Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée
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Durban, Afrique du Sud
31 Août – 7 septembre 2001
DR/D/18
2 septembre 2001

Séance plénière
matin

LA CONFERENCE DE DURBAN DOIT DEMEURER VIGILANTE FACE AUX NOUVEAUX VECTEURS DE
RACISME QUE PEUVENT CONSTITUER LES NOUVELLES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION

La Conférence mondiale contre le racisme a poursuivi ce matin son débat général au cours duquel le lien entre les séquelles du passé et les fractures du présent a été évoqué par de nombreuses personnalités. Celles-ci ont en particulier dénoncé la mondialisation qui a été considérée comme un système qui recouvre à la fois des atouts considérables et des effets positifs mais représente aussi des menaces sérieuses pour les sociétés contemporaines. Comme l'a souligné le Vice-Président sud-africain, M. Jacob Zuma, "les menaces de ce phénomène sont plus visibles car la mondialisation accentue la fracture entre les pays riches et les pays pauvres et marginalise les populations les plus vulnérables des pays en développement". Le Vice-Président sud-africain a souhaité que cette conférence se fasse l'avocat de la cause des marginalisés et œuvre pour la promotion de l'équité, des droits de l'homme et de la dignité tout en s'attaquant aux discriminations telles que le travail des enfants, l'exclusion des femmes, le système des castes, ou encore la marginalisation des victimes du VIH/sida.

Etroitement liées au phénomène de la mondialisation, de nouvelles formes de diffusion d'idéologies racistes et discriminatoires ont été dénoncées au cours du débat, en particulier celles qui découlent des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Le Ministre indonésien de la justice et des droits de l'homme, M. Yusril Ihza Mahendra, a ainsi déclaré que "les avancées technologiques dans le domaine des communications, en particulier l'Internet, facilitent la diffusion de messages xénophobes et de supériorité raciale". Il a exhorté la communauté internationale à demeurer très vigilante face à ces développements et d'adopter des mesures propres à lutter contre la diffusion de ces messages. La situation des Palestiniens a été évoquée, notamment par les ministres du Maroc, de l'Egypte et de l'Indonésie ainsi que par le Koweït. Les Ministres du Bénin, du Bhoutan, de la République tchèque, de l'Arménie sont intervenus ainsi que les représentants de la Ligue des États arabes, de l'Organisation de l'unité africaine (OUA), du Conseil économique et social et de la Banque mondiale.

En début de séance, la Présidente a annoncé que le Bureau avait, ce matin, approuvé la désignation, sur proposition du Groupe africain, de Mme Najat Al-Hajjaji (Jamahiriya arabe libyenne), au poste de rapporteur de la Grande commission.

La Conférence contre le racisme poursuivra son débat général cet après-midi, à 15 heures.

CONFÉRENCE MONDIALE CONTRE LE RACISME, LA DISCRIMINATION RACIALE, LA XÉNOPHOBIE ET L'INTOLÉRANCE QUI Y EST ASSOCIÉE

Déclarations

M. JOZO KRIZANOVIC, Président de la Bosnie-Herzégovine : En dépit des changements positifs intervenus aux niveaux national et international en matière de lutte contre le racisme et la discrimination raciale, il est préoccupant de constater que les objectifs fondamentaux proclamés dans le cadre des trois précédentes décennies internationales de lutte contre ces phénomènes n'ont toujours pas été atteints.

La Bosnie-Herzégovine est un petit pays européen dans lequel des violations massives de droits de l'homme se sont produites au cours de la dernière décennie, ce qui s'est traduit par la mort de plus de 200 000 personnes ainsi que par le nettoyage ethnique et le déplacement de près de 2,5 millions de personnes. Ces faits bien connus sont la triste conséquence de la mise en œuvre de politiques chauvines s'appuyant sur les différences ethniques et prenant pour cibles les membres des autres groupes ethniques au sein d'un même pays. On peut se demander ce qui ne fonctionne pas dans le système actuel de lutte contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et les intolérances y relatives, au point que de tels phénomènes se répètent ou resurgissent. Les manifestations de ces phénomènes sont-elles dues aux éventuelles déficiences des instruments nationaux et internationaux de protection des droits de l'homme ou à l'inadéquation de leur mise en œuvre? Peut-on aborder séparément la prévention des violations de droits de l'homme et la prévention des conflits? Comment la mondialisation et les contradictions observées dans le processus actuel de développement social influent-elles sur la stabilité des pays et dans quelle mesure influencent-elles l'émergence et la survie du racisme et de la discrimination raciale? La Conférence, à elle seule, ne saurait apporter toutes les réponses à ces questions complexes. Pour autant, la Bosnie-Herzégovine exprime l'espoir que tous les pays participants s'efforceront de rechercher les meilleures solutions à ces problèmes. Nous formulons aussi l'espoir que cette Conférence contribuera à prévenir au moins, à l'avenir, les violations massives de droits de l'homme.

