Six actions climatiques pour se remettre de la pandémie de COVID-19

La COVID-19 a eu des répercussions catastrophiques sur le quotidien et l’emploi de nombreuses personnes.  Tandis que les gouvernements mobilisent d’énormes sommes d’argent pour contrer le ralentissement économique dû au coronavirus, le Secrétaire général a déclaré que nous devons « créer de nouveaux emplois et de nouvelles entreprises dans le cadre d’une transition propre et écologique ».

Selon le FMI, I’économie mondiale devrait reculer de près de 3,2 % cette année, ce qui représenterait la plus forte contraction de l’activité économique depuis la Grande Dépression, sans commune mesure avec la crise financière mondiale de 2008-2009. Rien qu’en 2020, des millions de personnes — entre 35 et 60 millions — pourraient sombrer dans l’extrême pauvreté, inversant de fait la tendance mondiale à la baisse observée au cours des vingt dernières années. On estime que quelque 1,6 milliard de personnes travaillant dans le secteur informel, dont beaucoup dans l’économie des « emplois précaires », risquent de perdre leurs moyens de subsistance, beaucoup d’entre elles ne bénéficiant par ailleurs d’aucune forme de protection sociale.

Forcés d’instaurer un confinement mondial sans précédent en vue d’endiguer la propagation de la COVID-19, les gouvernements ont rapidement pris conscience qu’il leur fallait prendre des mesures fortes pour éviter d’aggraver la situation sur le plan économique et social. Pour relancer leurs économies, nombre d’entre eux ont adopté des mesures fiscales et monétaires d’une ampleur sans précédent, à hauteur plus de 9 000 milliards de dollars à l’été 2020.  S’il est naturel de souhaiter rétablir l’économie telle qu’elle se portait avant la pandémie de COVID-19, il apparaît désormais évident que nous ne pouvons pas continuer à procéder comme avant.  

Le Secrétaire général a ainsi insisté sur l’alternative à laquelle sont confrontés les gouvernements en déclarant : « Nous pouvons revenir au point où nous en étions, ou alors investir dans un avenir meilleur et plus durable.  Nous pouvons investir dans les combustibles fossiles, dont les marchés sont volatils et dont les émissions entraînent une pollution atmosphérique mortelle,  ou nous pouvons au contraire investir dans les énergies renouvelables, qui sont fiables, propres et judicieuses sur le plan économique. »

Le passage à une économie durable permettra de créer beaucoup plus de nouveaux emplois. Des emplois d’ailleurs plus sains et plus sûrs que ceux du secteur des combustibles fossiles.  L’Organisation internationale du Travail (OIT) a indiqué que l’action pour le climat, en particulier dans le secteur de l’énergie, est susceptible de créer 24 millions d’emplois d’ici à 2030. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime pour sa part que neuf millions d’emplois pourraient être créés chaque année au cours des trois prochaines années en investissant massivement dans le domaine de l’énergie durable. Les conclusions du rapport « New Nature Economy » indiquent également qu’un nouveau modèle économique axé non pas sur le travail contre, mais avec la nature pourrait générer jusqu’à 10 100 milliards de dollars de valeur ajoutée par an et créer 395 millions d’emplois d’ici à 2030.

Aujourd’hui, environ 1,2 milliard d’emplois, soit 40 % du nombre total d’emplois, sont tributaires d’un environnement sain et 44 000 milliards de dollars de valeur économique ajoutée — à savoir plus de la moitié du PIB total mondial — dépendent plus ou moins fortement de la nature. À titre d’exemple, la production agricole dépend largement de la pollinisation des abeilles, en particulier pour les fruits, les légumes, les plantes à fibres et les fruits à coque. Sans cette contribution, notre capacité à produire suffisamment de nourriture serait fortement compromise.

Si les coûts se rapportant à des mesures ambitieuses en faveur du climat sont bien souvent considérés comme un obstacle à l’action, les coûts humains et économiques liés à l’inaction s’avèrent bien plus élevés. L’excès de chaleur, par exemple, devrait à lui seul réduire le nombre total d’heures de travail dans le monde de 2,2 %, ce qui conduirait à une baisse du PIB mondial de 2 400 milliards de dollars en 2030.

