8 juin 2020

L’environnement marin et côtier du Kenya

La côte kényane s’étend sur 600 km, de la frontière avec la Somalie, au nord, à la Tanzanie, au sud. Avec l’émergence de la pandémie mondiale de COVID-19, le paysage côtier et marin du Kenya a changé d’une manière qui était inimaginable il y a quelques mois. La côte offre de nombreuses activités économiques qui soutiennent les communautés locales ainsi que l’ensemble de la population kényane. Elle abrite un réseau unique d’écosystèmes marins interdépendants, y compris des mangroves, des prairies sous-marines et des récifs coralliens, qui sont des habitats essentiels. Ce sont des zones d’alevinage, d’alimentation et de reproduction de différentes espèces, dont certaines sont endémiques et menacées d’extinction. Ces écosystèmes interdépendants sont indispensables pour soutenir les cycles hydrologiques, préserver les stocks de carbone, filtrer l’eau polluée, atténuer les effets liés aux changements climatiques et protéger le littoral et la région côtière.

La valeur économique de la protection côtière générée par les récifs coralliens et les mangroves dans l’océan Indien occidental est estimée à 1,2 milliard de dollars par an1. La fourniture de biens et de services durables, qui sont essentiels au bien-être de la société, dépend de la santé et du bon fonctionnement des écosystèmes côtiers et marins. Ceux-ci assurent la sécurité alimentaire et contribuent aux moyens de subsistance, à la santé humaine ainsi qu'à d’autres aspects socioéconomiques, offrant notamment des possibilités futures comme les médicaments et la prospection biologique. La communauté internationale a adopté le Programme de développement durable à l’horizon 2030, qui définit l’avenir comme « l’avenir que nous voulons », tel qu’il est décrit dans les objectifs de développement durable (ODD). Il est clair que ces 17 objectifs identifient les aspirations économiques et environnementales clés de la société pour que tous les pays réalisent un développement durable.

Pour la première fois, les océans et les masses d’eau ont figuré dans l'ODD 14 qui traite de la vie sous-marine. Des pays comme le Kenya se félicitent de l’appel lancé par la communauté internationale pour préserver les océans, les mers et les ressources marines et les exploiter de manière durable. Cela témoigne aussi de l’importance accordée aux aspects liés à la durabilité du développement dans le dialogue émergent concernant l’économie bleue. L’ODD 14, le Plan de développement (Vision 2030) ainsi que les Plans de développement des comtés adoptés par le Kenya (CDP) reconnaissent le rôle des océans dans la préservation des ressources naturelles pour promouvoir le progrès économique. 

Le plan Big 4 Agenda of Vision 2030 du Gouvernement kényan met l’accent sur la sécurité alimentaire et la nutrition, les logements à un coût abordable, la production manufacturière et l’accès universel et équitable aux soins de santé. Afin d’atteindre l’objectif de la sécurité alimentaire et de la nutrition, parmi les secteurs offrant de nombreuses possibilités de croissance économique pour le pays, la priorité a été donnée au secteur de la pêche. L’initiative Blue Economy Initiative (BEI) a mis en évidence la contribution des ressources renouvelables en milieu aquatique ainsi que la contribution potentielle au bien-être socioéconomique, à la sécurité alimentaire et au développement industriel. Les secteurs de l’économie bleue comprennent la pêche, les transports maritimes, les voyages et le tourisme, l’exploitation pétrolière, gazière et minière, les sports aquatiques, la culture, l’industrie cinématographique et, bien entendu, l’agriculture côtière, notamment la mariculture.

La pêche, les transports maritimes, les voyages et le tourisme ont été durement touchés par la pandémie du COVID-19 en raison des restrictions de circulation, comme le couvre-feu et le confinement. Ces mesures mises en place pour réduire les déplacements ont aussi perturbé la chaîne d’approvisionnement en produits de la mer ainsi que la demande pour ces produits et provoqué la rupture d’autres chaînes économiques. Les pêcheurs ont été moins nombreux à partir en mer et les activités touristiques ont également été sérieusement touchées.