La Bosnie-Herzégovine soutient fermement les parties des projets de déclaration et de programme d'action qui mettent l'accent sur l'importance considérable de l'éducation et des médias pour atteindre les objectifs de la Conférence. Dans son passé récent, la Bosnie-Herzégovine a pu constater combien, en matière de propagation de l'intolérance et de la discrimination, des médias et un système éducatif politisés et destructeurs peuvent jouer un grand rôle. Peut-être un forum international sur les médias, convoqués sous les auspices des Nations Unies, pourrait-il contribuer à éliminer les formes contemporaines de racisme. Nous invitons tous les pays de l'Europe du Sud-Est à mettre en œuvre la Charte sur la liberté des médias en tant qu'instrument du Pacte de stabilité en Europe du Sud-Est. Une attention tout aussi grande devrait être accordée à la prévention des droits de l'homme dans le domaine du développement économique et du travail. Là aussi, nous invitons toutes les forces nationales et internationales ainsi que toutes les organisations de la société civile à prendre une part active aux activités dans ce domaine.

M. JACOB ZUMA, Vice-Président de l'Afrique du Sud : La tenue de cette Conférence vise à lutter contre le racisme et, à terme, à l'éradiquer. Après la difficile épreuve de l'apartheid, l'Afrique du Sud s'est dotée d'institutions plurielles et démocratiques de nature à prévenir une répétition de cette sombre période et à éradiquer le racisme. Notre constitution, par exemple, a été rédigée dans le souci de reconnaître les droits de chaque citoyen dans sa diversité et de les intégrer dans une même nation. Dans le même temps, le racisme n'a pas totalement disparu de notre société, c'est pourquoi nous attachons une grande importance à cette Conférence. Les défis sont immenses et nous devons commencer à dépasser nos réflexes nationalistes et travailler en partenaires pour combattre le phénomène du racisme et de la discrimination. La Conférence ne doit pas non plus aborder de questions trop sensibles qui pourraient compromettre les avancées que tout le monde attend. Cette Conférence se doit, par exemple, d'établir le lien entre le passé et le présent, de reconnaître le lien entre les inégalités sociales, la pauvreté, le sous-développement et les séquelles du colonialisme et de l'esclavage. Le monde en développement doit s'attaquer au phénomène de la mondialisation qui apporte à la fois des atouts et des menaces. Mais les menaces sont plus visibles car elles constituent une fracture entre les riches et les pauvres. Nous devons contribuer à renforcer l'égalité des chances entre les peuples et cette Conférence doit se faire l'avocat de la cause des marginalisés et promouvoir l'équité, les droits de l'homme et la dignité dans le développement. Nous devons aussi nous attaquer au travail des enfants, à l'exclusion des femmes, au système des castes, à la marginalisations des victimes du VIH/sida. Nous devons détruire les réflexes xénophobes qui menacent tous les pays, à commencer par l'Afrique du Sud et protéger notamment les travailleurs migrants. Cette Conférence doit jeter les bases solides d'un programme de lutte contre le racisme et générer une approche pragmatique.

Il est important d'assurer que tous ici, nous soyons attachés aux résultats de cette Conférence et nous devons faire porter nos efforts sur le développement et lancer des programmes de nature à inverser les effets du colonialisme et de l'esclavage. Les dirigeants Africains, conscients de l'urgence à mettre en œuvre des politiques de grande envergure, ont mis en place la "Nouvelle Initiative Africaine" qui promeut la bonne gouvernance, la démocratie, les droits de l'homme et s'efforce de remédier aux méfaits du passé, caractérisés par l'extrême misère et le sous-développement. Il importe de veiller à ce qu'un processus réel soit entrepris pour lutter contre le racisme et faire de ce nouveau millénaire un millénaire où l'on accorde de la valeur aux hommes en raison de leur dignité d'être humain.