Les investissements publics dans certains domaines clés peuvent toutefois contribuer à stimuler la croissance économique et l’emploi, tout en atténuant les changements climatiques. Les domaines propices à ce type d’investissements sont notamment les suivants :

 

  1. Les infrastructures, qui peuvent aussi bien concerner les actifs liés aux énergies renouvelables (stockage, hydrogène durable, modernisation des réseaux) que les soins de santé et l’aide sociale, ou encore le logement social et l’économie numérique.
  2. Les bâtiments à haut rendement énergétique, notamment au moyen de travaux de rénovation et de modernisation garantissant une meilleure isolation et un mode de chauffage plus performant, tout en prévoyant des installations domestiques de stockage d’énergie. 
  3. L’éducation et la formation, de façon à permettre aux personnes qui ont perdu leur emploi du fait de la crise de la COVID-19 de trouver un nouvel emploi rémunérateur, tout en se préparant aux changements structurels nécessaires à la décarbonisation de l’économie. 
  4. La nature, de façon à favoriser la résilience et la régénération des écosystèmes, à restaurer les milieux riches en carbone et à promouvoir une agriculture plus respectueuse du climat. 
  5. La recherche et le développement, de façon à aider les économies rurales à adopter des modes d’agriculture durable et à contribuer à la régénération des écosystèmes ou au déploiement d’installations de production d’énergies renouvelables. 

Comme l’a déclaré António Guterres, « [l]orsque l’argent des contribuables est utilisé pour sauver des entreprises, il doit permettre de créer des emplois verts et une croissance durable et inclusive. Il ne doit pas servir à sauver des industries dépassées, polluantes et à forte consommation de carbone ».

Les entreprises qui ont conscience que les changements climatiques constituent une menace pour leurs résultats et qui sont en mesure de trouver des moyens de basculer vers des modèles économiques durables ont plus de chances que d’autres de se montrer pérennes financièrement et de créer davantage de valeur pour leurs actionnaires, leurs clients et la collectivité. Au cours des dix dernières années, les titres de sociétés qui mènent leurs activités de manière écoresponsable ont été mieux côtés que les actions liées aux combustibles fossiles, et les entreprises les plus investies dans les domaines environnementaux, sociaux et de la gouvernance d’entreprise ont systématiquement mieux résisté à la crise et leurs titres ont dépassé ceux des portefeuilles traditionnels sur les marchés financiers.

Un financement public durable — sous la forme de subventions directes ou d’autres formes d’aides financières, comme les garanties de prêts — devrait donc être soumis à des engagements climatiques fermes de la part des entreprises. Il conviendrait à tout le moins que les « plans de sauvetage » publics imposent un certain nombre d’obligations aux entreprises. Ces mesures pourraient ainsi prévoir l’obligation de fournir des informations sur les risques financiers liés au climat ou encore de fixer des objectifs de décarbonisation initiaux clairement définis à l’horizon 2030, dans l’optique d’émissions nettes nulles d’ici à 2050. En outre, les entreprises qui bénéficient de fonds publics doivent être dotées d’un plan d’investissement décrivant en quoi les nouveaux investissements sont susceptibles de contribuer à l’objectif de réduction des émissions de l’entreprise.

Dans les principaux secteurs à fortes émissions, des mesures spécifiques peuvent être mises en œuvre pour améliorer les conditions de travail et aider les entreprises à adopter une stratégie de réduction des émissions de carbone. L’aide apportée au secteur du transport aérien pourrait par exemple être conditionnée à un engagement en faveur du recours à du kérosène plus durable, tandis que l’appui aux activités manufacturières gourmandes en énergie pourrait dépendre d’un engagement à s’approvisionner en énergie 100 % renouvelable.

Selon l’AIE, 320 milliards de dollars de subventions ont été versés dans le secteur des combustibles fossiles en 2019, dont 150 milliards dans les produits pétroliers, 115 milliards dans l’électricité, 50 milliards dans le gaz naturel et 2,5 milliards dans le charbon. Ces estimations ne tiennent pas pleinement compte de toutes les autres formes d’aides publiques destinées à ces secteurs, ni des subventions directes. L’argent durement gagné par les contribuables sert par conséquent à accroître la rentabilité de sociétés multimilliardaires. De fait, le Secrétaire général de l’ONU a appelé à plusieurs reprises les gouvernements à « taxer les pollueurs, pas les citoyens ».

La réforme de la tarification du carbone et des subventions aux combustibles fossiles est susceptible de considérablement augmenter les recettes publiques et de garantir un meilleur usage des ressources. Selon la Banque mondiale, les programmes de tarification du carbone — qui visent à garantir que le prix des combustibles fossiles corresponde à leur coût réel, en tenant compte des émissions — ont généré environ 44 milliards de dollars de recettes publiques en 2018.

Porteuse de nouvelles sources de financement public, la tarification du carbone est en mesure d’aider les gouvernements à investir davantage dans d’autres domaines prioritaires, tels que la santé, l’éducation ou les infrastructures, tout en permettant à la main-d’œuvre de s’adapter comme il se doit. Il convient ainsi de tenir compte des travailleurs dont l’emploi pourrait être menacé par une transition vers un monde alimenté par une énergie durable, tels que ceux qui évoluent dans le secteur des combustibles fossiles. Il convient en revanche de les aider à trouver de nouveaux et de meilleurs moyens de générer des revenus.

