I. Nouveau siècle, nouveaux défis |
1. L'arrivée du nouveau millénaire est à la fois l'occasion de se réjouir et de réfléchir.
2. Lorsque les 12 coups de minuit ont retenti, le 31 décembre dernier, la planète a bel et bien célébré l'an 2000, heure après heure, d'est en ouest, de Kiribati et Fidji jusqu'à Samoa. Même ceux pour qui cette date ne revêtait aucune signification particulière ont participé à la fête : la Grande Muraille de Chine et les pyramides de Gizeh n'étaient pas moins illuminées que la place de la Nativité à Bethléem ou la place Saint-Pierre à Rome. Tokyo, Jakarta et New Delhi, tout comme Sydney, Moscou, Paris, New York, Rio de Janeiro et des centaines d'autres villes de par le monde, ont accueilli le nouveau millénaire avec faste. De Spitzberg en Norvège, à Robben Island en Afrique du Sud, des enfants au visage radieux ont suivi l'événement. Pendant 24 heures, l'humanité entière a célébré son unité en affichant sa riche diversité.
3. Le Sommet du millénaire est l'occasion de faire le point. Si l'Assemblée générale a convoqué cette réunion de chefs d'État et de gouvernement, c'est pour qu'ils se penchent sur le rôle que l'Organisation des Nations Unies est appelée à jouer au XXIe siècle. Cela exige que l'on prenne du recul et que l'on examine l'état du monde et la place de l'Organisation, à plus long terme et dans une perspective plus vaste.
4. Les motifs de satisfaction ne manquent pas : en général, nous pouvons espérer vivre plus longtemps que nos parents et, a fortiori, que nos lointains ancêtres. Par comparaison, nous sommes mieux nourris, en meilleure santé, plus instruits et nos perspectives d'avenir sont globalement plus favorables.
5. Tout est loin d'être parfait, cependant. Le siècle qui s'achève a été ponctué de conflits sanglants. La misère la plus noire côtoie l'opulence la plus extravagante et des inégalités criantes persistent, tant au sein des pays qu'entre les pays. Les maladies, anciennes et nouvelles, risquent de compromettre des progrès accomplis à grand-peine. La biosphère, dont dépend notre survie à tous, subit les attaques et les outrages de l'activité humaine.
6. Les habitants de la planète attendent de leurs dirigeants, quand ils se réuniront pour le Sommet du millénaire, qu'ils identifient les grands problèmes du monde et agissent pour y remédier.
7. L'Organisation des Nations Unies peut contribuer à résoudre ces problèmes. Encore faut-il que nous soyons fermement résolus à mener à bien notre mission commune. Nous devons nous pénétrer de la raison d'être de l'Organisation, nous rappeler pourquoi elle a été créée et pour qui elle existe. Nous devons aussi nous demander quelle organisation les dirigeants du monde sont prêts à soutenir, en actes aussi bien qu'en paroles. Des réponses claires à ces questions sont nécessaires si nous voulons revitaliser notre action et la recentrer sur les tâches auxquelles il nous faudra nous atteler au cours des prochaines décennies. Ce sont précisément ces réponses que le Sommet du millénaire devra apporter.
8. L'Organisation des Nations Unies existe bien sûr pour servir ses États Membres. Unique en son genre, elle rassemble tous les pays du monde et son action touche pratiquement à tous les aspects de l'activité humaine. Ces caractéristiques en font un lieu privilégié pour échanger des informations, conduire des négociations, élaborer des normes, exprimer des aspirations, orienter la conduite des États et d'autres partenaires, et mettre en oeuvre des plans d'action communs. Nous devons veiller à ce que l'Organisation s'acquitte de ces tâches aussi efficacement que possible.
9. L'Organisation des Nations Unies est pourtant bien plus qu'un simple outil. Comme le proclame la Charte, elle a été créée pour améliorer les relations internationales en y appliquant de nouveaux principes. En son Article premier, la Charte énonce les buts de l'Organisation : régler les différends par des moyens pacifiques; réaliser la coopération internationale pour résoudre les problèmes d'ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire; encourager le respect des principes de la justice et du droit international. En d'autres termes, outre les tâches pratiques qu'elle est appelée à exécuter, l'Organisation se propose de transformer les relations entre les États ainsi que la conduite des affaires mondiales.
