20 mai 2020 — En grippant la chaîne d’approvisionnement mondiale, les restrictions de circulation et de transport dues à la pandémie de COVID-19 ont complexifié à l’extrême la gestion de l’acheminement de produits vitaux aux pays les plus touchés. Pour répondre à cet autre défi posé par le virus, les Nations Unies et leurs partenaires humanitaires développent un système logistique d’ampleur, destiné à garantir le maintien et la montée en puissance des livraisons d’urgence.

« Pour dire les choses simplement, sans notre soutien logistique, les opérations de réponse à la COVID-19 dans les zones les plus fragiles s'arrêteraient brutalement, laissant des millions de personnes en danger », fait remarquer Amer Daoudi, Directeur des opérations de réponse à la pandémie du Programme alimentaire mondial (PAM), véritable plaque tournante du dispositif onusien.

« Toutes les pièces du puzzle doivent être mises en place en même temps », relève pour sa part Paul Molinaro, Chef du soutien et de la logistique des opérations de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), l’agence chargée de coordonner les efforts mondiaux de réponse sanitaires à la crise pandémique.

En temps normal, l'OMS répond aux demandes des pays en passant des commandes par le biais de contrats à long terme avec des vendeurs, lesquels expédient les marchandises par l'intermédiaire de transitaires. Or l’effondrement de l'approvisionnement mondial et du transport aérien commercial, la fermeture des frontières et les perturbations du transport maritime ont totalement bouleversé ce processus.

Il a donc fallu concevoir et bâtir un système alternatif permettant de trouver les fournitures médicales et humanitaires en quantité suffisante et d’assurer des liaisons aériennes avec toutes les régions du globe afin d’expédier ces cargaisons et de transporter les personnels de santé partout où ils sont indispensables.

Une équipe spéciale en charge de la chaîne d’approvisionnement

Les pièces du puzzle ont commencé à s’assembler avec la mise sur pied, mi-avril, de l’Équipe spéciale des Nations Unies pour la chaîne d'approvisionnement COVID-19, un groupe de travail coordonné par l'OMS et le PAM. Sa mission : intensifier massivement l'achat et la livraison d'équipements de protection individuelle (EPI), de matériels de test et de diagnostic ainsi que d’appareils biomédicaux tels que des ventilateurs et des concentrateurs d'oxygène.

Parmi les membres de ce groupe travail figurent des agences d’aide - le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), le Fonds des Nation Unies pour l’enfance (UNICEF), le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) - mais aussi la Banque mondiale, le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme et d’autres partenaires comme la Fédération internationale de la Croix-Rouge (FICR).

L’Équipe spéciale met à profit les capacités et l'expertise de chacun de ses membres pour identifier les besoins d'approvisionnement et négocier dans les meilleures conditions avec les fournisseurs, l’objectif commun étant de porter assistance le plus efficacement possible aux pays et aux populations vulnérables.

Une fois passée la phase de négociation, l’Équipe spéciale met en place une garantie de financement, en partie grâce aux fonds collectés par le Fonds de solidarité COVID-19 de l'OMS, qui s’élèvent à ce jour à 214 millions de dollars versés par 374 000 particuliers, entreprises et organisations. Elle peut ensuite déterminer comment les cargaisons seront expédiées aux pays.

« Nous devons aborder le marché d'une manière qui puisse nous être favorable, car il est malheureusement déséquilibré », explique Paul Molinaro. « Ceux qui ont les moyens de payer très rapidement et d'avance en profitent le plus », observe-t-il, rappelant que les fournitures médicales constituent un « bien mondial » à rendre accessible au plus grand nombre.

Dans le même souci d’équité, la Banque de technologies des Nations Unies s’est associée à l’OMS, au Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et à la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) pour lancer, le 12 mai, un partenariat visant à accroître l'accès des pays les moins avancés aux technologies de santé vitales, y compris les plus sophistiquées.

Des plateformes réparties dans huit pays

Au sein de l'Équipe spéciale, l'OMS apporte son expertise technique en matière de matériels médicaux. Son avis est notamment déterminant pour l’achat de fournitures telles que les tests de diagnostic rapides. Le PAM se charge quant à lui de la partie logistique, ce qui comprend l'établissement de routes aériennes, la mise à disposition de centres de distribution mondiaux et l'affrètement d'avions.

Dès lors, la chaîne d'approvisionnement mondiale de l’ONU s’appuie sur des plateformes d’intervention réparties dans huit pays. Trois « hubs » mondiaux, installés à Dubaï (Émirats arabes unis), Liège (Belgique) et Guangzhou (Chine), ont été positionnés à proximité des lieux de fabrication des fournitures médicales. Ils sont reliés à des centres régionaux situés à Addis-Abeba (Éthiopie), Accra (Ghana), Subang Jaya (Malaisie), à Panama City (Panama) et Johannesburg (Afrique du Sud).

Dans ces quatre plateformes régionales, une flotte de petits avions se tient en attente pour transporter les marchandises et du personnel dans les pays prioritaires. En appui, le réseau peut aussi compter sur les Dépôts de réponse humanitaire des Nations Unies (UNHRD) préexistants, dont celui de Brindisi, en Italie.

Un monte-charge achemine des cartons pres d'un entrepot du PAM.