Les pêcheries et les moyens de subsistance

La zone de pêche maritime dans les eaux territoriales et la Zone économique exclusive (ZEE) s’étend sur environ 230 000 km2. La capacité de pêche comprend environ 3 000 petites embarcations de pêche et 14 000 pêcheurs qui sont essentiels pour assurer la sécurité alimentaire et de nutrition, fournir des moyens de subsistance et encourager le développement économique des communautés côtières. Plus de 70 % des ménages dépendent directement ou indirectement des emplois créés par les pêcheries artisanales et les activités touristiques. L’importance économique de ces activités est donc cruciale. Avec une production annuelle de 24 709 tonnes de produits de la mer et 4,6 milliards de shillings kényans, 1,2 million de Kényans dépendent directement et indirectement de la pêche (les prises et l’aquaculture)2. Et ce malgré les défis de la surpêche et la diminution des prises, le manque de mesures prises pour reconstituer les stocks de poissons surexploités et les habitats dégradés. Alors que la pandémie de COVID-19 se poursuit, les communautés côtières qui dépendent de la pêche sont particulièrement touchées. Les pêcheurs ne peuvent plus travailler comme avant et les bateaux de pêche sont le plus souvent amarrés, ce qui affecte le marché du poisson. En outre, les propriétaires de bateaux sont peu enclins à dépenser de l’argent en carburant pour pêcher des poissons qu’ils ne pourront pas vendre immédiatement (ce qui est problématique étant donné la nature périssable des produits de la mer), les hôtels et les restaurants étant fermés et les infrastructures de la chaîne du froid n’étant pas très développées. Dans les différents sites de débarquement du poisson situés le long de la côte, les prises ont aussi chuté et les pêcheurs artisans ainsi que les poissonniers, principalement les femmes de Mama karanga, ont été sérieusement touchés.

Un piège du fond utilisé pour la pêche récifale en eaux peu profondes à Mombasa, au Kenya. ©Nina Wambiji

Les perturbations dans la logistique des transports ayant provoqué un certain nombre de licenciements, les activités liées à l’exportation des produits de la mer et des poissons d’aquarium ont connu une forte baisse. De même, le trafic des navires de la marine marchande a enregistré un fort déclin et les marins qui travaillaient à bord des bateaux de croisière sont restés à quai, loin du Kenya ou chez eux. Dans le domaine des sciences océaniques, aux niveaux local, national et mondial, le confinement et le couvre-feu ont eu de graves conséquences sur la recherche scientifique et le recueil des données, les scientifiques n’ayant pas été en mesure d’enregistrer les informations nécessaires pour évaluer l’état des écosystèmes marins et de ceux qui y sont associés.

Tourisme et pêcheries

La côte kényane est un secteur touristique dynamique qui a été aussi bouleversé par la pandémie. Selon les statistiques les plus récentes, 2 048 834 touristes étrangers ont visité le Kenya en 2019 contre 2 025 206 en 20183. Alors que ces chiffres devaient augmenter en 2020, le secteur est actuellement au point mort dû au confinement, ce qui a perturbé l’approvisionnement de l’industrie hôtelière en produits de la mer, en particulier les espèces commerciales les plus prisées comme le homard, les crevettes et la dorade. Cela a clairement mis en évidence le lien étroit entre le tourisme et le secteur de la pêche pendant la pandémie. Il est donc clair qu’au Kenya, une grande partie de l’économie de la pêche est étroitement liée au secteur du tourisme. En outre, très souvent, les pêcheurs proposent aussi aux touristes étrangers des activités d’écotourisme comme la pêche, la plongée ou la découverte de la cuisine locale dans des villages. Ces activités commerciales ont aussi connu une forte baisse.

L’application intersectorielle des connaissances scientifiques

Tout comme l’océan, les sciences océaniques sont vastes. Comme la pandémie l’a clairement démontré, les travaux intersectoriels sont nécessaires entre les océanologues et d’autres secteurs de l’économie bleue autres que celui de la pêche, y compris le tourisme, les industries exploitant les ressources naturelles, comme l’industrie pétrolière, gazière et minière, la mariculture, les activités sportives et culturelles ainsi que les transports et les affaires maritimes. L’objectif consiste à accroître les connaissances scientifiques, à renforcer les capacités de la recherche, à transférer/partager la technologie marine et à lier entre elles toutes les activités de l’économie bleue. Il est aussi nécessaire d’investir dans la diffusion des connaissances scientifiques pertinentes et de les faire mieux connaître afin que ces efforts de collaboration soient pris en compte dans nos dialogues nationaux. 

