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La traite des femmes et des enfants  | Migration et discriminationRacisme et peuples autochtones
Etats multiethniques et protection des droits des minorités

Au carrefour de la discrimination sexuelle et de la discrimination raciale

Les injustices subies par les victimes de la discrimination raciale et de l'intolérance associée à celle-ci sont bien connues : possibilités d'emploi limitées, ségrégation et pauvreté endémique, pour n'en citer que quelques-unes. On sait tout aussi bien les points sur lesquels les femmes sont défavorisées dans les sociétés du monde entier : rémunération moindre pour un travail de valeur égale; taux élevé d'analphabétisme; et accès très limité aux soins de santé. Si la race est une raison d'inégalité et le sexe une autre, il ne s'agit pas de formes mutuellement exclusives de discrimination. En fait, elles se recoupent trop souvent, donnant lieu à une discrimination combinée ou double.

Pour de nombreuses femmes, les facteurs liés à leur identité sociale, comme la race, la couleur, l'ethnicité et l'origine nationale deviennent " des différences qui font une différence ". Ces facteurs peuvent créer des problèmes qui sont uniques à des groupes particuliers de femmes ou qui affectent hors de toute proportion certaines femmes par rapport à d'autres.

Considérez les barrages que la société dresse sur le chemin d'une femme tzigane en Europe de l'Est. En tant que membre de la population tzigane, elle a peu d'avocats et se heurte à une hostilité constante. Elle est marginalisée au sein de sa communauté en raison de son statut minoritaire et au sein de sa famille en raison de son sexe. On peut en dire autant d'une femme aborigène en Australie, d'une femme dalit en Inde, d'une femme demandeuse d'asile en Angleterre, etc. Ces femmes se trouvent au carrefour de la discrimination sexuelle et de la discrimination raciale.

Sans prendre la race en considération, les statistiques relatives à la condition des femmes dans le monde montrent que celles-ci ont une longue route à parcourir avant de devenir les égales des hommes. Selon un récent rapport du Fonds de développement des Nations Unies pour la femme (UNIFEM), les femmes restent en arrière d'après plusieurs des principaux indicateurs qui mesurent le progrès vers l'égalité des sexes et leur propre affranchissement.

Le taux mondial d'alphabétisation des femmes est de 71,4 %, contre 83,7 % pour les hommes. Sur les 960 millions d'adultes analphabètes, les deux tiers sont des femmes. L'écart entre les sexes persiste sur le plan des rémunérations, celle des femmes employées dans l'industrie et les services n'atteignant ordinairement que 78 % de celle des hommes qui travaillent dans le même secteur.

La part des postes de décision occupés par des femmes a atteint 30 % dans 28 pays seulement au cours des années 90. En outre, sur 1,3 milliard de personnes qui vivent dans la pauvreté, 70 % sont des femmes. Si l'on fait entrer en ligne de compte la race d'une femme dans son expérience, le double fardeau de la discrimination sexuelle et de la discrimination raciale et de l'intolérance qui lui est associée ne devient que trop évident. Il faut se préoccuper tout particulièrement des handicaps qu'affrontent les femmes de groupes minoritaires sur le marché du travail, de la traite des femmes et de la violence à base raciale dirigée contre les femmes.

Dans beaucoup de sociétés, les femmes de groupes minoritaires, immigrantes ou autochtones n'ont que des possibilités d'emploi limitées et se trouvent souvent au dernier échelon du marché du travail. Beaucoup de ces femmes occupent des emplois dans les zones de libre échange, l'économie non structurée ou les secteurs non réglementés. Maurice Glegle-Ahanhanzo, enquêteur ou rapporteur spécial sur la question des formes contemporaines de racisme pour la Commission des droits de l'homme de l'ONU, a étudié la situation des femmes de groupes minoritaires sur le marché du travail quand il s'est rendu au Brésil en 1995. Il a conclu que " les femmes noires reçoivent les rémunérations les plus faibles (quatre fois inférieures à celle d'un homme blanc), sont employées sur les sites les plus malsains, effectuent une journée de travail triple et affrontent une triple discrimination ".