M. JAN KAVAN, Vice-Premier Ministre et Ministre des affaires étrangères de la République tchèque : Les principaux moyens de lutte contre le racisme et la xénophobie mis en place par mon pays sont fondés sur l'éducation en matière de protection des droits de l'homme, de tolérance et contre le racisme. Le Gouvernement appuie les projets de tolérance auxquels les institutions d'éducation et les médias participent. La République tchèque est résolue à mettre en œuvre des mesures exécutoires fermes lorsqu'il est nécessaire de protéger la société contre la propagation du racisme et la xénophobie. La nouvelle approche conceptuelle au statut de la large communauté rom du pays fait partie intégrante de la politique du Gouvernement. Cette approche vise à éliminer le fossé social qui existe entre cette minorité et la majorité de la population tchèque. Ces problèmes particuliers sont affectés non seulement par leur dimension sociale considérable, mais également aggravés par des expressions claires de xénophobie et d'intolérance. Dans cette ère de mondialisation et de liens encore plus étroits entre les pays, les groupes d'Etats et les continents, l'adoption d'une approche internationale uniforme en vue d'éliminer le phénomène social pathologique, auquel le racisme appartient, est de plus en plus indispensable. La Conférence de Durban nous permet d'évaluer les progrès réalisés à ce jour dans ces domaines, d'identifier tout obstacle qui sape les efforts accomplis et d'examiner les moyens de mettre en œuvre les normes existantes de la manière la plus efficace possible et de renforcer l'efficacité des mécanismes des Nations Unies. Il est important de tenir compte de tous les facteurs -politiques, économiques, sociaux et culturels- qui causent le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée.

Il est essentiel de mettre l'accent sur les mesures préventives, en particulier par le biais de l'éducation et des médias, pour éliminer les écarts économiques et sociaux qui existent entre les minorités et la majorité de la population. Des mesures vigoureuses doivent être prises dans certains cas lorsque les mesures de prévention échouent et lorsque les manifestations du racisme, de la discrimination raciale, de la xénophobie et de l'intolérance qui y est associée deviennent plus fréquentes et revêtent des formes organisées. Concernant les travaux de la Conférence, la République tchèque estime qu'il est crucial de parvenir à un consensus sur les mesures visant à combattre ces fléaux. Elle attache une grande importance au mécanisme de suivi de la Conférence, insistant sur le recours aux mécanismes des Nations Unies existants.

M. MOHAMED BENAISSA, Ministre des affaires étrangères et de la coopération du Maroc : Des progrès indéniables ont été accomplis pour faire du rêve de l'égalité, caressé par les auteurs de la Charte et la Déclaration universelle des droits de l'homme, une réalité palpable. Leur vision a été confortée par l'adoption d'un ensemble d'instruments internationaux sur les droits de l'homme qui visent à mettre en échec toutes les formes de pratiques discriminatoires. Il convient de souligner que la science a enterré de façon catégorique la justification biologique ou physiologique pour traiter les individus de façon inégale. Pourtant nos objectifs n'ont été réalisés qu'à moitié. Tandis que la technologie continue de rapprocher les populations du monde et les barrières politiques s'effondrent, la discrimination raciale, la xénophobie et d'autres formes d'intolérance continuent de ravager nos sociétés.

L'une des situations à caractère international qui a accompagné la naissance de l'ONU a été la question de la Palestine. Malgré les efforts déployés depuis, les nombreuses résolutions de l'Assemblée générale du Conseil de sécurité et autres organes, les initiatives louables ayant permis de réunir la Conférence de Madrid, Israël, par sa persistance dans sa politique d'agression et de persécution de sa machine militaire qui ne fait aucune distinction entre les enfants, les femmes à l'encontre du peuple palestinien, a replongé la situation en Palestine dans la violence. Notre Conférence mondiale ne pourrait rester indifférente devant la dégradation de la situation des droits de l'homme et de la situation humanitaire dans les territoires palestiniens occupés par Israël. La communauté internationale est appelée à renforcer la coopération pour rendre la mondialisation plus humaine et éradiquer les causes et les réflexes du racisme et de la xénophobie. Les peuples du monde entier attendent beaucoup de nos travaux. J'ose espérer que notre Conférence, qui se tient dans le berceau de la lutte contre le racisme et l'apartheid, apportera une contribution fructueuse.