Il est important de reconnaître que les partenariats intersectoriels et les efforts de collaboration ont pris du retard, ce qui a eu pour effet de limiter la production, l’archivage et le partage des données, l’innovation et la technologie marine. C’est pourquoi cette situation nécessitera une attention particulière aux niveaux local, national et mondial, en particulier pendant la Conférence des Nations Unies sur les océans tant attendue en 2020, qui a été reportée en raison de la pandémie. Nous sommes tous convaincus que lors de ce rassemblement mondial, qui sera organisé conjointement par le Kenya et le Portugal, les aspirations de la Décennie des Nations Unies pour les sciences océaniques au service du développement durable (2021-2030) pour guider le développement de l’économie maritime mondiale, seront non seulement adoptées, mais aussi soutenues.

La pêche à la crevette au chalut dans la baie de Malindi Ungwana, au Kenya. ©Johnstone Omukoto

Conclusions et recommandations

La pandémie de COVID-19 constitue une menace pour la lutte contre les changements climatiques, lesquels sont ajoutés à la liste des facteurs de risque associés au développement durable et à l’exploitation des ressources océaniques. En raison de la pandémie, le couvre-feu, le confinement partiel, la suspension des vols et des transports internationaux et la restriction des déplacements ont provoqué non seulement une rupture de la chaîne d’approvisionnement en produits de la mer, mais aussi affecté le secteur du tourisme. Ceci a provoqué la disparition presque totale des moyens de subsistance liés aux activités de la pêche, au tourisme et à d’autres activités économiques associées.

Les connaissances issues des sciences océaniques sont importantes pour comprendre les mesures de conservation visant à préserver les environnements dont dépendent le secteur de la pêche et le tourisme. Nous sommes convaincus que cette compréhension du milieu sous-marin produira de nombreux résultats positifs et débouchera sur des innovations dans les domaines suivants : 

1. Le lancement de nouvelles études du milieu marin, menées à distance à l’aide d’applications mobiles, pour recueillir des données pouvant être analysées par des océanologues afin de fournir des informations sur l’état des ressources halieutiques et de l’environnement, de lutter contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée, et de renforcer la sécurité dans l’espace maritime national;

2. La promotion de l’innovation en matière de restauration des habitats afin de développer le tourisme expérientiel à la fois pour les visiteurs locaux et internationaux;

3. Le soutien des communautés en vue de développer l’écotourisme et autres initiatives pouvant servir de destinations durables pour le tourisme et les activités liées à l’économie bleue;

4. L’élaboration d’un plan relatif à l’espace maritime où 30 % de l’espace maritime national serait protégé afin de veiller à ce que la conservation et l’exploitation durables de l’océan ainsi que la protection de l’environnement maritime soient encadrées par un plan-cadre national; et

5. Le renforcement de la base du projet Ocean Teacher Academy et du National Institute for Ocean Science and Technology afin que la population mondiale soit pleinement consciente et bien informée des liens uniques et inextricables qui les unit aux océans.

Notes 

1. David Obura et al., Reviving the Western Indian Ocean Economy: Actions for a Sustainable Future (Gland, Suisse, Forum mondial de l’eau, 2017), p. 19. Disponible sur le site https://sustainabledevelopment.un.org/content/documents/13692WWF2.pdf.

2. Edward Kimani, Christopher Aura et Gladys Okemwa, dir., The Status of Kenya Fisheries: Towards the Sustainable Exploitation of Fisheries Resources for Food Security and Economic Development (Mombasa, Kenya, Kenya Marine and Fisheries Research Institute, 2018), p. vii. Disponible sur le site https://www.kmfri.co.ke/images/pdf/Status_of_Fisheries_Report_New_31-10-2019.pdf.

3. Patrick Alushula, « Kenya's tourism earnings grow to $1.6b as 2019 arrivals stay above 2m », The East African, 10 janvier 2020. Disponible sur le site https://www.theeastafrican.co.ke/business/Kenya-tourism-earnings-grow-in-2019/2560-5413508-timn7fz/index.html.

La Chronique de l’ONU ne constitue pas un document officiel. Elle a le privilège d’accueillir des hauts fonctionnaires des Nations Unies ainsi que des contributeurs distingués ne faisant pas partie du système des Nations Unies dont les points de vue ne reflètent pas nécessairement ceux de l’Organisation. De même, les frontières et les noms indiqués ainsi que les désignations employées sur les cartes ou dans les articles n’impliquent pas nécessairement la reconnaissance ni l’acceptation officielle de l’Organisation des Nations Unies.