Le climat de la Terre enregistre des variations et au cours les derniers milliers d'années a connu des périodes de réchauffement et de refroidissement. Au XVIIe siècle, le Sud de l'Europe a connu des hivers rudes et longs, appelés le « petit âge glaciaire ». Dans les tableaux des grands maítres flamands, les canaux sont gelés et la Hollande est couverte de neige.
LE PETIT ÂGE GLACIAIRELa période de refroidissement s'est terminée au milieu du XIXe siècle et, depuis, le climat a commencé à se réchauffer, plus rapidement dans les régions polaires. À partir de 1920, les températures annuelles moyennes ont augmenté de 2 à 4 °C dans l'Arctique, accompagnées d'une activité cyclonique fréquente dans les latitudes septentrionales. Les glaciers ont reculé presque partout. En 1950, la superficie des glaciers a diminué de 25% en Suisse et de 15% dans le Caucase. Même si les glaciers ont avancé de manière sporadique dans les années 1920 et 1960, ces périodes de refroidissement ont été courtes et d'une portée limitée. En 2000, la hausse des températures a été observée partout dans le monde.

Le réchauffement global a suscité de vives inquiétudes et de nombreux débats parmi les scientifiques et autres décideurs. « Les rapports d'évaluation du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) de l'ONU ont établi que la température de l'air à la surface du globe augmentait. Il ne fait aucun doute que ce réchauffement est l'un des facteurs qui contribue à la fonte rapide des glaciers et des calottes glaciaires, à l'exception de l'Antarctique qui contient 90% de la glace du globe. En effet, les études menées sur la calotte glaciaire de l'Antarctique au cours des 50 dernières années montrent que, malgré les erreurs de calcul, la masse glaciaire n'a pas diminué, ce qui démontre sa stabilité. Toutefois, l'élévation progressive du niveau de la mer due à la dilatation thermique des océans et à la fonte de la calotte glaciaire du Groenland et à d'autres glaciers polaires et alpins revêt une importance cruciale pour les populations côtières.

C'est dans ce contexte de changement climatique que je tenterai d'expliquer comment les glaciers deviennent instables ou avancent brusquement, menaçant les populations, et comment surveiller ces mouvements.
LES SURGES GLACIAIRES, UNE CATÉGORIE À PARTParfois, les glaciers avancent rapidement en raison d'une diminution de glaciation-terme qui désigne la croissance et la superficie d'un glacier. Par exemple, en 1963, le glacier Medvezhiy «s'est réveillé» et a descendu la pente occidentale de la montagne Academia Nauk, la plus élevée du massif du Pamir en Asie centrale. La vitesse normale du glacier était de 220 à 400 mètres par an, soit moins d'un mètre par jour. Mais en avril 1963, sa vitesse s'est soudainement accélérée, et il a dévalé la vallée à une vitesse de 100 mètres par jour. En un mois, la langue frontale mesurait près de 2 km, a divisé la vallée en deux, formant un lac de 8 mètres de profondeur. Le barrage de glace a cédé sous la pression de l'eau et l'eau s'est déversée dans le fleuve Vanch à 1 000 mètres cubes par seconde, charriant des blocs de glace et des débris rocheux (fig. 2).

Ce phénomène a donné lieu à une étude sur l'avancée rapide des glaciers en ex-Union soviétique. À partir de 1963, une expédition spéciale a étudié le glacier, enregistrant minutieusement les observations afin de constituer une base pour prévoir la prochaine avancée. Suite à plusieurs études sur le glacier, il a été possible de prévoir la prochaine avancée et son ampleur. Elle a eu lieu durant l'été de 1973. C'était la première fois que les scientifiques avaient pu prévoir une catastrophe glaciaire. Quelques mois plus tard, au printemps 1973, le glacier a de nouveau commencé à avancer. En l'espace de deux mois, sa langue mesurait 1,8 km et a recouvert les dépôts de son avancée dix ans auparavant. Comme précédemment, il a bloqué l'affluent dans la vallée, le barrage de glace s'est rompu sous la pression de l'eau du lac inondant les localités voisines à un débit de 1 000 mètres cubes par seconde.

Depuis les années 1960 et 1970, les études sur les surges glaciaires, en particulier celle du Medvezhiy, ont permis de réunir des informations scientifiques sur la structure et la nature des glaciers. Il s'est avéré qu'un glacier répète son avancée à des intervalles presque réguliers si les conditions extérieures ne changent pas. Toutefois, même dans des conditions géographiques similaires, tous les glaciers ne se ressemblent pas. Le Medvezhiy, par exemple, a avancé tous les 9 à 17 ans. Selon des données et des observations locales indirectes, le glacier a avancé en 1937 et en 1951, alors que les observations directes ont indiqué des mouvements en 1963, 1972 et 1989.