M. VARTAN OSKANIAN, Ministre des affaires étrangères de l'Arménie : Le choix de l'Afrique du Sud, où le mal du racisme a été vaincu, était judicieux et c'est bien le lieu approprié pour parler de ce phénomène. Si la Conférence est un succès, elle restera dans l'histoire comme un événement majeur. Aujourd'hui, des hommes continuent d'être persécutés à travers le monde sur la seule base de critère tels, par exemple, que la religion. L'instinct des peuples à défendre leur survie culturelle et économique a souvent été réprimé. En 1915, l'Arménie a subi le génocide perpétré à son encontre par la Turquie. Aujourd'hui encore, ce génocide est qualifié par certains de "massacre acceptable". On ne peut donc que saluer ceux qui, à l'instar de la France, de l'Uruguay, de la Fédération de Russie, de la Grèce, de Chypre, de l'Argentine et de la Belgique, ont eu le courage de reconnaître ce génocide.

Les Arméniens du Nagorno-Karabagh sont victimes de discrimination et de harcèlement depuis une dizaine d'années. Le peuple du Nagorno-Karabagh est asservi par l'Azerbaïdjan. En Arménie, tous les individus bénéficient de droits égaux quelle que soit leur nationalité. Le Gouvernement arménien est fermement décidé à mettre en œuvre les résultats de la présente Conférence. Nous avons souffert de l'intolérance et nous ne souhaitons pas que d'autres subissent le même sort.

M. AMRE MOUSSA, Secrétaire général de la Ligue des Etats arabes : L'Afrique a souffert de l'esclavage et de la traite et doit être indemnisée pour les préjudices subis. Il est essentiel que les responsables de ces préjudices reconnaissent leur tort. Il ne faudrait pas que la mémoire du monde ne soit pas fractionnée. Le racisme commis contre les Juifs, les Arabes, les Asiatiques et autres est tout aussi condamnable. La sélectivité doit être écartée lorsqu'on examine ces problèmes. Les Palestiniens sont constamment la cible d'attaques racistes.

L'actuel Ministre israélien de la communication appelle à la haine des Arabes, tout comme l'ont fait et continuent de le faire certains religieux. Nous, représentants des pays arabes, sommes venus ici pour dialoguer et garantir le succès de la Conférence de Durban. Nous ne sommes pas venus ici pour exclure un peuple mais plutôt pour appuyer la plainte adressée par un peuple. Le nombre d'assassinats officiels commis sur les ordres d'un gouvernement et les politiques racistes doivent cesser. La position sur ces politiques doit être claire et non pas sélective. Il faut se dresser avec courage contre toutes les formes d'intolérance, indépendamment de la nationalité ou de la religion. Il faut faire preuve de souplesse et de générosité. Le temps est venu pour trouver une solution à ces problèmes.

M. SAID DJINNIT, Secrétaire général adjoint de l'Organisation de l'unité africaine : Que cette Conférence se tienne en Afrique du Sud n'est pas fortuit car c'est sur cette terre qu'a sévi l'apartheid, une des formes les plus élaborées du racisme et de la discrimination raciale qui a privé la majorité du peuple sud-africain des droits humains les plus fondamentaux. C'est pourtant sur cette même terre qu'a vu le jour un processus de réconciliation des plus courageux et ce, en dépit des souffrances endurées et de la rancœur accumulée. Cet exemple doit nous inspirer au moment où l'on se penche sur la question lancinante du racisme, de la xénophobie et de l'intolérance qui sont au cœur du débat sur la réconciliation à l'échelle de l'humanité.

Pour nous, Africains, évoquer la question du racisme et de la discrimination raciale nous renvoie inévitablement à notre histoire douloureusement liée à l'esclavage, à la traite négrière et au colonialisme qui constituent un véritable crime contre l'humanité au cours duquel la dignité et l'intégrité des Africains ont été bafouées. Le sort ainsi fait à l'Afrique, les injustices et les dommages qu'elle a subis interpellent notre conscience collective et nous imposent un devoir de vérité et de mémoire. L'état de sous-développement socioéconomique du continent et son retard scientifique et technologique ne sont pas une fatalité mais bien le résultat d'une histoire tragique qu'il convient de réécrire. C'est pourquoi il est urgent que la communauté internationale et notamment les pays développés apportent un soutien franc et massif aux initiatives propres du continent, en particulier la "Nouvelle Initiative Africaine" qui est l'expression authentique de la détermination des dirigeants africains et de leur peuples à permettre à l'Afrique de retrouver sa place dans le concert des nations.

