23 novembre 2025

Les gouvernements, les diplomates et les partenaires se sont réunis à Dakar le 20 novembre, sous l’égide du Bureau régional de l’UNESCO pour l’Afrique de l’Ouest, afin de faire avancer la mise en œuvre d’une nouvelle feuille de route régionale sur l’intégrité de l’information.

La rencontre était consacrée aux modalités de mise en pratique du Cadre stratégique type pour l’intégrité de l’information en Afrique de l’Ouest et au Sahel et du Plan d’action de Praia 2026–2036 pour l’intégrité de l’information en Afrique de l’Ouest et au Sahel, adoptés en septembre lors d’une conférence régionale organisée à Praia, au Cabo Verde.

« Avec l’usage toujours intensif des plateformes numériques dans notre région, notamment par des personnes de plus en plus jeunes et surtout dépourvues des outils critiques nécessaires pour naviguer dans cet environnement très complexe, il est évident que la question de la prévalence de la désinformation n’est pas tout simplement un défi technologique. Elle touche au cœur même de l’avenir de notre société », a déclaré Dimitri Sanga, directeur régional de l’UNESCO à Dakar, en ouvrant la session.

« Il est crucial que les conclusions de la conférence de Praia soient désormais le point de départ d’une ère nouvelle pour l’édification d’un écosystème de l’information inclusif et fiable en Afrique de l’Ouest et au Sahel. »

Cette dynamique intervient dans un contexte marqué par une fragilité politique, sécuritaire et économique, combinée à de faibles niveaux d’éducation aux médias et à l’information et à l’essor de contenus synthétiques générés par l’intelligence artificielle, qui rendent la région particulièrement vulnérable aux manipulations.

Le « paquet de Praia » aborde l’intégrité de l’information non seulement comme une question de contenus faux ou trompeurs, mais aussi comme un enjeu de gouvernance et de droits humains, au cœur de la participation démocratique, de la cohésion sociale et du développement durable.

 

De gauche à droite : Dimitri Sanga (UNESCO), Hermínio Emanuel Da Costa Moniz (Cabo Verde), Moustapha Diouf (Sénégal), Mathieu Babin (Canada) et Kim-Mailin Weinrich (Allemagne) participent à l’événement de Dakar consacré aux résultats de Praia. ©CINU Dakar

Le Cadre stratégique type définit des concepts clés tels que l’intégrité de l’information, la mésinformation, la désinformation, le discours de haine, les plateformes numériques, l’éducation aux médias et à l’information et l’inclusion numérique. Il vise à aider les États à promouvoir et garantir l’intégrité de l’information en assurant l’accès à une information exacte et fiable, et en orientant la conception des lois, des politiques publiques, des institutions et des mécanismes de suivi.

Ce cadre repose sur plusieurs principes fondamentaux : la confiance et la résilience de la société ; des écosystèmes informationnels sains qui s’attaquent aux modèles économiques et aux algorithmes nocifs ; l’autonomisation du public et une éducation renforcée aux médias et à l’information ; des médias indépendants et pluralistes ; la transparence, la recherche et l’accès ouvert aux données ; la responsabilité partagée et l’action multipartite ; ainsi que l’inclusion linguistique, afin que les locuteurs des langues locales et nationales aient accès à une information digne de confiance et ne soient pas davantage exposés à la désinformation. L’ensemble est ancré dans une approche fondée sur les droits humains.

Le processus de Praia a réuni des ministres ou leurs représentants de toute la région. 13 États d’Afrique de l’Ouest et du Sahel – le Bénin, le Burkina Faso, le Cabo Verde, la Côte d’Ivoire, la Gambie, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Libéria, le Mali, le Niger, le Nigéria, le Sénégal et la Sierra Leone – ont ensuite adopté par consensus le Cadre stratégique type et endossé le Plan d’action de Praia sur dix ans.

Le cadre se distingue également par la manière dont il relie les normes régionales et internationales. Il s’agit d’un modèle de politique publique régional, adapté aux réalités de l’Afrique de l’Ouest et du Sahel, mais explicitement ancré dans des normes plus larges – notamment les Principes mondiaux des Nations Unies pour l’intégrité de l’information, les Principes de l’UNESCO pour la gouvernance des plateformes numériques et la Recommandation de l’UNESCO sur l’éthique de l’intelligence artificielle, ainsi que les principaux instruments africains relatifs aux droits humains et à la gouvernance numérique, et plusieurs cadres de l’Union africaine en matière de cybersécurité, de données et de transformation numérique.

Le Cabo Verde, qui a accueilli la conférence de Praia, a joué un rôle de premier plan dans la promotion de cette réponse multilatérale. « L’accès à l’information est un droit humain fondamental. L’intégrité de l’information est aussi fondamentale pour la démocratie et la cohésion sociale, et pour bâtir un écosystème d’information crédible. Aucun État n’est à l’abri des conséquences néfastes de la désinformation et du discours de haine », a rappelé Hermínio Emanuel Da Costa Moniz, ambassadeur de la République de Cabo Verde au Sénégal.

« Nous sommes convaincus que l’adoption du cadre politique pour l’intégrité de l’information est un pas géant en direction de l’intégrité de l’information dans notre région. Toutefois, l’adoption de ce document, quoique importante, ne doit pas être une fin en soi. C’est un combat de longue haleine ; en tout cas, l’Afrique de l’Ouest et le Sahel ont pris leurs responsabilités. »

 

Michel Kenmoe, chef du secteur Communication et information au Bureau de l’UNESCO à Dakar, présente les principales conclusions de la Conférence de Praia sur l’intégrité de l’information en Afrique de l’Ouest et au Sahel. ©CINU Dakar

Le cadre énonce également un ensemble de garanties pour que les mesures de lutte contre la désinformation ne portent pas atteinte à la démocratie ou aux droits fondamentaux. Il place la liberté d’expression et l’accès à l’information au cœur de toutes les interventions, exige que toute restriction respecte le test en trois parties – légitimité, nécessité et proportionnalité de la mesure – et met en garde contre la criminalisation indiscriminée et des mesures telles que les coupures d’Internet. Il invite plutôt les États et les plateformes à s’attaquer aux systèmes et aux incitations qui permettent à des contenus préjudiciables de prospérer, notamment les systèmes publicitaires opaques, l’amplification inauthentique et l’insuffisance de la modération des contenus dans les langues locales.