Les surges glaciaires ne sont pas liées aux variations climatiques et peuvent se produire alors même que le glacier recule. Cela fait partie du comportement de certains glaciers et ne constitue pas la preuve d'une avancée brusque. La période qui s'écoule entre le début d'une surge et sa fin est appelée une pulsation et, de fait, des pulsations périodiques se produisent en raison de l'instabilité du glacier. La force de friction produite au lit brise la glace. Des centaines de glaciers en mouvement sont aujourd'hui connus dans de nombreuses régions glaciaires, les plus nombreux se trouvant en Alaska, en Islande, à Spitsbergen-la plus grande íle de l'archipel du Svalbard dans l'océan Arctique-ainsi que dans les montagnes d'Asie centrale et du Pamir.

Une pulsation consiste en deux phases : une surge et une régénération. Pendant une surge, un glacier libère la tension accumulée lors de sa précédente régénération. Le glacier se disloque, sa vitesse de glissement s'accélère et la masse glaciaire située en haut du glacier se déplace vers les parties médiane et inférieure. En même temps, les parties supérieures et inférieures du glacier se rapprochent, provoquant un allongement de la langue. Une fois la surge terminée, la régénération débute lorsque la glace s'accumule dans la partie de pulsation supérieure et que l'extrémité frontale de la partie activée bouge graduellement.

Mais il reste une question à résoudre : quelle différence y a-t-il entre un glacier «normal» et un glacier « en surge » et un glacier normal peut-il se transformer en un glacier en surgé? Une chose est sûre, comme je l'ai mentionné plus haut, l'activité d'un glacier ne provoque pas toujours une surge. Mais le mouvement modifie sa structure et son régime : lorsque sa vitesse s'accélère, des crevasses se forment dans lesquelles s'amoncellent des débris rocheux et de nouveaux dépôts morainiques.
LES CAUSES ET LES MÉCANISMES DES SURGES GLACIAIRESGénéralement, les surges glaciaires surviennent lorsque les vallées étroites ou la couverture morainique retiennent la glace, ce qui provoque une instabilité. Les observations directes d'un changement dans le mouvement d'un glacier au début d'une surge glaciaire sont malheureusement encore très rares et les causes ne sont pas clairement établies. Aujourd'hui, certaines hypothèses sont proposées pour tenter d'en expliquer le mécanisme.

La vitesse d'un glacier augmente soudainement soit à cause de l'intensification des forces qui agissent (principalement la gravité) soit à cause de la réduction de la friction à l'intérieur du glacier et au lit de la montagne. Ces deux processus sont liés entre eux. Le flux de la glace augmente soudainement après avoir dépassé une charge maximale, un phénomène dû à l'accumulation de la glace dans le réservoir du glacier au cours des années.L'un des facteurs qui augmente le glissement du glacier le long du lit est la formation d'une pellicule d'eau. Des obstacles de petite taille (de plusieurs centimètres) sur le lit rocheux résistent au glissement de la glace jusqu'à ce qu'elle fonde et forme une pellicule d'eau égale au volume des obstacles. Les glaciers avancent alors soudain lorsqu'une couche de neige de 25 à 50 mètres d'épaisseur s'accumule peu à peu sur la surface, dépassant la masse critique d'un glacier et provoquant son glissement sur une nappe d'eau. Plus le glacier est épais, plus la coulée de glace aura des difficultés à pénétrer dans les parties inférieures, tandis que le flux géothermique reste inchangé. Une surge provoque également une diminution de l'épaisseur du glacier et les températures à sa base tombent au-dessous de zéro, ce qui ralentit son mouvement.

L'accélération de la vitesse des glaciers peut également s'expliquer par l'apparition de zones creuses, remplies d'eau, entre la glace et le lit du glacier, qui sont sous pression; la glace bouge au-dessus des vires du glacier et le long des irrégularités du lit dû à la fonte et au regel de l'eau fondue, ainsi qu'à la déformation plastique de la glace.
UNE CATASTROPHE DANS LE CAUCASE Le Kolka, un petit glacier de 3 km de long situé sur le versant nord de la montagne de Kazbek, l'un des sommets les plus hauts du Caucase, fait partie de la catégorie des surges glaciaires. Il a avancé en 1902, puis de nouveau en 1969 où il a doublé de taille et provoqué une coulée épaisse de boue et des éboulis de roches gelées. Selon les prévisions, une surge glaciaire devait avoir lieu dans les années 2030. Elle s'est produite bien avant.

Le 20 septembre 2002, d'immenses masses de glace, d'eau et de roches ont dévalé une partie de la vallée jusqu'à la crête de la montagne de Skalisty, formant un lac et un barrage de 100 m d'épaisseur et de 4 km de long (fig. 3). Près de 110 millions de mètres cubes de glace ont couvert les gorges étroites de la vallée. Sous la pression, le barrage a rapidement cédé et cette masse de glace a dévalé le versant par «vagues» (fig. 3), déposant des blocs de glace et de roches qui ont formé une barre de 100 à 140 mètres au-dessus du lit de la rivière. Plus loin, une coulée de boue épaisse charriant des blocs de glace a parcouru 12 km causant d'importants dégâts et tuant 130 personnes1.