En dépit des progrès considérables réalisés dans la codification des droits de l'homme, dans leur promotion et leur protection, le racisme, la discrimination raciale et l'intolérance continuent de faire leurs ravages dans toutes les régions du monde, en particulier dans les Territoires palestiniens occupés. Pour sa part, l'Afrique qui a connu, en 1994, les horreurs du génocide au Rwanda, appelle à une plus grande vigilance de la communauté internationale pour que l'humanité ne connaisse plus jamais de telles tragédies.

M. MARTIN BELINGA EBOUTOU, Représentant du Cameroun à l'ONU, Président du Conseil économique et social : A elles seules, les controverses, les réserves voire les défiances exprimées par certains Etats Membres sur certains points de l'ordre du jour de la Conférence, ne renforcent-elles pas précisément une justification de la tenue de ces assises? En tout cas, c'est bien la preuve que les voies et les moyens de faire progresser la lutte contre le racisme, la xénophobie et l'intolérance opposent plusieurs sensibilités d'approche. Ce faisant, la possibilité pour chaque voix de la communauté internationale de s'exprimer sur un sujet aussi délicat ne peut que favoriser un débat bénéfique et salutaire. L'ECOSOC a placé l'Afrique au centre de son agenda cette année. L'Afrique, terre de convergences des races, des religions et des cultures, est sans conteste, le continent du globe qui a le plus incarné l'ouverture vers le reste du monde. Cette particularité est pourtant loin de lui avoir toujours profité. Bien au contraire. L'Afrique et les peuples noirs sous toutes les latitudes ont souvent subi en retour et subissent encore la domination, la marginalisation et l'exclusion dans les domaines politique, social et économique.

Nous sommes bel et bien face au défi posé par de nouvelles formes de ségrégation et discrimination. Il appartient à chaque Etat de les combattre mais également à l'ensemble de la communauté internationale de faire respecter les libertés et principes universels qu'elles remettent en cause. L'idée selon laquelle "l'histoire est toujours en faveur du vainqueur plus que du vaincu", du dominateur plus que du soumis, n'est plus acceptable... Le "vae vic tis" de la Rome antique est aujourd'hui révolu. Nous nous félicitons de la loi du 21 mai 2001 adoptée en France assimilant la traite négrière et l'esclavage à un crime contre l'humanité. On s'en félicite d'autant plus que c'est dans cette même France que fût élaboré et promulgué sous l'ancien régime par Colbert le code noir légitimant l'esclavage… Puisse le comportement de la France "mère des arts… et des lois", pays de la liberté, de l'égalité et de la fraternité nous inspirer tous pendant et après cette Conférence. Puisse la Loi française sur l'esclavage faire école et aboutir à une Loi de portée universelle. La traite négrière a sonné pour le continent africain le début du drame qui a saccagé son destin jusqu'à nos jours. On a tenté de donner à ce drame, des explications, ou des justifications qui sont une honte pour l'humanité. La pauvreté de l'Afrique aujourd'hui est la perpétuation du linceul de misère qui l'enveloppe depuis la Traite transatlantique, avec le pillage économique dont elle a été l'objet pour l'enrichissement excessif des puissances extra-africaines. Cette réalité historique n'est pas de nature à légitimer la requête pour un droit de réparation-repentance, assurément morale mais également et pourquoi pas matérielle, dans des formes et des modalités à convenir. Celle-ci s'inscrit dans le projet de transformation sociale et de développement économique entrepris par les Africains pour sortir d'une pauvreté dont les liens avec les épreuves endurées dans le passé sont incontestables.

M. MATS KARLSSON, Vice-Président du groupe de la Banque mondiale chargé des Nations Unies : Le groupe de la Banque mondiale est né dans l'ombre de la Seconde Guerre mondiale en partant du postulat que la pauvreté est au cœur de l'inhumanité qui se transforme en guerre. C'est pour cela que notre mission première n'est ni juridique ni politique ni théologique, ni axée sur le développement. Elle sert à contribuer à la création des valeurs qui puissent résister et vaincre ces forces qui amoindrissent et détruisent.

