Les pandémies sont principalement des flambées de maladies infectieuses qui se transmettent d’un être humain à un autre et se propagent dans le monde1. Au-delà des conséquences débilitantes, parfois fatales pour les personnes touchées, elles ont des conséquences négatives sur les plans social, économique et politique. Celles-ci tendent à être plus marquées lorsque la pandémie est due à un pathogène nouveau, que le taux de mortalité et d’hospitalisation est élevé et qu’elle se propage rapidement. Selon Lee Jong-wook, ancien Directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les pandémies ne respectent pas les frontières2. Elles peuvent donc menacer simultanément les sociétés, les systèmes politiques et les économies.

Dans les années 1990, une plus grande attention a été portée aux pandémies et à la menace à la sécurité nationale. En 1995, l’Assemblée mondiale de la santé (AMS) a convenu de réviser le Règlement sanitaire international (RSI), le seul cadre juridique international régissant la manière dont l’OMS et ses États membres répondent aux flambées de maladies infectieuses, au motif qu’une révision était nécessaire pour prendre « en compte la menace posée par la propagation internationale des maladies nouvelles et réémergentes3 ». En 2005, les révisions du RSI ont été adoptées en tant que résolution AMS 58.34. L’article 2 stipule que l’objet et la portée de l’instrument consiste à prévenir la propagation internationale des maladies, à s’en protéger, à la maîtriser et à y réagir par une action de santé publique proportionnée et limitée aux risques qu’elle présente pour la santé publique5  ». Depuis son entrée en vigueur en 2007, les États signataires ont travaillé individuellement et ensemble  afin de développer leurs capacités de base en vertu du nouveau cadre.

L’objectif du RSI consiste à prévenir et à maîtriser les urgences de santé publique de portée internationale. Les États membres se sont engagés à renforcer les capacités principales suivantes: la législation, les politiques et le financement, la coordination au niveau national et les communications par l’intermédiaire des points focaux nationaux (PFN), la surveillance, les interventions, la préparation, la communication des risques, les ressources humaines et les services de laboratoire. Sachant que tous les États Membres ne pourraient pas acquérir les huit capacités à l’échéance du 1er juillet 2102, on a demandé aux États concernés d’identifier les domaines où ils avaient besoin d’aide.

La logique politique qui sous-tend le lien entre la santé et la sécurité dans le cadre du RSI souligne leur importance et aide à maintenir la volonté politique nécessaire pour acquérir les capacités de base. La menace mondiale posée par les pandémies a nécessité une approche mondiale à la sécurité, car la transmission rapide des maladies dans un monde globalisé signifie que l’échec de tout membre à développer les capacités pourrait mettre en danger les autres États ou les autres sociétés. En 2013, 110 États membres sur les 195 signataires ont demandé un délai supplémentaire de deux ans pour remplir l’obligation qui leur incombe. Ce chiffre important peut être interprété de deux façons : les États membres ne prennent pas leur engagement au sérieux et la question de la sécurité dans le domaine de la santé reste au stade de bonnes intentions ou bien la plupart des États font face à des défis immenses pour remplir les exigences de capacités de base, en particulier lorsque les systèmes de santé nationaux sont fragmentés, insuffisamment financés et qu’ils manquent de personnel.

À ce stade, la deuxième hypothèse semble plus probable. Des délais multiples ont été établis dans le cadre du RSI, le Règlement révisé étant beaucoup plus exigeant pour les États membres en termes de prévention et de contrôle des pandémies. Dans ces 110 États, les difficultés sont principalement dues à des insuffisances générales des systèmes de santé et ne reflètent pas les objections politiques au RSI ou au partage de la responsabilité en matière de prévention des pandémies6.

En effet, le renforcement des capacités les plus souvent liées à la performance générale des systèmes de santé est le domaine qui a rencontré le plus de difficultés. Selon des chiffres récents, près des deux tiers des États parties qui ont fait état de leurs progrès dans la mise en œuvre du RSI ont montré les meilleures performances dans le domaine de la  surveillance  (avec un score global de 81 %), de l’intervention (78 %) et des événements zoonotiques (78 %) et des performances moindres dans le domaine des ressources humaines (avec une moyenne globale de 53 %), des événements chimiques (51 %) et des événements radiologiques (53 %)7. Quelque 194 États ont désigné des points focaux nationaux. Les évaluations des fonctionnalités de ces points focaux ont révélé qu’ils « reconnaissent l’importance de faire appel à des secteurs gouvernementaux autres que le ministère de la santé, [mais] qu’ils n’ont pas le pouvoir rassembleur nécessaire pour établir des liens solides et fiables8  ». En d’autres termes, la reconnaissance par les PFN de la nécessité de faire appel à d’autres secteurs pourrait aller au-delà du processus politique. Pour le moment, on peut dire que le retard dans la mise en œuvre ne reflète pas un manque de responsabilité envers le RSI, mais réside dans des questions plus profondes qui ont trait aux capacités et aux processus politiques des États. Dans ces circonstances, le fait de considérer les pandémies comme une question de sécurité a renforcé l’engagement en faveur de la coopération internationale et de la préparation aux pandémies, mais certains changements structurels associés prendront plus de temps.

