2 mars 2020

Une nouvelle initiative appuyée par les Nations Unies, visant à disposer en temps opportun des données relatives aux objectifs du développement durable, a donné de l’importance à une ressource naturelle la plus rare au monde — le temps.

Quelle serait votre réaction si vous étudiiez en vue d’un diplôme et que vous n’auriez un retour sur vos résultats qu’après la date d’obtention de ce diplôme ? Qu’elle serait-elle si vous signiez le bail d’un nouvel appartement sans connaître le prix du loyer ? Ou si vous deviez décider où envoyer 100 000 vaccins contre la fièvre jaune sans savoir où les dernières flambées ont lieu ? Ce dernier point est un problème fréquent, et de cette manière et de bien d’autres, les retards de données causent des souffrances inutiles et gaspillent quotidiennement des ressources limitées. Les données sont la connaissance, et la connaissance est le pouvoir — le pouvoir de changer les choses avant qu’il ne soit trop tard.

La plupart des pays n’assurent pas la collecte régulière des données pour plus de la moitié des indicateurs mondiaux relatifs aux objectifs de développement durable (ODD)1. Une enquête réalisée par les Nations Unies en Afrique et en Asie a montré qu’en moyenne, les données ne sont actuellement disponibles que pour seulement 20 % des indicateurs2 et que celles sur la pauvreté des deux tiers de la population subsaharienne sont basées sur des enquêtes réalisées avant l’adoption des ODD en 20153. Pour les décideurs politiques qui ont le sens de l’urgence, il est exaspérant de constater que la plupart des données utilisées pour suivre les ODD ont été collectées avant que les ODD n’aient été adoptés.

L’actualité des données — la plus importante des cinq caractéristiques des données de qualité ?

Des données fiables présentent cinq caractéristiques : l’exhaustivité, la cohérence, l’exactitude, la validité et l’actualité. L’amélioration des données actualisées pourrait sans doute avoir le plus grand impact positif. Les deux premiers mois de cette décennie, dont le compte à rebours vers 2030 a commencé, ont été marqués par l’émergence d’un coronavirus (COVID-19) et sa propagation rapide, des incendies en Australie et des inondations à Jakarta. Plus que jamais, on a l’impression que le temps est la plus précieuse de toutes les ressources.

L’actualité des données est l’une des raisons de l’intérêt croissant du public pour les mégadonnées, telles que les métadonnées des téléphones portables et des réseaux sociaux, ainsi que les données satellitaires et de télédétection. D’autres sont enthousiasmés par la perspective d’utiliser les données en temps réel pour créer des modèles prédictifs ou de prévision. Pourtant, les amateurs de mégadonnées oublient parfois de rappeler à la communauté du développement l’importance croissante des données validées, à la fois en tant que telles et comme outil de formation pour l’apprentissage automatique4. Cela est tout à fait évident dans l’agriculture, comme l’a noté David Lobell, Professeur à l’Université de Stanford5.

« Il n’est généralement pas pratique ni abordable d’obtenir des données très granulaires à très haute fréquence », explique Claire Melamed, Directrice générale du Partenariat mondial pour les données du développement durable. « Mais les données non traditionnelles sont beaucoup plus utiles avec des systèmes de base solides. Lorsqu’il est possible de combiner les deux, par exemple, des enquêtes agricoles détaillées et des données satellitaires hebdomadaires, on obtient un effet multiplicateur. Il est alors possible de faire ce que nous n’aurions pas rêver de faire il y a dix ans, comme estimer le rendement des cultures au demi-mètre carré près ou intervenir sur des sites d’abattage illégal du bois avant qu’une forêt ne soit entièrement détruite6. »

Les promesses de la révolution des données n’ont pas été exagérées, mais l’investissement nécessaire pour créer des modèles solides et validés a tendance à être négligé. Cela peut conduire, à son tour, à un « pic d’attentes exagérées » ainsi qu’à un « gouffre de désillusions », comme l’expliquent les chercheurs de l’entreprise technologique Gartner7.