Nous savons, par exemple, que la culture est pour chacun un champ fertile d'inspiration individuelle et d'audace collective. C'est pour cela que nous avons mis de solides garde-fous à nos politiques pour protéger les cultures autochtones. Nous savons que chaque culture est une tapisserie de l'histoire qui n'a pas de prix et ne peut être remplacée. L'expérience nous a appris que l'intégration économique mondiale est un moteur de prospérité. Nous voulons aider les peuples à opter pour les bénéfices des progrès scientifiques et technologiques quand ils le choisissent. Le défi est de s'assurer que l'identité ethnique ne se traduit pas en termes de supériorité innée ou encore de haine ou de verdict de l'histoire. De telles haines ou visions biaisées renforcées par la puissance de l'armement actuel peuvent anéantir des siècles de progrès et de bonne volonté. C'est pour cela que la Banque mondiale a œuvré avec les Nations Unies et d'autres dans des lieux comme la Bosnie-Herzégovine, le Timor oriental et la Sierra Leone pour raccommoder le tissu de la confiance, du respect mutuel et le capital social nécessaires pour vivre en paix.

Nous notons ce que nous avons appris et fait avec une humilité enracinée dans la conscience que le groupe de la Banque mondiale n'a pas toujours fait de bons choix. Il serait naïf de clamer que nous ne ferons pas d'erreurs à l'avenir. Toutefois les institutions sont capables d'apprendre. C'est pour cela que nous venons à cette Conférence avec optimisme. Nous savons que chacun de nous ici peut tirer parti de la sagesse et de la volonté des autres et que les peuples et les nations, à travers des institutions comme les Nations et la Banque mondiale, qui sont finalement les leurs, peuvent joindre leurs forces, évoluer et apprendre.

M. AHMED MAHER EL SAYED, Ministre des affaires étrangères de l'Égypte : Je souhaite rendre hommage à un grand chef, Nelson Mandela, qui incarne la lutte pour la justice et la liberté. Je tiens aussi à saluer Mme Mary Robinson qui, au cours du processus préparatoire, n'a ménagé aucun effort pour assurer que cette Conférence soit couronnée de succès. Nous sommes ici réunis pour garantir que les horreurs du passé ne se reproduiront plus. Les tragédies du passé ne doivent cependant pas faire oublier celles du présent. Personne n'a le monopole de la souffrance et de la douleur.

En ce qui concerne les projets de déclaration et de programme d'action qui seront adoptés à l'issue de cette Conférence, certains problèmes qui n'auraient pas dû être litigieux font encore l'objet de négociations. Le groupe africain, en ce qui le concerne, a fait preuve d'une grande souplesse dont d'autres devraient s'inspirer. Reconnaître les erreurs du passé colonial est un droit que réclament les pays africains. La Nouvelle Initiative Africaine, adoptée à Lusaka sous l'impulsion de plusieurs pays africains dont l'Égypte, devrait contribuer à appuyer les efforts déployés pour promouvoir le développement de l'Afrique. Le groupe arabe a lui aussi fait preuve de souplesse lors du processus préparatoire de la Conférence; il est allé au-delà des controverses idéologiques concernant le rapport entre sionisme et racisme. L'occupation est un mal et, lorsqu'elle s'accompagne - entre autres- du meurtre de dirigeants, de la démolition de maison, de l'utilisation d'armes sophistiquées dont certaines sont interdites, on peut se demander si les projets de déclaration et de programme d'action peuvent faire l'impasse sur le sujet. Comment ne pas mentionner les souffrances qu'endure le peuple palestinien depuis 50 ans, au même titre que l'holocauste et l'antisémitisme. L'Égypte s'efforce de sauver le processus de paix qu'elle a elle-même engagé, il y a 20 ans et qui risque d'échouer en raison de l'intransigeance d'Israël.