De nombreux pays s’emploient à réduire les subventions aux combustibles fossiles, bon nombre d’entre eux faisant partie des pays en développement. Le Nigéria, par exemple, a récemment modifié son régime d’octroi de subventions aux combustibles fossiles.

Au cours des derniers mois, les marchés du pétrole et du gaz ont connu une chute de la demande sans précédent et une guerre des prix qui ont conduit à un prix du baril inférieur au seuil de rentabilité pour de nombreux producteurs. En conséquence, les prix du charbon, du pétrole et du gaz devraient rester bas pendant un certain temps. Il s’agit donc pour les gouvernements de saisir cette opportunité pour supprimer progressivement les subventions aux combustibles fossiles et redoubler d’efforts pour s’éloigner de l’industrie des combustibles fossiles.

Dans les pays producteurs de pétrole et de gaz et les pays qui dépendent fortement de leurs ressources houillères, il conviendrait d’axer la relance budgétaire sur l’élimination progressive des actifs les moins compétitifs, sur la diversification de leur économie, ainsi que sur des mesures de soutien aux travailleurs et aux régions qui sont appelés à pâtir de la transition.

L’action pour le climat doit désormais être au centre de toutes les préoccupations, aussi bien des gouvernements que des entreprises. Les entreprises et les investisseurs éclairés s’emploient d’ores et déjà à mieux évaluer les coûts liés aux risques climatiques. Les gouvernements, en revanche, doivent s’investir davantage.

Comme l’a récemment déclaré le Secrétaire général aux ministres : « Les effets dévastateurs de la crise de la COVID-19 sont dus à nos manquements d’hier et d’aujourd’hui ».

Il est ainsi notamment fait référence au fait de ne pas avoir suffisamment tenu compte des objectifs de développement durable ou des mises en garde concernant les dommages que nous infligeons à notre milieu naturel, ainsi qu’aux risques qui sont pris face au dérèglement climatique. « Nous avons toléré des inégalités au sein des pays et entre eux qui ont conduit à exposer des milliards de personnes à la pauvreté et à la faillite en cas de nouvelle crise. Nous n’avons pas suffisamment investi dans nos capacités de résilience, à savoir dans l’assurance-maladie universelle, l’enseignement de qualité, la protection sociale, l’eau potable ou l’assainissement. Nous n’avons toujours pas remédié aux déséquilibres de pouvoir qui font que les femmes et les filles sont systématiquement les premières à pâtir des crises. »

Pour être en mesure d’évaluer l’ampleur des risques climatiques sur le système financier, il convient de mettre au point de nouveaux outils d’analyse permettant par exemple de tenir compte de scénarios climatiques dans le cadre de « simulations de crise » périodiques. Les autorités de régulation ont déjà recours à ce type de simulations pour évaluer la résilience et la solidité des établissements bancaires en période de tourmente.

Les banques centrales et les autorités de contrôle financier doivent s’assurer que les risques liés au climat sont bien intégrés aux stratégies et aux procédures de gestion des risques des institutions financières. Si la communication volontaire de renseignements sur les risques liés au climat, telle que recommandée dans les lignes directrices de l’Équipe spéciale des informations financières ayant trait au climat, constitue une première étape bienvenue, il devient de plus en plus urgent d’en faire une mesure obligatoire pour pouvoir renforcer et systématiser la prise en compte des risques liés au climat.

Il faut que les institutions financières prennent davantage conscience des risques liés au climat et qu’elles en tiennent compte dans le cadre de leurs procédures de gestion des risques et de leurs choix d’investissement, mais aussi dans leurs stratégies à plus long terme. L’évolution des politiques climatiques, les nouvelles technologies et l’augmentation des risques physiques vont conduire à une revalorisation de pratiquement tous les actifs financiers. Les entreprises qui adaptent leurs modèles d’activité à la transition en faveur d’un monde sans émissions seront récompensées, tandis que les autres seront lourdement pénalisées.

Si, à quelques rares exceptions près, les entreprises se sont montrées très intéressées par l’adoption de plans commerciaux durables et d’objectifs scientifiques compatibles avec le scénario d’un réchauffement de 1,5 °C, les marchés et les principales institutions financières n’ont pas encore pleinement pris la mesure des risques climatiques.

Tout comme le coronavirus, les gaz à effet de serre ne connaissent pas de frontières. Aucun pays, aucune entreprise ne saurait parvenir à régler le problème isolément.

