Au cours de ce siècle, une majorité significative importante de la population mondiale vivra dans des centres urbains. La Conférence des Nations Unies sur le logement et le développement urbain durable (Habitat III), qui aura lieu du 17 au 20 octobre 2016 à Quito, en Équateur, a donc pour objectif l’adoption du Nouveau Programme pour les villes, un document final orienté vers des actions concrètes qui établira des normes mondiales pour la réalisation du développement urbain durable. Ce sera l’occasion d’une nouvelle réflexion sur la façon dont nous envisageons de construire, de gérer les villes et d’y vivre en renforçant la coopération entre les parties prenantes, les acteurs urbains à tous les niveaux des gouvernements et le secteur privé.

Lors d’une visite récente au Myanmar, nous avons rencontré un groupe d’épargne de femmes dans la commune de Htantabin. Appauvries et déracinées depuis des années à la suite d’expulsions, ces femmes, les squatteuses les plus pauvres de Yangon, faisaient face à des problèmes socio-économiques de toute sorte jusqu’à ce qu’elles achètent ensemble un terrain non enregistré, fondent une communauté soudée de 70 parcelles et y construisent leur propre maison en bambou et en bois pour la somme modique de 991 dollars par famille. L’aide financière s’est présentée sous la forme d’un prêt communautaire fourni par les fonds de développement de leur ville. Après avoir obtenu les terres, construit leur propre maison et fondé une nouvelle communauté accueillante, elles ont pu obtenir des emplois de meilleure qualité en dehors de la communauté. Leurs revenus ont augmenté et elles ont pu faire des emprunts pour développer leurs petites entreprises. Elles ont rapidement créé un fonds d’aide sociale et leurs enfants ont pu être scolarisés. Leur santé s’est améliorée, elles ont joui d’un meilleur statut dans leur quartier et leurs relations avec le gouvernement local sont devenues moins tendues. Elles ont obtenu l’enregistrement officiel de leur domicile et ont pu dormir sans craindre de se faire expulser. On peut dire qu’elles ont enfin commencé à vivre. Le processus de développement de l’habitat a transformé leur vie, les aidant à surmonter la misère, la pauvreté et l’isolement.

La belle ville de Yangon est sur le point de connaître un changement important, car le Myanmar s’ouvre au monde en instaurant de nouvelles libertés démocratiques et affiche un grand enthousiasme pour l’avenir. Les opportunités économiques qui accompagnent cette ouverture la transforment, créant un lien entre l’économie du pays et les marchés mondiaux, comme pour d’autres grandes villes d’Asie. Bien que des zones industrielles surgissent autour de la ville, des milliers d’ouvriers ne bénéficient d’aucun soutien social, aucun plan n’est envisagé pour leur fournir des habitations à un prix abordable et leur vie et leur bien-être ne sont pas pris en compte dans le développement de la ville. Malgré cette atmosphère positive, les squatters et les locataires de petits logements sont nombreux et vivent dans des conditions insalubres et dans l’isolement. La plupart ont probablement été expulsés de nombreuses fois. Récemment, le Ministre principal de la région a annoncé que 450 000 personnes vivant dans des établissements illégaux seront expulsées sans qu’aucune solution d’hébergement leur soit proposée. Pendant des décennies, ce même scénario s’est répété dans les villes asiatiques où l’investissement, l’infrastructure et la croissance économique sont placés au premier plan du développement au détriment des aspects sociaux et humains.

Imaginez, cependant, un scénario différent, où ce projet communautaire de logements qui a vu le jour dans la commune de Htantabin ne serait pas un cas unique, mais un modèle qui pourrait être reproduit dans toute la ville. Le développement économique offrirait des possibilités qui permettraient aux squatters mêmes les plus pauvres de participer à la fois à la construction de leur propre logement dans la communauté et aux progrès socio-économiques de la ville. Yangon ainsi que d’autres villes dans le monde pourraient alors offrir des opportunités et jouer un rôle dans le développement partagé, où tout le monde pourrait vivre dignement dans un environnement créatif et dans des conditions égales. En tant que citoyens, les résidents pourraient participer activement au développement de la ville et partager les responsabilités civiques. Il s’agirait d’un processus vivant et varié.