Une des solutions à ce problème a été de promouvoir une approche plus ciblée. « L’objectif [des capacités de base requises au titre du RIS] ne consiste pas seulement à atteindre une couverture de la population la plus large possible, mais aussi à ce qu’il n’y ait pas de failles importantes au niveau national, ce qui pourrait menacer la sécurité sanitaire de tous les pays du monde9  », a déclaré en 2013 Margaret Chan, Directrice générale de l’OMS. Sa déclaration comprend deux concepts liés entre eux : la responsabilité des États à protéger autant de citoyens que possible et leur responsabilité en matière de sécurité sanitaire entre les États. La relation entre la sécurité individuelle, nationale et internationale est liée à l’introduction de concepts tels que la « sécurité humaine » et la « souveraineté en tant que responsabilité » dans l’après-guerre froide, qui associaient la capacité de l’État à assurer sa population de sa légitimité nationale et internationale. La principale critique de cette approche fondée sur une vision réaliste du monde était que les États, recherchant leur propre intérêt personnel, n’engagent des ressources à la sécurité humaine que lorsqu’ils en bénéficieraient directement. Cette critique suggère que le cadre du RSI est principalement destiné à protéger les États, en particulier les États développés, des maux économiques et autres maux causés par les pandémies et non à promouvoir la sécurité humaine. Penser que la priorité sera donnée aux capacités de base en matière de prévention des pandémies dans les États où, par exemple, la couverture des soins de santé n’est pas universelle a soulevé la question de savoir qui bénéficie réellement de la gestion sécuritaire de la santé.

La question est légitime, mais ne prend pas en compte les débats qui ont eu lieu sur la sécurité de la santé depuis les années 1990. Aujourd’hui, les débats concernant l’après-2015, la date butoir des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), portent principalement sur la promotion de la santé universelle10. En 2007, la Déclaration ministérielle d’Oslo par les Ministres des affaires étrangères de l’Afrique du Sud, du Brésil, de la France, de l’Indonésie, de la Norvège, du Sénégal et de la Thaïlande a défini dix domaines prioritaires qui incluent la santé et le développement :  « un partenariat mondial visant à surmonter les obstacles à la fois structurels et économiques au développement et à la santé est essentiel pour atteindre les OMD et réduire les vulnérabilités face aux maladies infectieuses nouvelles et émergentes11) » (mis en italique par l’auteur).

Suite à cette Déclaration, l’Assemblée générale a adopté une résolution sur la santé mondiale et la politique étrangère12. En décembre 2012, elle a renforcé le lien entre sécurité et santé universelle en appelant les États à « reconnaître les liens entre la promotion de la couverture de la santé universelle et les autres questions de politique étrangère, comme la dimension sociale de la mondialisation, la cohésion et la stabilité, la croissance partagée et équitable et le développement durable, la viabilité des mécanismes de financement nationaux et l’importance de la couverture universelle dans les systèmes de santé nationaux13 ».

Cette approche s’oppose clairement au cynisme et montre un nouveau consensus, à savoir que la sécurité en matière de santé repose sur des systèmes de santé universels et équitables dont dépend l’application continue des capacités de base du RSI. Il faut donc veiller à ce que l’accès aux capacités de base et leur partage soit équitable au sein des sociétés et entre elles et à ce que les progrès réalisés dans l’application du RSI n’affaiblissent pas involontairement les autres aspects du système de santé.

En Asie du Sud-Est, par exemple, des progrès ont été réalisés malgré des priorités et des intérêts politiques concurrents. Située sur le parcours de grandes routes commerciales, la région, qui a déjà prouvé qu’elle était à l’épicentre des nouvelles maladies infectieuses (le syndrome respiratoire aigu sévère [SRAS], la dengue hémorragique, les complications graves causées par l’entérovirus et les souches de la grippe comme l’H5NI et l’H7N9), comprend des États faisant face à une transition politique, à des troubles civils, à des conflits armés latents et réels et de nombreux autres sortant de conflits armés. Les différences en termes de richesse, de couverture de santé et de gouvernance sanitaire sont également marquées.