Un autre grave aspect de la discrimination combinée, à savoir la traite des femmes, a été abordé dans un rapport présenté en 2000 à la Commission des droits de l'homme par Radhika Coomaraswamy, rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes. Dans son rapport, elle affirme que l'exploitation des migrantes par des trafiquants " place les femmes dans des situations dans lesquelles elles ne bénéficient d'aucune, ou pratiquement d'aucune protection de la loi. Parmi les formes manifestes de violence dont sont victimes les femmes qui cherchent à exercer leur droit de circuler librement, on peut citer notamment le viol, la torture, l'exécution arbitraire, la privation de liberté, le travail et le mariage forcés. "

Mme Coomaraswamy établit un lien direct entre les politiques anti-immigrants, l'absence de toute égalité des chances pour les femmes et le phénomène de la traite des femmes. Elle affirme dans son rapport que " des politiques d'immigration restrictives et visant l'exclusion contribuent pour une grande part à la persistance et à l'omniprésence de la traite ". Quand les femmes n'ont pas de droits ou quand ces droits ne sont pas respectés par l'Etat et en l'absence de chances égales d'éducation et d'emploi, elles deviennent plus vulnérables que leurs homologues masculins.

La violence ethnique ou raciale contre les femmes est considérée comme l'exemple le plus reconnaissable d'une discrimination à plusieurs composantes. Les cas de viol signalés en Bosnie, au Kosovo, au Burundi et au Rwanda reviennent à cibler les femmes en fonction de leur race pour exercer contre elles une violence expressément fondée sur le sexe. En outre, les conflits ethniques produisent un grand nombre de femmes réfugiées qui deviennent alors vulnérables à la violence sexuelle et aux problèmes de caractère sexuel. Les tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda et l'ex-Yougoslavie ont désormais reconnu que le viol des femmes ciblées en raison de leur origine ethnique ou religieuse constituait une arme de guerre et l'ont poursuivi en conséquence.

Jusqu'à une date récente, la conjonction de la discrimination sexuelle et de la discrimination raciale n'a pas fait l'objet d'un examen détaillé, non plus que ses conséquences. Les problèmes étaient classés comme des manifestations de l'une ou l'autre forme de discrimination, mais non des deux. En fin de compte, ceci a empêché d'analyser le problème dans toute son étendue et donc conduit à des remèdes inefficaces ou inadéquats. La situation est en train de changer. Grâce à sa politique de prise en considération des sexospécificités dans tous les contextes, l'Organisation des Nations Unies, par exemple, est en train de reconnaître les diverses manières dont les rôles des sexes et les relations entre les sexes déterminent l'accès des femmes et des hommes aux droits, aux ressources et aux possibilités. L'objectif ultime est de parvenir à l'égalité.

La Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée se tiendra à Durban (Afrique du Sud) du 31 août au 7 septembre 2001 et abordera directement un grand nombre de ces problèmes difficiles. La Secrétaire générale de la Conférence, Mary Robinson, haut commissaire aux droits de l'homme, a déclaré, lors d'une réunion régionale européenne tenue à Strasbourg en octobre dernier pour préparer la conférence de Durban, qu'" il faut s'inquiéter de la diversité des schémas du racisme moderne. Nous devons prêter une attention particulière au sexe et au racisme et reconnaître la double discrimination qui peut prendre naissance. "

A un récent séminaire d'experts de la région Asie et Pacifique tenu en préparation à la Conférence mondiale, les participants ont prêté une attention particulière à deux conséquences de la discrimination combinée : la migration illégale et la traite des femmes. Le séminaire a noté que " la discrimination raciale, ethnique et sexuelle étaient les causes fondamentales de la migration et de la traite des femmes ". Il a été recommandé que durant la Conférence mondiale " l'accent soit mis en particulier sur les problèmes d'égalité des sexes et sur la discrimination sexuelle, en partie sur le danger multiple qui se fait jour quand le sexe, la classe, la race et l'appartenance ethnique combinent leurs effets ".

Le Haut Commissaire aux droits de l'homme a dit à New York en février qu'à son avis la conférence de Durban pourrait être " une Magna Carta en puissance pour les victimes. Notre espoir est que les victimes du racisme et de la discrimination combinée aient un sentiment positif de ce que l'agenda des droits de l'homme peut faire pour elles. " Les femmes qui souffrent d'une double discrimination, a-t-elle ajouté, attendront de la Conférence qu'elle présente des propositions concrètes et réalistes pour résoudre leurs problèmes, et elles n'accepteront rien de moins.

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