Il est encourageant de voir que le programme mondial pour le développement d’Habitat III est particulièrement axé sur les villes. Cela paraît logique, en particulier en Asie, où de nombreux pays sont enlisés dans des systèmes nationaux centralisés et bureaucratiques hérités des anciennes hiérarchies et paralysés par des règlements et des réglementations. Ces structures nationales ne sont pas adaptées à la dynamique des changements qui surviennent dans leur pays, et les problèmes s’accumulent. S’il est inutile de rechercher l’innovation au niveau national, dans les villes où la majorité d’entre nous vit maintenant, il y a beaucoup de choses à modifier.

Ce n’est pas pour autant que les villes sont parfaites : elles peuvent aussi être centralisées et bureaucratiques. Dans la plupart des villes asiatiques, les systèmes politiques et électoraux de style occidental sont depuis longtemps contrôlés par les entreprises, les familles puissantes et certains groupes d’intérêt qui ont usé de leur influence pour arriver au pouvoir et s’y maintenir, principalement pour servir leurs propres intérêts. Les politiques et les projets créés par ces systèmes politiques enrichissent quelques villes mais causent de graves problèmes à un grand nombre d’entre elles et perpétuent leur stagnation économique. Ce phénomène est aggravé par l’importance accordée dans le monde au développement économique qui encourage la concurrence des villes pour attirer les investissements et leur ouverture aux forces du marché. Les investissements conçus au sommet, nous dit-on, créent des opportunités qui ont des retombées et engendrent la prospérité ainsi qu’un espace démocratique pour tous. Or, lorsque ces investissements sont finalement octroyés, ils favorisent un processus de développement qui exclut plus qu’il n’inclut, avec quelques gagnants, de nombreux perdants, et peu de retombées pour la prospérité. Cette importance accordée au développement de l’économie de marché a encouragé la gentrification, donné lieu à des expulsions, commercialisé de nombreux aspects de nos vies, créé des divisions entre les gens et renforcé les inégalités entre les villes.

Malgré ces problèmes, les villes demeurent notre meilleur espoir, car dans les communautés urbaines, les gouvernants sont plus près des gouvernés. Certaines ont mis en place des systèmes qui répondent mieux aux changements réels sur le terrain. Il est essentiel de reconnaître, cependant, que ces changements sont trop importants et se produisent trop rapidement pour qu’une personne prenne les décisions ou gouverne seule. Nous devons être créatifs et reformuler les systèmes par lesquels nous gérons le changement, de façon à ce que ces systèmes soient plus équilibrés, plus inclusifs, plus intégrés et plus adaptés. Les systèmes de gouvernance des villes conventionnels, « verticaux », doivent changer radicalement; ils doivent devenir plus « horizontaux » pour pouvoir être gérés par les individus et par les communautés.

Si les villes feront l’objet du nouveau programme mondial pour le développement, les gens devront alors en être les sujets. Les citoyens doivent être considérés comme des participants capables et concernés par le développement de leur ville. Pour qu’un processus de développement urbain soit durable, ils doivent être plus que des bénéficiaires ou des électeurs passifs ou un nombre de voix dans les urnes. Ils doivent jouer un rôle actif en tant que participants et agents de la gestion de leur ville, apportant non seulement leurs idées, leurs compétences et leur force économique, mais aussi leur histoire, leur culture, leurs systèmes sociaux et leurs valeurs d’interconnexion.

Une façon d’encourager un système de développement urbain plus réaliste et plus participatif consiste à créer de nouvelles plates-formes ou de nouveaux conseils alternatifs qui rassembleraient les parties prenantes clés et les communautés pour discuter de la planification de la ville. Les représentants des différents groupes de population, des divers secteurs et des diverses institutions auraient leur place dans ces plates-formes, participeraient aux nombreux aspects du développement de leur ville et présenteraient un vaste éventail de questions. Au lieu de ne compter que sur quelques responsables élus, ces acteurs issus de divers secteurs pourraient interagir, considérer certains aspects du développement urbain et négocier des accords qui permettraient d’avancer. Cette simple démarche pourrait permettre une plus grande participation des citoyens et des groupes dans la gestion de la ville et créer de nouvelles possibilités, de nouvelles idées et de nouvelles collaborations. Elle pourrait aussi contribuer à rendre le processus plus dynamique et plus représentatif.

Le développement de l’habitat est l’un des moyens les plus efficaces de créer des structures urbaines plus équilibrées et plus participatives. L’habitat définit les communautés et constitue la fondation de nos villes. Il s’agit d’une question qui concerne tout le monde et touche tous les éléments clés du développement urbain, y compris les terres, l’infrastructure, les réglementations, la finance, la participation et la gouvernance. Il constitue le besoin fondamental de tous de disposer d’un abri, de vivre en sécurité et de tisser des liens sociaux.

