitation au Kenya et qu'il est illégal de l'importer dans le pays - il s'agit d'un monopole exclusif accordé en fait au producteur au Kenya. Il s'agit là d'un simple exemple. On voit le même genre de problèmes avec les médicaments contre la tuberculose, avec les médicaments contre le sida lui-même, avec les médicaments contre la maladie du sommeil et contre la maladie de Chagas.

En fait, il y a vraiment deux points essentiels : ou bien les médicaments ne sont pas accessibles parce que la licence d'exploitation les rend hors de prix, ou bien ils existent mais alors ils ne sont pas fabriqués pour les maladies tropicales, en grande partie parce que les fabricants affirment que ce n'est pas financièrement viable et que les marges bénéficiaires ne sont pas suffisamment élevées. Et il n'existe pratiquement pas de nouvelles recherches ou développement concernant des médicaments de base contre des maladies transmissibles à l'échelle mondiale et contre des maladies essentiellement tropicales. Plus précisément, au cours des 30 dernières années environ, plus de 1 200 nouveaux médicaments ont été mis au point. Sur ce total, 11 seulement ont un rapport avec les maladies tropicales et 7 de ces derniers ont été développés grâce à la recherche vétérinaire ou militaire. Quatre seulement ont été mis au point par l'industrie pharmaceutique mondiale. On peut donc se poser toute une série de questions : comment faire baisser le prix des médicaments actuels et les rendre donc plus accessibles ? Comment produire des médicaments qui existent déjà, mais dont le marché affirme qu'ils ne sont financièrement pas viables ? Et comment peut-on accroître les recherches et le développement de médicaments de base pour les maladies transmissibles à l'échelle mondiale et les maladies essentiellement tropicales ? La campagne que nous avons lancée vise à aborder ces problèmes.

Notre campagne sera pratique et organisée sur le modèle d'un groupe de pression parce que nous cherchons par exemple à mettre en place une procédure d'achat des médicaments contre la tuberculose qui résiste à de multiples thérapies. Ces médicaments coûtent actuellement entre 5 et 10 000 dollars par patient, ce qui est inabordable. Nous cherchons donc à offrir un traitement à un coût dix fois moins cher, entre 500 et 1 000 dollars par patient. Dans le cadre de cette initiative, nous nous efforçons de mettre sur pied un partenariat avec l'Organisation mondiale de la santé, d'autres ONG et l'industrie pharmaceutique.

Quels sont les plus grands défis que devra relever la communauté de l'assistance humanitaire à l'aube du siècle nouveau ?

Le plus grand défi est le même que celui que nous avons relevé dans le passé : répondre à la dignité des peuples en crise et le faire de manière à soulager leurs souffrances, à reconnaître leur dignité d'êtres humains, et à reconnaître leur droit à déterminer leur propre avenir.


Page précédente
de l'article

Veuillez imprimer
cette version
de l'article

Vos réactions


Accueil
Dans ce numéro
Archives
Abonnez-vous
Vos réactions

Accueil || Dans ce numéro || Archives || Abonnez-vous || Vos réactions

Créez un signet pour le site de la Chronique: http://www.un.org/french/pubs/chronique
Et vous pouvez adresser un courrier électronique: unchronicle@un.org
Site de la Chronique en anglais: http://www.un.org/Pubs/chronicle


Chronique ONU: Copyright © 1997-2000 Nations Unies.
Tous droits réservés pour tous pays.
Les articles de ce numéro peuvent être reproduits dans un but éducatif.
Cependant aucune partie ne peut en être reproduite dans un but commercial
sans l'autorisation expresse par écrit du Secrétaire du Conseil des publications,
Bureau L-382C, Nations Unies, New York, NY 10017, Etats-Unis d'Amérique.