10. Il y a plus. Bien que l'ONU soit une organisation d'États, la Charte est écrite au nom des peuples (« Nous, peuples... »). Proclamant sa foi dans la dignité et la valeur de l'être humain, les droits de l'homme et l'égalité entre les sexes, elle affirme aussi son attachement au progrès social, c'est-à-dire à l'instauration de meilleures conditions de vie, dans une liberté plus grande, à l'abri de la peur et du besoin. En dernière analyse, l'Organisation des Nations Unies existe pour répondre aux besoins et aux espoirs des peuples du monde.
11. Pendant les premières 45 années de son existence, prise dans l'étau de la guerre froide, l'Organisation a été empêchée de remplir certaines missions essentielles mais a découvert d'autres tâches tout aussi importantes. Depuis 10 ans, elle est exposée aux turbulences d'une ère nouvelle, excellant dans certains domaines, échouant dans d'autres. Le Sommet du millénaire offre aux dirigeants de la planète une occasion unique de remodeler l'Organisation à l'image du siècle qui s'amorce, d'en faire un véritable instrument de changement capable d'améliorer la vie des gens dans le monde entier.
12. L'objet du présent rapport, que je soumets à l'attention des États Membres, est d'alimenter la réflexion et de stimuler le débat. Il aborde certains des problèmes les plus pressants auxquels les peuples du monde doivent faire face et qui relèvent de la compétence de l'Organisation, propose aux États Membres des priorités à envisager et contient des recommandations sur les mesures qui pourraient être prises lors du Sommet pour faire renaître l'espoir et changer la vie.
13. Toutes ces propositions s'inscrivent dans le contexte de la mondialisation, qui transforme radicalement notre monde en ce début de XXIe siècle. Aujourd'hui, les actions des uns ont immanquablement des répercussions, parfois accidentelles, sur la vie des autres, même s'ils vivent à des milliers de kilomètres. Si la mondialisation offre de formidables perspectives, jusqu'à présent, ses bénéfices ont été très inégalement répartis tandis que son coût est supporté par tous.
14. Au lieu de faire des milliards de laissés pour compte, la mondialisation doit devenir une force positive pour tous les peuples du monde : c'est là notre plus grand défi. Pour profiter à tout un chacun, elle doit certes s'appuyer sur les dynamiques du marché mais elle doit aller bien au-delà. Elle doit nous servir à bâtir ensemble un avenir meilleur pour l'humanité entière, dans toute sa diversité.
15. Il nous faut donc sortir des sentiers battus et repenser les moyens de gérer notre action commune et de servir l'intérêt général. Aucun État ne peut espérer venir à bout à lui seul de la plupart des problèmes auxquels nous devons faire face aujourd'hui. Pour mieux gouverner au niveau national et mieux gouverner ensemble au niveau international, il faut des États forts dotés d'institutions efficaces. Mais il faut aussi adapter aux nouvelles réalités de l'époque les institutions internationales, au travers desquelles les États gouvernent ensemble. Nous devons former des alliances pour le changement, non seulement avec les représentants officiels, qui sont nos interlocuteurs habituels, mais aussi avec les partenaires les plus divers.
16. Le plus important, c'est que l'être humain soit au centre de tout ce que nous faisons. Il n'est pas d'aspiration plus noble, pas de responsabilité plus impérieuse que d'aider, dans le monde entier, des hommes, des femmes et des enfants à vivre mieux. Ce n'est que lorsque chacun pourra jouir de ses fruits que la mondialisation aura réalisé tout son potentiel.
17. Mais il ne suffit pas d'évoquer l'avenir, il faut dès
à présent se mettre à le forger. Puisse le Sommet
du millénaire être l'occasion pour les États Membres
de renouveler leur engagement à l'égard de l'Organisation
et de ce que doit être sa mission. Et puissent les dirigeants de
la planète témoigner de leur bonne foi en donnant immédiatement
suite aux engagements pris.