6 août 2018

Depuis octobre 2017, plus d’un million de femmes dans le monde ont partagé leurs expériences et exprimé leur solidarité avec leurs sœurs sous la bannière #MeToo. Elles ont dit que cela suffisait. Trop longtemps, les femmes ont été victimes de violences dans leur foyer, dans les espaces publics et sur le lieu de travail. Trop longtemps, ces abus ont été normalisés, la voix des femmes n’a pas été entendue et leurs témoignages ont été mis en doute.

On estime qu’un milliard de femmes dans le monde souffrent de violences sexistes. Elles ne portent pas toujours plainte auprès des autorités, mais les données recueillies auprès de dentistes, de chirurgiens, de spécialistes de la santé mentale, des urgences et de la morgue que l’Organisation mondiale de la santé nous a aidées à rassembler illustrent le fait que la violence à l’égard des femmes est une crise sanitaire mondiale. Nous ne pouvons pas tolérer que cette situation se poursuive pour une autre génération.

Nous sommes à un tournant décisif, un moment que nous devons saisir à deux mains : #TimeIsNow (l’heure est venue). Pour amplifier ce message de solidarité et de détermination, des vedettes d’Hollywood ainsi que des millions d’utilisateurs de réseaux sociaux dans le monde se sont associés à des femmes et à des filles de régions rurales, à des étudiantes, à la société civile et à d’autres dont les voix ont été ignorées. En Afrique, des militantes et des victimes ont dénoncé les mutilations génitales féminines (MGF) et le mariage d’enfants. À leur tête se trouvent des femmes comme Jaha Dukureh, ambassadrice de bonne volonté régionale d’ONU-Femmes pour l’Afrique, afin de mettre un terme aux mutilations génitales féminines et au mariage d’enfants. En Amérique latine, des femmes sont descendues dans la rue pour protester contre l’assassinat de la militante des droits de l’homme Marielle Franco et pour dénoncer le féminicide par le biais de la campagne « Ni una menos » (« Pas une de moins »). En Suède, une lettre ouverte de centaines d’actrices partageant leurs expériences et demandant la tolérance zéro pour le harcèlement a conduit des milliers de femmes issues de tous les secteurs de la société à se faire l’écho de ces demandes. 

Pendant cette période, nous avons appris deux leçons cruciales. D’abord, nous avons vu que la solidarité féminine est une force. Le nombre important de femmes qui se sont jointes à ce mouvement et qui ont manifesté leur soutien, leur sympathie et leur compréhension a permis de leur donner du courage. Donner aux femmes une chance de faire part de leurs expériences douloureuses et, finalement, de trouver un soulagement sert de thérapie collective gratuite et ouverte à toutes. Partout, les femmes peuvent dire « moi aussi », que ce soit pour dire que cela leur est arrivé ou qu’elles apportent leur soutien à la cause. Deuxièmement, ce mouvement a permis de mettre l’accent sur les responsabilités et de lutter contre l’impunité. Jusqu’ici, cela a été difficile à réaliser, les personnes influentes pouvant commettre des délits en toute impunité. Nous devons considérer le mouvement #MeToo comme une étude de cas prouvant que nous sommes tous égaux devant la loi. La campagne doit aller plus loin, visant à ce que ceux qui élaborent les lois et occupent des fonctions électives dans les pays du monde entier aient des moyens efficaces de combattre l’impunité. À ONU-Femmes, nous utilisons notre présence mondiale pour soutenir ce grand mouvement afin que personne ne soit laissé de côté.

À cet égard, il est important que le mouvement #MeToo lutte contre la discrimination qui touche toutes les personnes, en prenant en compte les diverses expériences des LGBTQI, des femmes handicapées, des veuves, des femmes de couleur, des femmes autochtones et d’autres groupes marginalisés. Alors que le Programme 2030 ne peut pas être réalisé sans l’égalité des sexes, la violence à l’égard des femmes et des filles ne peut être éliminée sans une approche intersectorielle qui inclut la recherche, l’élaboration de politiques, un financement approprié et la mobilisation.

Un moyen essentiel de lutter contre la discrimination consiste à s’attaquer à la violence à l’égard des femmes, y compris au harcèlement sexuel sur le lieu de travail. L’indépendance économique des femmes est cruciale pour qu’elles puissent participer pleinement à la société. Le mouvement #TimesUp, #MeToo et autres mouvements de ce genre se sont propagés dans le monde parce que des femmes actives ont demandé à être entendues et à travailler sans risque de harcèlement sur leur lieu de travail. Leurs témoignages ont mis en lumière des cas de violence, de harcèlement et d’abus sexuels touchant tous les secteurs, privé et public, ainsi que dans les économies formelles et informelles. Les victimes ne doivent pas être les seules à porter le fardeau. Les supérieurs hiérarchiques, les parties prenantes, les ressources humaines et les clients doivent aussi assumer leurs responsabilités. On ne mettra fin à ce problème que lorsque nous prendrons tous nos responsabilités et travaillerons ensemble, unis dans nos efforts.  