M. YUSRIL IHZA MAHENDRA, Ministre de la justice et des droits de l'homme de l'Indonésie : Il est hautement symbolique que cette Conférence se tienne dans un pays qui rassemble différentes races, et différentes cultures et qui a su surmonter ses différences pour bâtir une nation libérée du fardeau de l'apartheid. Cette Conférence représente un espoir pour des millions d'êtres humains qui aspirent à de nouvelles conditions de vie. L'histoire est jalonnée de violations flagrantes des droits de l'homme qui se sont manifestées par le colonialisme, les guerres de conquête, l'esclavage, les génocides et l'apartheid. Nous sommes de l'avis que l'esclavage, la traite, le colonialisme et l'apartheid constituent des sources et des manifestations de racisme, de discrimination raciale et d'intolérance dont les peuples d'origines africaine et asiatique souffrent encore. Les maux contemporains de ces effets dévastateurs du passé résident dans la pauvreté, le sous-développement, l'exclusion et la marginalisation socioéconomique qui, en dépit de la mondialisation, frappent de plein fouet les pays en développement. Nous nous joignons par conséquent à la communauté internationale pour trouver des solutions au fléau que constitue le racisme et nous sommes en faveur de mesures de compensation et de réparation afin d'inverser le cycle injuste causé par les pratiques du passé.

Malgré les multiples initiatives prises au sein des Nations Unies, notamment depuis 1963, pour lutter contre le racisme et l'éradiquer, ce fléau continue de hanter notre monde moderne. Plus inquiétant encore, de nouvelles formes de racisme et de discrimination émergent et sont trop souvent tolérées. Je veux parler ici des avancées technologiques dans le domaine des communications, en particulier l'Internet, qui facilitent la diffusion de messages xénophobes et de supériorité raciale de par le monde. Nous devons par conséquent être très vigilants face à ces développements et adopter des mesures propres à lutter contre la diffusion de ces messages racistes et discriminatoires. Cette Conférence doit être l'occasion de rappeler, au sein de la communauté internationale, que les principes d'égalité, de dignité, et de droits de l'homme sont essentiels. En tant que société multiculturelle et multiethnique, l'Indonésie fait en sorte de maintenir cette "mosaïque" en adoptant des lois et des normes administratives visant à éradiquer les tensions entre les communautés et à promouvoir l'esprit de tolérance. Nous pensons que les mesures qui seront adoptées dans le programme d'action devront être mises en œuvre par un mécanisme approprié et doté de ressources suffisantes. Enfin, je tiens à interpeller la communauté internationale quant à la nécessité d'apporter une protection au peuple palestinien qui, depuis des décennies, est victime des pratiques hégémoniques et racistes d'Israël qui est une force d'occupation.

M. LYONPO THINLEY GYAMTSHO, Ministre de l'intérieur du Bhoutan : Le défi posé par le racisme est peut-être même plus important aujourd'hui que dans le passé. Les stéréotypes racistes de certaines catégories de personnes, y compris les Asiatiques, les descendants d'Africains et les populations autochtones, ainsi que les attitudes xénophobes contre ces personnes sont largement répandues. Les mouvements politiques dans des régions du monde expriment clairement des idées racistes et exploitent la diversité ethnique en provoquant la peur par la violence et le terrorisme. La propagation des idées racistes est tolérée au nom de la liberté d'expression. L'utilisation des nouvelles technologies telles que l'Internet est détournée pour diffuser des messages de haine. La mondialisation, qui vise à assurer la prospérité dans le monde, peut également donner lieu à des disparités économiques, à l'homogénéisation culturelle et à la marginalisation de certains pays, situations qui en retour contribuent à renforcer les attitudes racistes. Nous devons donc veiller à ce que la mondialisation profite à tous tout en respectant la richesse de cultures et traditions différentes. La Conférence mondiale doit adopter une approche commune pour promouvoir une véritable culture de tolérance et de respect pour la diversité, à la fois à l'intérieur et entre les pays. Elle doit envisager un nouvel ordre international qui intégrerait tous les groupes en leur garantissant une participation équitable de tous les groupes et pays dans le processus de prise de décision. Les gouvernements, les organisations internationales, les médias et la société civile peuvent et doivent œuvrer ensemble pour développer des mesures appropriées contre le racisme et pour créer un climat harmonieux.

Petit pays vulnérable, le Bhoutan continue de faire face à de nombreux défis qui ont de graves incidences sur sa sécurité et sa souveraineté. On peut citer à cet égard le problème de l'immigration illégale et la présence de militants armés étrangers qui se sont infiltrés à travers la jungle des régions du sud et de l'est du pays. Le règlement de ces problèmes est au centre des priorités du Bhoutan en vue de garantir la pleine jouissance des droits de l'homme de l'ensemble de la population. Le Bhoutan souscrit pleinement aux principes énoncés par les principaux instruments internationaux des droits de l'homme.