Suite à ce phénomène inattendu, on s'est intéressé de plus près au cirque glaciaire (une dépression de forme circulaire sur le versant des montagnes). Il s'est avéré que le glacier était complètement sorti de son lit. Un phénomène d'une telle intensité n'avait jamais été observé nulle part ailleurs, car le Kolka n'était pas un glacier suspendu : il était situé dans un cirque et comportait une légère pente de surface de 7 à 9°. Un tel phénomène n'a pu se produire que par l'accumulation d'un important volume d'eau sous le glacier dû à la fonte anormale de la glace et de la neige dans la région alpine du Caucase quatre ans auparavant. Une eau abondante sur les pentes voisines et l'épaisseur de la glace avaient préparé le glacier à une nouvelle catastrophe, avec une avalanche de glace et de roches conjugée à des événements volcaniques et séismiques.

Cette catastrophe a démontré la nécessité de surveiller et d'observer en permanence les mouvements rapides des glaciers.
LA SURVEILLANCE DES GLACIERSOn a remarqué certains changements avant la survenue d'une surge glaciaire: la langue du glacier prend la forme d'une goutte d'eau; des lignes de faille et des zones de glace broyée apparaissent sur les bords du glacier; des crevasses se forment; la langue s'étire et atteint d'autres glaciers; et des pentes de la montagne et des lacs se forment. Après une surge glaciaire, l'extrémité supérieure de la langue est un amas chaotique de blocs de glace.

Les photos prises par satellite et les observations aériennes et terrestres sont spécialement importantes pour étudier et observer les surges glaciaires. Je me suis familiarisé avec ce phénomène dans le Pamir où de nombreux glaciers ont avancé entre 1972 et 1977. À l'aide des photos prises par satellite et les stations mises en orbite, plus de 20 surges ont été découvertes entre les années 1960 et 1990 dans la chaíne du Pamir en Asie Centrale.

Un inventaire des surges glaciaires dans le Pamir a été publié il y a dix ans2, à partir d'études réalisées entre 1971 et 1991 uniquement par des satellites russes. Au total, 630 glaciers montrant des signes d'instabilité ont été découverts dans cette région, y compris 51 avec des larges surges fixes, 215 montrant des signes d'activité et 464 montrant des signes de surges passées ou d'activité instable.

Je propose d'établir, à partir d'observations terrestres, aériennes et spatiales, un système de surveillance des changements de la taille et de la forme des surges glaciaires et de leur dynamique3. Les observations terrestres comprennent l'établissement des mesures de fluctuations des glaciers à l'aide des méthodes géodétiques, la mise en place de stations météorologiques pour l'étude des glaciers et la réalisation d'études sur le terrain. Les observations aériennes comprennent la surveillance aérienne et les relevés aérophotogrammétriques périodiques à distance. Les observations spatiales comprennent les photos prises par satellite avec une résolution de 15 à 20 m. Actuellement, ces informations sont fournies par le radiomètre aster (Advanced Spaceborne Thermal Emission and Reflection Radiometer), résultat d'une coopération entre la NASA et le Japon, installé à bord du satellite Terra; par le satellite Landsat 7; ainsi que par la section russe de la Station spatiale internationale où les cosmonautes photographient les glaciers.

Pendant le réchauffement climatique, les surges de certains glaciers sont un phénomène auquel nous n'avons pas encore trouvé de solutions et qui nécessite une recherche nationale et internationale.

Il faut souligner que le changement climatiques est un phénomène très difficile à comprendre et qu'il n'est toujours pas possible de savoir quels facteurs-naturels ou anthropiques-au cours des dernières décennies sont à l'origine du réchauffement. Il reste encore de nombreuses incertitudes. Les estimations du GIEC sont très larges et ne peuvent donc prévoir avec certitude l'émergence d'un âge glaciaire sur Terre-du moins pas dans les décennies ou les siècles à venir.
Notes1 Kotlyakov V.M., Rototaeva O.V., Desinov L.V., Osokin N.I. Causes and effects of a catastrophic surge of Kolka Glacier in the Central Caucasus/Zeitschrift für Gletscherkunde und Glazialgrologie, 2004, Bd. 38, Ht. 2, s. 117-128.
2 O sipova G.B., Tsvetkov D.G., Rudak M.S. Inventory of the Pamirs surging glaciers/Data of Glaciological Studies, 1998, issue 85, pp. 3-136 [en russe].
3 Kotlyakov V.M., Osipova G.V., Tsvetkov D.G. Monitoring surging glaciers of the Pamirs, Central Asia from space/Annals of Glaciology, 2008, vol. 48, pp. 125-133.