L’un des moyens d’atteindre cet objectif réside dans l’initiative Spotlight, élaborée conjointement par l’Union européenne et les Nations Unies, qui tire parti de la force et de l’expérience des divers partenariats afin que des efforts concertés soient entrepris pour éliminer la violence à l’égard des femmes et des filles en Afrique, en Asie, en Amérique latine, dans le Pacifique et dans les Caraïbes. Avec une contribution initiale de l’Union européenne d’un montant de 500 millions d’euros sur une période de cinq ans, l’initiative utilisera les ressources pour renforcer la législation, les politiques, les institutions, la prévention, les services et les données afin de mettre fin à la violence et de promouvoir l’égalité des sexes.

Au sein du système des Nations Unies, nous devons aussi passer de la parole aux actes. La promotion de l’égalité des sexes sur le lieu de travail commence au sein de nos propres institutions. Le Secrétaire général des Nations Unies s’est engagé à soutenir une politique de tolérance zéro contre le harcèlement sexuel, présentant un plan en cinq points destiné à traiter la question au sein du système. À ONU-femmes, je viens de nommer Purna Sen, notre Directrice de la Division des politiques, au nouveau poste de Coordinatrice exécutive et Porte-parole de l’entité sur le harcèlement sexuel et les autres formes de discrimination. Plaçant l’expérience des femmes au cœur du travail d’ONU-Femmes sur le harcèlement sexuel, elle mettra en avant les approches axées sur les victimes et aidera à prendre des mesures décisives pour y mettre fin.

Nous soutenons aussi fermement le travail de la société civile et les organisations féminines dans le monde, y compris par le biais du Fonds d’affectation spéciale des Nations Unies à l’appui de la lutte contre la violence à l’égard des femmes qui, depuis 20 ans, est le fonds le plus important dans le monde consacré à l’élimination de la violence à l’égard des femmes et des filles. Quel que soit le lieu où nous nous trouvons, nous travaillons avec la société civile, une alliée de taille et de longue date, qui soutient notre action.

Les abus et le harcèlement sexuels relèvent aussi de la responsabilité des hommes. Alors que les femmes assument la responsabilité de défendre les droits de leurs sœurs, les hommes doivent aussi assumer la leur vis-à-vis des agissements de leurs frères. Avec le mouvement #TimeIsNow, l’heure est venue d’écouter les femmes et les filles et de travailler avec les hommes et les garçons pour démanteler les normes et les stéréotypes négatifs. Les hommes doivent agir sur le lieu de travail et dans leur famille pour mettre fin à la violence et au harcèlement et changer la façon dont ils parlent des femmes et les traitent.

Le mouvement HeForShe mobilise les hommes et les garçons dans la lutte pour l’égalité des sexes en leur demandant de se faire les champions des droits des femmes et de redéfinir la masculinité. Jusqu’ici, près de 1,3 million d’hommes dans le monde, y compris des chefs d’État, des cadres supérieurs et même l’homme le plus rapide du monde, Usain Bolt, se sont engagés à tenir cette promesse. Le mouvement #MeToo continue de progresser. Il faut que les femmes soient de plus en plus nombreuses à se joindre à nous pour former un mouvement de résistance solide, inébranlable.

Au XIXe siècle, les peuples ont combattu dans le monde entier pour mettre fin à l’esclavage. Au XXe siècle, la lutte contre le racisme et le colonialisme a réveillé la conscience du monde. La lutte contre le sexisme, les violences sexistes et toutes les formes d’oppression des femmes est l’un des grands défis du XXIe siècle.

Lorsque je considère ces luttes et que je me sens frustrée par le rythme lent des changements, je me console souvent en me remémorant les paroles de Nelson Mandela : « Cela semble toujours impossible jusqu’à ce que ce soit fait. » L’égalité des sexes d’ici à 2030 semblera impossible à réaliser jusqu’à ce que les hommes s’associent aux femmes dans leur combat pour l’égalité dans chaque sphère de la société. Lorsque nous travaillons tous ensemble, hommes et femmes, vedettes de cinéma et agriculteurs, directeurs et employés, citoyens et responsables politiques, nous pouvons accomplir l’impossible.
 

Notes

« 6,000 female lawyers are calling out sexual abuse in the Swedish legal industry – and it’s just the tip of the iceberg », Business Insider Nordic, 16 novembre 2017. Disponible sur le site http://nordic.businessinsider.com/6000-swedish-female-lawyers-are-callin....