M. MOHAMED SABAH AL-SALEM AL-SABAH, Ministre d'Etat chargé des affaires étrangères du Koweït : L'Islam a affirmé les principes d'égalité et de fraternité depuis 15 siècles dans les versets coraniques et la Constitution du Koweït dispose que la justice, la liberté et l'égalité sont les fondements de notre société, principes qui sont repris dans de nombreuses normes juridiques du pays. Les femmes, par exemple, ont les même droits que les hommes au Koweït, à savoir le droit au travail, le droit à l'éducation et le droit d'assumer des fonctions publiques. Le Koweït a été l'un des premiers Etats Membres à adhérer à la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale et aux cinq autres conventions et documents fondamentaux en matière de droits de l'homme. Le Koweït est fermement engagé à défendre les droits des peuples opprimés et la juste cause des peuples qui luttent pour leur autodétermination et contre l'occupation, le colonialisme et la discrimination. La colonisation et l'occupation étrangère sont des causes et des formes de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et d'intolérance. Les Etats qui sont responsables de telles pratiques doivent assumer leurs responsabilités en vers les victimes.

Aujourd'hui, nous constatons que les pratiques israéliennes dans les territoires palestiniens occupés et des autres territoires arabes sont ignobles et discriminatoires. Ces pratiques sont des violations massives des droits fondamentaux, constituent un crime contre l'humanité et menacent la paix et la sécurité. La communauté internationale doit lutter contre les pratiques racistes et discriminatoires en cours et s'atteler à la rude tâche qui consiste à rétablir la paix au Moyen-Orient. Le Koweït souhaite également saisir cette tribune pour rappeler au monde que, malgré les principes du droit humanitaire international, des koweïtiens sont toujours détenus en Iraq depuis 1990 sans que l'on sache ce qu'ils sont devenus. Nous souhaitons que la communauté internationale se penche sur cette question et fasse pression sur l'Iraq afin qu'il se soumette aux règles élémentaires du droit international humanitaire.

M. KOLAWOLE A.IDJI, Ministre des affaires étrangères et de l'intégration africaine du Bénin : Dans un monde en proie à toutes sortes de violence, il me semble que l'humanité ne peut avancer qu'en ayant reconnu et tiré de salutaires leçons des méfaits et des crimes du passé, en particulier des crimes contre l'humanité que constituent l'esclavage et la traite négrière et de nombreuses pratiques colonialistes. Il faut reconnaître ces crimes non pas pour en pleurer, mais pour les assumer. Non pas pour retourner d'une façon masochiste le couteau dans la plaie, mais pour mieux reconnaître en même temps, dans ce troisième millénaire plein d'espoir, la persistance de leurs germes mortels.

Est-il trop osé de penser et de dire que certaines des guerres africaines d'aujourd'hui, civiles ou non, ont toutes les apparences des guerres menées pendant la traite négrière, pour assurer la prospérité du commerce triangulaire et des ressources africaines qu'il procure? Nous ne voulons humilier personne. Mais l'humanité ne fera un pas décisif en avant qu'en rétablissant la vérité, toute la vérité historique en pleine lumière. L'arriération de presque tous les Etats africains aujourd'hui ne résulte pas de notre paresse, ou de notre incapacité congénitale, comme il a été écrit. Rétablir la vérité sur cette arriération est un devoir pour toute l'humanité. Si nous voulons vaincre partout aujourd'hui le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance, il faut rétablir la vérité historique sur les peuples africains qui se trouvent de nos jours relègues au bas de l'échelle. Mais il ne vient à l'esprit d'aucun d'entre nous de penser à une quelconque forme de vengeance, car la vengeance ne serait pas digne des victimes.

Dans un monde en marche vers la paix, la réconciliation exige, bien entendu, le pardon, mais elle exige également la repentance, une repentance sincère. La repentance sincère est toujours active. Lorsqu'elle a, comme c'est le cas aujourd'hui, les moyens de réparer les torts du passé, si elle s'y refuse, comment pourrait-on dire qu'elle est sincère? Ma délégation souhaite qu'à la fin de notre Conférence, une nouvelle aube se lève, pour que la conscience de l'humanité retienne à jamais que tous les êtres humains sont libres et égaux, même s'ils sont et souhaitent demeurer différents.

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