Faire concorder les données et la prise de décisions

Dans quelle mesure les données nécessaires à la prise de décisions doivent-elles être disponibles en temps opportun ? L’intervalle acceptable entre les points des données dépend de la solidité des méthodologies, de la vitesse anticipée des changements dans le temps ainsi que de la fréquence à laquelle les données sont nécessaires pour la prise de décisions.

La communauté des données du développement met l’accent sur l’alignement de la fréquence des données fournies sur celle de la prise de décisions fondée sur les données, remplaçant les expressions à la mode « données en temps réel » et « prévisions immédiates », si populaires il y a cinq ans. La planification de la rentrée scolaire en fonction du nombre adéquat de places pour le nombre d’élèves inscrits est un processus décisionnel annuel, les récoltes agricoles nécessitent des interventions saisonnières, tandis que les crises sanitaires peuvent évoluer d’une semaine à l’autre.

« Dans le domaine de la santé, les données actualisées peuvent être très utiles dans l’allocation des ressources, en particulier pour les vaccins. Parfois, des régions disposent d’un stock important de vaccins alors que d’autres font face à une pénurie ou bien à un surplus. Des données actualisées, en particulier pour ceux qui ont besoin de vaccins, sont très importantes pour allouer les ressources de façon appropriée », indique Yusuf Murangwa, Directeur général de l’Institut national des statistiques du Rwanda. « Grâce aux données satellitaires, nous pouvons désormais savoir en deux ou trois semaines si une récolte a été mauvaise, ce qui nous donne un temps précieux pour intervenir ou planifier le soutien de la population qui pourrait souffrir d’une mauvaise récolte », explique-t-il.

Un grave syndrome : le « pilotite »

L’action engagée pour que les gouvernements et les institutions multilatérales comprennent l’importance des données a porté ses fruits. Les plus grandes entreprises privées mondiales détiennent désormais des données en temps réel sur nous, nos habitudes, notre histoire et nos préférences. Les gouvernements qui cherchent à formaliser leur économie, à augmenter leurs recettes fiscales et à réduire le gaspillage des services publics savent qu’ils ne peuvent pas y parvenir sans disposer de données. Malgré ce changement culturel, la plupart des systèmes de données nationaux restent chroniquement sous-financés, et un grand nombre de méthodes exploitant des sources de données traditionnelles n’ont pas été développées à grande échelle.

Des données actualisées permettant de savoir si une population reçoit ce dont elle a besoin, par exemple de meilleurs temps d’attente dans les hôpitaux, un meilleur ratio de médecins, de meilleurs résultats scolaires et des chiffres sur la pollution atmosphérique, sont un outil puissant pour évaluer les progrès et favoriser une responsabilisation rapide. Pourtant, le public ne réclame pas un investissement généralisé dans les systèmes de données. Les médias donnent de nombreux exemples montrant que les données peuvent être utilisées pour nuire aux citoyens, rarement contrebalancés par des reportages sur la façon dont elles peuvent être utilisées pour améliorer la vie.

Heureusement, le Programme de développement durable à l’horizon 2030 est un mécanisme de responsabilisation très efficace, et pour les pays qui se sont engagés à atteindre les ODD et souhaitent des données solides pour suivre les progrès, les perspectives sont prometteuses.

D’abord, bien que le financement des données reste un problème urgent, beaucoup comprennent maintenant l’intérêt d’investir dans des systèmes de données ainsi que dans le renforcement des capacités. Le Forum mondial des Nations Unies sur les données, qui s’est tenu du 18 au 21 octobre 2020 à Berne, en Suisse, pourrait représenter une occasion d’envoyer un message sur la coopération et de progresser à cet égard.  

Ensuite, avec autant d’outils de gestion des données facilement disponibles, le défi n’est pas de savoir si cela peut être mesuré en temps opportun, mais plutôt comment adopter de nouvelles méthodes et s’assurer de les conserver.

Enfin, lorsqu’il s’agit de données actualisées, la sagesse du public n’a jamais été aussi essentielle : l’échange de bonnes pratiques en matière de protection des données et de confidentialité, des cadres juridiques et l’assurance de la qualité pour les acteurs non traditionnels issus de la société civile et du secteur privé ne sont que quelques-uns des domaines où le dialogue et la coopération internationale permettent de réaliser des progrès rapides.