« Nous devons pouvoir avoir un minimum de confiance dans l’information qui circule dans la société pour consolider la connaissance partagée sur un certain nombre de sujets », a expliqué Michel Kenmoe, chef du secteur Communication et information au Bureau de l’UNESCO à Dakar. « C’est pourquoi le cadre de Praia met autant l’accent sur la confiance et la résilience, sur l’indépendance et le pluralisme des médias, et sur la nécessité de s’attaquer aux systèmes et aux modèles économiques qui permettent à la désinformation de prospérer, plutôt que de se limiter à sanctionner des contenus pris isolément. »

Complétant le cadre stratégique, le Plan d’action de Praia 2026–2036 offre une feuille de route décennale pour traduire les principes en actions concrètes. Son objectif est de promouvoir la paix, la cohésion sociale et le développement durable en renforçant des écosystèmes informationnels fiables, responsables et inclusifs.

Il organise l’action autour de cinq domaines : (1) un cadre politique et juridique cohérent, aligné sur les normes relatives aux droits humains ; (2) une gouvernance responsable des plateformes numériques ; (3) un accès équitable à l’information d’intérêt public et aux données, y compris dans les langues locales ; (4) des compétences renforcées en matière d’éducation aux médias et à l’information et de culture numérique pour toutes et tous, en accordant une attention particulière aux femmes, aux jeunes et aux groupes marginalisés ; et (5) des synergies et des partenariats, notamment en matière de coordination régionale et de mécanismes de suivi et d’alerte précoces.

 

Dimitri Sanga, Moustapha Diouf et Hermínio Emanuel Da Costa Moniz répondent aux questions des journalistes à Dakar au sujet du Cadre stratégique type et du Plan d’action de Praia sur l’intégrité de l’information en Afrique de l’Ouest et au Sahel. ©CINU Dakar

Pour le Sénégal, qui a accueilli la rencontre de Dakar, les conclusions de Praia s’inscrivent dans la continuité de travaux déjà engagés. En juin 2025, le Ministère de la Communication, des Télécommunications et du Numérique a organisé deux journées de consultations nationales, suivies d’un forum national de trois jours sur le thème « Intégrité de l’information, régulation, gouvernance économique et cyberspace » afin de préparer la position du pays et d’élaborer des recommandations pour un écosystème médiatique moderne, viable sur le plan économique et respectueux des droits.

« La conférence de Praia a marqué une étape majeure en permettant l’adoption de deux documents fondamentaux pour renforcer l’écosystème informationnel dans notre région », a déclaré Moustapha Diouf, représentant le Ministère. « L’intégrité de l’information n’est pas seulement un défi sécuritaire ou technologique. Elle constitue désormais un pilier stratégique pour le développement durable, la gouvernance démocratique et la cohésion sociale », a-t-il ajouté. Il a conclu en appelant à bâtir un espace informationnel robuste, éthique et porteur de progrès.

Les partenaires internationaux ont souligné les enjeux démocratiques plus larges. « L’accès à des informations et à des nouvelles diverses, précises et fiables est essentiel à la démocratie », a rappelé Mathieu Babin, conseiller politique et affaires publiques à l’Ambassade du Canada. « La désinformation et les autres formes de manipulation portent atteinte à l’intégrité de l’information et affaiblissent la démocratie. La désinformation peut saper l’engagement démocratique et civique, empêcher un débat public ouvert et éroder la confiance dans les institutions démocratiques et dans les médias. »

 

Moustapha Diouf, représentant le ministère sénégalais de la Communication, des Télécommunications et du Numérique, prononce une allocution lors de la présentation à Dakar des conclusions de la Conférence de Praia sur l’intégrité de l’information. ©CINU Dakar

L’Allemagne a également mis en avant l’importance de l’éducation aux médias et de l’apprentissage mutuel. « Très concrètement, avec le projet qui est implémenté par la GIZ, cofinancé par l’Union européenne, nous soutenons l’analyse de la désinformation et de la malinformation dans la région, ainsi que la formation des journalistes, des fact-checkers et des organisations de la société civile », a indiqué Kim-Mailin Weinrich, directrice du Centre allemand d’information pour l’Afrique. « Et nous cherchons à accroître la compétence médiatique chez les jeunes et chez le grand public. »

Pour la suite, les participants à Dakar ont souligné la nécessité d’une coordination régionale accrue, avec des cadres juridiques harmonisés, des mécanismes formalisés de coopération avec les plateformes numériques – notamment des canaux clairs pour le dialogue et la réponse aux crises, ainsi qu’un meilleur accès aux données pour la recherche indépendante – et des dispositifs de suivi et d’alerte précoce plus robustes, intégrant une perspective de genre et d’âge.

Organisée en septembre à Praia, la Conférence régionale sur l’intégrité de l’information en Afrique de l’Ouest et au Sahel a permis d’adopter le Cadre stratégique type et le Plan d’action décennal. Dakar marque désormais le passage de la définition de l’agenda à sa mise en œuvre, alors que les pays et leurs partenaires s’attachent à traduire ces engagements en réformes et programmes concrets.