Depuis 2004, suite au SRAS, les États Membres de Bureau régional de l’OMS pour l’Asie du Sud-Est (SEARO) et du Bureau régional de l’OMS pour le Pacifique oriental (WPRO) se réunissent pour élaborer une stratégie afin de faire face aux flambées de maladies infectieuses. Le cadre de la Stratégie de lutte contre les maladies émergentes pour l’Asie et le Pacifique (SMEAP) a été adopté en 2005. La SMEAP visait à aider les pays à mettre en œuvre le RSI révisé et à élaborer des objectifs de mise en œuvre et des expériences communes qui reflètent les préoccupations et les réalités régionales en dehors des limites du RSI. Dans sa deuxième phase de mise en œuvre en 2010-2015, elle continue de travailler afin d’adapter les exigences des capacités de base du RSI aux priorités et aux capacités des États Membres du SEARO et du WPRO14. Ces bureaux et l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) ont collaboré en vue de nouer un dialogue et de mettre en évidence les progrès réalisés dans la mise en œuvre des huit capacités du RSI. Depuis sa création, le cadre de la SMEAP a été formulé en des termes forts en matière de sécurité que le secrétariat de l’ASEAN a rapidement adoptés pour promouvoir la coopération régionale15,16.

Toutefois, cette adoption rapide de la sécurité nationale a posé la question de savoir si l’approche générale ne cachait pas des lacunes structurelles profondes limitant la capacité d’application du RSI dans la région. On reproche souvent le fait que le discours sécuritaire permet à la région de paraître impliquée alors qu’elle fait très peu pour réformer les systèmes politiques et sanitaires nationaux pour satisfaire  aux engagements pris en titre du RSI17,18,19. Ces programmes sont fondés sur le principe de notification par les intéressés et organisent des ateliers auxquels participent des intervenants sanitaires qui partagent la même vision, alors qu’aucun forum n’existe pour examiner les problèmes rencontrés par les pays de cette région20.

Alors que tous les États n’ont pas réalisé leurs objectifs en termes de capacités de base, la région a, face à ces préoccupations, montré sa volonté de reconnaître les défis auxquels elle est confrontée. Presque chaque État Membre du SEARO et du WPRO a, notamment, fait état de progrès concernant la mise en œuvre du RIS, un taux de rapports très supérieur aux autres bureaux régionaux de l’OMS. Lorsque de nouvelles flambées surviennent, l’échange d’informations sur les capacités et le manque de capacités existants représente un avantage important, comme la réaction rapide de la région au H7N9 l’a démontré. En effet, le WPRO et le SEARO ont accompli le plus de progrès dans la réduction du délai entre l’alerte et la confirmation officielle. Tous les progrès sont importants, aussi modestes soient-ils.

Il existe trois concepts clés liés à la relation entre les pandémies et la sécurité. Premièrement, le fait d’associer les engagements en matière de politique sanitaire et la sécurité peut augmenter le niveau de priorité accordé à un problème et donner des résultats. Alors que les 110 États Membres n’atteindront pas les principales capacités requises au titre du RSI d’ici à 2014, la majorité d’entre eux travaillent avec la Directrice générale de l’OMS pour mettre en évidence les moyens de réaliser ces objectifs. Peu de domaines de la gouvernance mondiale peuvent se féliciter de niveaux d’engagement et de responsabilisation similaires et encore moins lorsque les capacités et les structures nationales sont concernées.

Deuxièmement, la sécurité sanitaire n’a pas détourné l’attention des crises sanitaires qui touchent la majorité de la population mondiale. En effet, l’intérêt accru aux niveaux mondial et national pour la prévention des pandémies et l’intervention en cas d’épidémies ont permis de progresser vers la couverture universelle des soins de santé. Il est aujourd’hui reconnu que pour être efficaces, la prévention et l’intervention nécessitent des systèmes de santé nationaux qui soient accessibles et équitables. La couverture universelle des soins de santé n’est pas la seule réponse pour renforcer les systèmes de santé, mais de nombreux États, comme la Chine, considèrent qu’elle fait partie intégrante de leur action face aux flambées de maladies.