L’initiative Data for Now

Une nouvelle initiative appelée Data for Now, menée par le Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies, le Partenariat mondial pour les données du développement durable, le Réseau des solutions pour le développement durable et la Banque mondiale, a été annoncée en septembre 2019 par Amina J. Mohammed, la Vice-Secrétaire générale, lors de la 74e session de l’Assemblée générale des Nations Unies. Elle vise à remédier au « pilotite » dont souffre la communauté internationale. Huit Gouvernements ont signé en tant que « pays pionniers » : le Bangladesh, la Colombie, le Ghana, la Mongolie, le Népal, le Paraguay, le Rwanda et le Sénégal. Lors d’un atelier de lancement en novembre 2019, ces Gouvernements ainsi que 60 experts issus d’organismes des Nations Unies, d’entreprises technologiques et d’ONG, se sont penchés sur les secteurs dans lesquels les organismes nationaux de statistiques ont identifié des retards de données comme particulièrement nuisibles ou induisant des gaspillages, notamment l’agriculture, la gestion des catastrophes, l’éducation, la foresterie, la migration, la cartographie de la pauvreté, les transports, la planification urbaine et l’eau. En se concentrant sur des voies et des approches spécifiques à des problèmes communs, les pays espèrent adopter des méthodologies établies et débloquer des ressources pour institutionnaliser le changement. Alors qu’une « décennie de résultats » en matière d’ODD est de plus en plus probable, l’espoir est que la dynamique se renforce au cours de cette année.

Dans tous les pays qui s’efforcent d’atteindre les ODD, le manque de données nous empêche de comprendre réellement qui est aidé ou en difficulté avant qu’il ne soit trop tard pour rectifier le tir. La lutte pour l’obtention de données actualisées permettra d’accélérer les progrès pour le bénéfice de la planète et celui de ses habitants.

Cliquez ici pour avoir un meilleur aperçu de l’initiative Data for Now et comprendre comment le Rwanda utilise les données actualisées.

Notes

1Nations Unies, Département des affaires économiques et sociales, « Le rapport sur les objectifs de développement durable 2019 », (New York, 2019), p. 3. Disponible sur le site https://unstats.un.org/sdgs/report/2019/.

2Nations Unies, Département des affaires économiques et sociales, « Le rapport sur les objectifs de développement durable 2018 », (New York, 2018), p. 16. Disponible sur le site https://unstats.un.org/sdgs/report/2018/.

3Banque mondiale, « Research », PovcalNet. Disponible sur le site http://iresearch.worldbank.org/PovcalNet/povOnDemand.aspx (consulté le 8 janvier 2020).

4Claire Melamed, « La course à l’innovation devrait s’appuyer sur les systèmes de données de base », Chronique de l’ONU, vol. LV, n° 3 et 4 (décembre 2018), pp. 58-60. Disponible sur le site https://www.un.org/en/chronicle/article/race-innovate-development-should-not-leave-foundational-data-systems-behind.

5David Lobell, « Big data has transformed agriculture—in some places, anyway », Scientific American, 18 avril 2019. Disponible sur le site https://blogs.scientificamerican.com/observations/big-data-has-transformed-agriculture-in-some-places-anyway/.

6Claire Melamed, déclaration lors de l’atelier de lancement de l’initiative, Institut national des statistiques du Rwanda, 13 novembre 2019.

7Gartner, « Gartner Hype Cycle ». Disponible sur le site https://www.gartner.com/en/research/methodologies/gartner-hype-cycle (consulté le 8 janvier 2020).

La Chronique de l’ONU ne constitue pas un document officiel. Elle a le privilège d’accueillir des hauts fonctionnaires des Nations Unies ainsi que des contributeurs distingués ne faisant pas partie du système des Nations Unies dont les points de vue ne reflètent pas nécessairement ceux de l’Organisation. De même, les frontières et les noms indiqués ainsi que les désignations employées sur les cartes ou dans les articles n’impliquent pas nécessairement la reconnaissance ni l’acceptation officielle de l’Organisation des Nations Unies.