Au total, le PAM prévoit de transporter jusqu’à la mi-juin l'équivalent de 37 avions cargo Boeing 747 depuis la Chine et la Malaisie en vue d’une distribution dans 130 pays. Lorsque le service sera pleinement opérationnel, jusqu'à 350 liaisons en avions cargo et 350 autres vols de passagers pourraient être effectués chaque mois.

L’OMS pourrait avoir besoin de couvrir « plus de 30 % des besoins mondiaux dans la phase aiguë de la pandémie », a indiqué son Directeur général, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus. Selon lui, l’agence devrait expédier chaque mois au moins 100 millions de masques et gants médicaux, 25 millions de masques respirateurs N95, écrans faciaux et blouses, et jusqu'à 2,5 millions de tests de diagnostic.

Des « vols de solidarité » vers l’Afrique

Si ces opérations sont le fruit d’une planification intense, l’inattendu peut aussi s’inviter. L’OMS a ainsi profité, début mars, d’une proposition des Émirats arabes unis pour acheminer du fret médical à bord d’un vol à destination de Téhéran. Résultat : 7,5 tonnes de matériels médicaux et d’EPI ont pu être livrées à l’Iran à un moment clé de l’épidémie dans ce pays difficile d’accès.

Mi-avril, les Émirats arabes unis ont cette fois offert à l'OMS un vol complet de Dubaï à Addis-Abeba. Pour l’agence, le moment était bien choisi : son nouveau « hub » en Éthiopie venait de recevoir un don important des fondations Jack Ma et Alibaba en masques, kits de test, équipements de protection et écrans faciaux destinés aux 54 pays africains. Un stock auquel est venu s‘ajouter la cargaison onusienne.

« Il s'agit de loin du plus gros envoi de fournitures depuis le début de la pandémie », avait alors indiqué Elizabeth Byrs, la porte-parole du PAM. « Cela permettra aux personnes vivant dans les pays où les systèmes de santé sont les plus faibles de se faire tester et traiter, tout en aidant les agents de santé en première ligne à bien se protéger ».

Un million de masques faciaux ainsi que des gants, lunettes, respirateurs et autres articles essentiels ont été préparés et envoyés par la plateforme d'Addis-Abeba via des vols charters de la compagnie Ethiopian Airlines. Le premier de ces « vols de solidarité » a permis de distribuer des fournitures à cinq pays africains :  Djibouti, le Soudan, l’Érythrée, la Somalie et la Tanzanie. Début mai, cette opération menée avec l’appui technique de l’Union africaine avait atteint plus de 80 % du continent.

Avec 90 000 cas confirmés et 2 885 décès signalés, selon le dernier décompte de l’OMS, l’Afrique est encore relativement épargnée par la COVID-19.  On observe toutefois une augmentation rapide du nombre d’infections et la réponse s’annonce longue, a prévenu le Dr Michel Yao, responsable de la gestion d’urgence au bureau régional de l’agence à Brazzaville.

Un effort à financer de toute urgence

Malgré les difficultés persistantes liées aux perturbations de la chaîne d'approvisionnement, l'OMS a jusqu'à présent réussi à livrer plusieurs millions d'EPI dans 133 pays et des kits de diagnostic dans 126 pays. Elle doit ce rayonnement au réseau de plateformes mis en place par le PAM, depuis lesquelles plus de 300 tonnes de fret humanitaire et sanitaire ont déjà été expédiées depuis janvier.

Le 30 avril, un Boeing 757 a décollé de la nouvelle plateforme de Liège avec à son bord près de 16 tonnes de fournitures comprenant des masques et des gants de protection pour le Burkina Faso, le Ghana et la République du Congo. Sa cargaison avait été affrétée par le PAM pour le compte du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et de l’UNICEF, agence très impliquée, elle aussi, dans l’expédition de produits d’urgence par le biais de ses « hubs » humanitaires, dont celui de Copenhague, réputé le plus vaste au monde.

Le PAM met également en place un service régional de transport aérien de passagers afin d’acheminer le personnel humanitaire et sanitaire à travers l'Afrique de l'Est et de l'Ouest, via ses plateformes d’Addis-Abeba et d’Accra. Les premiers vols, prévus courant mai, doivent être étendus au Moyen-Orient, à l'Amérique latine et à l'Asie. Par ailleurs, l’agence se tient prête à établir des liaisons aériennes avec Genève et Rome si les services commerciaux restent perturbés.

Ces opérations de transport et de soutien logistique ont toutefois un coût que les contributions versées jusqu’alors ne permettent pas de couvrir. Dans le cadre de l’appel mondial de 2 milliards de dollars lancé par l’ONU le 25 mars, le PAM avait demandé 350 millions de dollars pour lancer ces services communs. Or il n’a reçu qu’un quart de cette somme, alors que l’appel du Plan de réponse humanitaire mondial à la COVID-19 a été porté le 7 mai à 6,7 milliards de dollars.

Le 19 avril, les responsables de toutes les agences humanitaires des Nations Unies avaient interpellé les bailleurs de fonds internationaux en leur rappelant que le PAM avait « urgemment besoin de fonds supplémentaires pour mettre en place les hubs nécessaires, affréter des navires et fournir des avions pour le fret, le personnel médical et d’autres personnels essentiels ».

« Si toutes les composantes du Plan de réponse humanitaire mondial sont essentielles et nécessitent un financement continu, sans ces services logistiques communs, la réponse mondiale pourrait s’arrêter net », avertissaient-ils dans une lettre ouverte commune.