Troisièmement, l’application des dispositions du RSI doit être comprise dans une optique régionale et soutenue par les institutions mondiales. Les mécanismes régionaux permettent une approche adaptée qui reconnaît les contextes dans lesquels les États fonctionnent et établit des cadres conformes aux normes régionales. Cela permet d’instaurer la confiance nécessaire. Toutefois, les régions et les États ne peuvent y parvenir seuls et l’OMS peut jouer un rôle important en aidant les bureaux régionaux et en coopérant avec ses États Membres. Le système des Nations Unies, en particulier les organes comme la Commission de la consolidation de la paix et les organismes comme le Programme des Nations Unies pour le développement et le Fonds des Nations Unies pour l’enfance, ont un rôle à jouer en aidant les États à renforcer les capacités techniques requises au titre du RSI.

Alors que la liaison entre la sécurité et la santé a permis d’instaurer la volonté politique mondiale nécessaire pour appliquer le RSI, il ne faut pas surestimer les obstacles institutionnels, techniques et politiques à la réalisation de cet objectif.

Notes

1   Doshi, P., « The elusive definition of pandemic influenza », Bulletin of the World Health Organization, vol. 89 (2011), pp. 532-538.

2   Organisation mondiale de la santé, « L’Assemblée mondiale de la santé adopte un nouveau Règlement sanitaire international : de nouvelles règles régissent l’action nationale et internationale en cas de flambées épidémiques » (2005).

3   Organisation mondiale de la santé, révision et mise à jour du Règlement sanitaire international, WHA48.7, quarante-huitième Assemblée mondiale de la santé (1995).

4   Organisation mondiale de la santé, révision du Règlement sanitaire international, WHA58.3, cinquante-huitième Assemblée mondiale de la santé (2005).

5   Ibid.

6   Organisation mondiale de la santé, rapport du Département Capacités globales, alerte et réponse, 2012 (Bureau de l’OMS à Lyon, 2013). Disponible à http://www.who.int/ihr/publications/WHO_HSE_GCR_LYO_2013.3.pdf.

7   Organisation mondiale de la santé (2013), Mise en œuvre du Règlement sanitaire international (2005). Rapport du Directeur général (A/66/16), soixante-sixième Assemblée mondiale de la santé.

8   Hardiman, Maxwell C. et Département Capacités globales, alerte et réponse de l’Organisation mondiale de la santé, « World Health Organization perspective on implementation of International Health Regulations », maladies infectieuses émergentes (2012). Disponible à http://wwwnc.cdc.gov/eid/article/18/7/12-0395_article.htm.

9   Voir Organisation mondiale de la santé (2013), mise en œuvre du Règlement sanitaire international (2005).

10 Organisation mondiale de la santé, Consultation avec les États Membres en matière de santé dans l’agenda pour le développement post-2015, compte rendu (2012). Disponible à http://www.who.int/topics/ millennium_development_goals/post2015/summary_informal_consultation_memberstates_20121214.pdf ).

11      Ministres des affaires étrangères de l’Afrique du Sud, du Brésil, de la France, de l’Indonésie, de la Norvège, du Sénégal et de la Thaïlande, « Oslo Ministerial Declaration — global health : a pressing foreign policy issue of our time », The Lancet (2007).

12      Santé mondiale et politique étrangère (A/63/33), 27 janvier 2009.

13      Santé  mondiale  et  politique  étrangère  y  (A /67/L. 36,  par.  3), 12 décembre 2012.

14     Organisation mondiale de la santé, « Securing Regional Health through APSED, Building Sustainable Capacity for Managing Emerging Diseases and Public Health Events », Rapport d’avancement (Bureau régional de l’Organisation mondiale de la santé pour le Pacifique occidental, 2012).

15     Caballero-Anthony, M., « Non-Traditional Security and Infectious Diseases in ASEAN: Going Beyond the Rhetoric of Securitization to Deeper Institutionalisation », The Pacific Review, vol. 12, n° 4 (2008), pp. 509-527.

16      Haacke, J. et Paul D. Williams, « Regional Arrangements, Securitization, and Transnational Security Challenges: The African Union and the Association of Southeast Asian Nations Compared », Études sur la sécurité, vol. 17, n° 4 (2008), pp. 775-809.

17      Aldis, W., « Health security as a public health concept: a critical analysis »,

Planification du secteur de la santé, vol. 23, n° 6, (2008), pp. 369-375.

18      Stevenson, M. A. et A. F. Cooper, « Overcoming Constraints of State Sovereignty: Global Health Governance in Asia », Third World Quarterly, vol. 30, n° 7 (2009), pp. 1379-1394.

19      Vu, T., « Epidemics as Politics with Case Studies from Malaysia, Thailand, and Vietnam, Global Health Governance », (2011) (voir http://blogs.shu.edu/ghg/2011/06/21/epidemics-as-politics-with-case-studies-from- malaysia-thailand-and-vietnam/).

20     Voir Haacke, J. et Paul D. Williams (2008).