L’Accord de Paris repose sur la coopération entre les pays. Les émissions, d’où qu’elles proviennent, affectent tout le monde, en tout lieu, c’est pourquoi il est crucial que les pays œuvrent tous ensemble pour réduire les émissions, renforcer la résilience et atténuer les effets les plus graves des changements climatiques.

L’Accord de Paris tient compte du fait que tous les pays ne bénéficient pas des mêmes ressources financières et des mêmes technologies. Plus précisément, les pays à revenu faible ou intermédiaire — qui sont les moins responsables du problème — ont généralement besoin de l’appui des pays à revenu plus élevé pour se doter de sources d’énergie renouvelables, plus propres et plus vertes, ainsi que pour adopter des mesures leur permettant de s’adapter aux effets des changements climatiques. L’aide internationale est cruciale pour garantir un développement durable.

La coopération internationale et le multilatéralisme sont également essentiels pour sortir de la crise économique provoquée par la pandémie de COVID-19. Du fait de la pandémie, la plupart des pays ont connu une baisse de leurs recettes et une augmentation simultanée de leurs dépenses. Pour bon nombre de pays en développement, il en résulte une augmentation de la dette publique et un accroissement du déficit. La pression exercée sur les gouvernements, en particulier dans les pays en développement, pour qu’ils remboursent ces dettes extérieures croissantes, limite leur capacité à adopter des mesures politiques qui favorisent les investissements dans des moyens de production durables (comme les énergies renouvelables ou les modes de déplacements durables). Il convient de régler ce problème endémique de la dette souveraine afin de donner aux gouvernements les moyens budgétaires et stratégiques nécessaires pour investir dans une reprise vigoureuse, décarbonisée, équitable et résiliente.

Les banques publiques de développement du monde entier, aux échelons national, régional et multilatéral, devront œuvrer de concert pour aider les pays à déterminer quelles activités à faible intensité de carbone et à haute productivité il convient de financer, tout en les orientant vers les politiques industrielles leur permettant d’accroître leurs ressources en faveur d’infrastructures durables et d’aider les travailleurs et la collectivité à s’adapter à une transition juste. Ces institutions joueront par ailleurs un rôle essentiel en fournissant le financement nécessaire au renforcement de la résilience et en aidant les pays à s’adapter aux changements climatiques.

Les effets des changements climatiques se font désormais sentir dans tous les pays, mais tous les peuples ne sont pas pour autant touchés de façon analogue. Les changements climatiques touchent davantage les plus pauvres et les plus vulnérables, dont beaucoup de femmes. Il s’agit des personnes qui vivent dans des zones inondables, de celles qui sont confrontées à l’élévation du niveau de la mer ou encore de celles qui sont les plus touchées par l’augmentation des températures ou par les pénuries d’eau. En 2019, les phénomènes météorologiques extrêmes et les catastrophes naturelles ont entraîné trois fois plus de déplacements de personnes que les conflits. Les catastrophes liées aux conditions météorologiques telles que les tempêtes et les inondations ont été responsables de plus de 95 % de ces phénomènes.

Les plans de relance doivent donner la priorité aux efforts d’adaptation (protection contre les inondations, construction de routes et de bâtiments résilients, amélioration de la résilience des populations, etc.). Les programmes de travaux publics destinés à assurer un revenu aux ménages modestes pourraient par exemple privilégier les projets qui présentent des avantages connexes en matière d’adaptation, tels que la protection contre les inondations et les incendies, la restauration des écosystèmes ou l’irrigation par égouttement.

Le passage à une économie neutre en carbone pourrait en revanche avoir des répercussions négatives sur les moyens de subsistance des personnes qui travaillent depuis toujours dans des industries très polluantes et extrêmement nocives pour la santé, comme l’industrie houillère. Il faut donc veiller à une transition juste qui assure des possibilités d’emploi pour toutes et tous. Il convient par ailleurs de faire en sorte que ces mesures de lutte contre les changements climatiques n’engendrent pas de nouveaux coûts pour ceux et celles qui ne peuvent pas se les permettre à défaut d’aides publiques. Les coûts liés à la lutte contre les changements climatiques doivent être supportés par ceux qui sont responsables de la pollution.

Les efforts déployés pour atténuer les changements climatiques s’inscrivent dans le cadre de la réalisation des objectifs de développement durable. Ces objectifs ont été définis pour tous les pays et tous les peuples. Il est toujours possible de les atteindre, pour peu que les gouvernements, les entreprises, les municipalités et les représentants de la société civile soient déterminés, tout comme chacun et chacune d’entre nous, à exiger des résultats de toute urgence, tout en veillant à ce que personne ne soit laissé pour compte.