Ceci est particulièrement vrai pour les pauvres. Dans les établissements informels, l’interdépendance est la bouée de sauvetage dont les pauvres ont besoin pour répondre collectivement à leurs besoins individuels. Lorsque nous discutons du développement de l’habitat, nous parlons d’un processus où les personnes envisagent leur situation en tant que groupe. Puis, elles conçoivent et construisent des structures où elles vivent ensemble et décident de la forme physique ou sociale de l’ensemble. Ce type de processus implique beaucoup plus que les structures physiques elles-mêmes : il crée de nouvelles communautés où les gens vivent ensemble et s’entraident. Ce faisant, il établit les bases d’une structure sociale urbaine davantage orientée sur les gens. Le développement de l’habitat est une intervention importante pour construire ce type de système de vie communautaire à partir de la base où ce sont les gens qui décident.

Auparavant, la vie communautaire était organisée autour de groupes religieux ou ethniques, de clans ou de métiers. En Asie, les structures communautaires font partie de la culture. Dans les établissements à faibles revenus, la communauté est particulièrement importante. Parfois, elle est centrée sur un temple ou une mosquée, un marché ou une usine ou un point géographique, comme une colline ou une rivière. Nous devrions nous concentrer, autant que possible, sur la manière de soutenir et de renforcer les structures communautaires existantes. Mais la société moderne peut prendre de nouvelles formes. Il est donc important de réfléchir de manière créative à la mise en place de nouveaux systèmes qui encouragent le vivre ensemble. L’habitat est l’un des moyens les plus efficaces de créer ces nouvelles formes de communautés. Il peut aider à recentrer le développement des grandes villes sur les gens et à assurer que les résidents vivent ensemble dans des communautés saines, sûres et solidaires.

 

Le développement de l’habitat doit se poursuivre dans la ville entière.

Il est urgent que la rénovation communautaire et le développement de l’habitat occupent une place proactive et centrale dans le programme de développement urbain. Si l’on veut promouvoir un changement des systèmes politiques et structurels qui, souvent, favorisent la pauvreté, le développement des bidonvilles, les expulsions et l’exclusion sociale dans les villes, cette initiative doit être menée à l’échelle de la ville. Les projets pilotes créés par les communautés individuelles et les interventions sectorielles ne peuvent pas répondre aux changements de grande envergure. Le processus de changement devrait être abordé sous l’angle de la ville, en s’appuyant sur les informations relatives aux structures de la ville et en mettant en place un réseau communautaire. Il devrait soutenir la création d’un mouvement de citoyens proactif avec la force du nombre, l’aide des fonds d’épargne et des fonds communautaires afin d’améliorer la santé financière de la communauté et de renforcer les liens avec d’autres ressources financières. La création de partenariats devrait se poursuivre pour rassembler les parties prenantes clés et développer une compréhension commune de la situation globale à l’échelle de la ville et établir une direction commune en faveur du développement. Les conditions seraient alors réunies pour créer un élan vers le changement, nouer de meilleures relations entre les résidents et les autres acteurs et construire des partenariats.

Il est crucial que la communauté mondiale adopte une approche plus ambitieuse. Notre expérience avec le Réseau asiatique pour le droit au logement, qui a entrepris d’améliorer l’habitat dans 215 villes d’Asie, en accordant à chaque ville entre 40 000 dollars et 65 000 dollars, a montré qu’il était possible d’améliorer celui des pauvres dans toute la ville. Cela n’exige pas nécessairement des fonds importants, mais une approche adéquate visant à exploiter le potentiel des gens afin de promouvoir le changement avec les autres partenaires du développement dans leur ville respective.

Le financement est essentiel. Il est crucial de créer un système de financement souple. Malheureusement, le système actuel est rigide, conçu au sommet et lié au marché à des fins lucratives, et ne sert donc pas les intérêts des pauvres. En repensant le système financier aux niveaux municipal et national pour qu’il soit plus souple, les différents groupes pourraient développer d’autres initiatives sociales et de nouvelles actions innovantes pourraient alors être menées. Si ce système est repensé en ayant à l’esprit des objectifs sociaux, il pourrait donner aux municipalités et aux résidents la liberté et le pouvoir de développer des solutions urbaines plus créatives à l’échelle de la ville.

Ce nouveau processus de développement participatif au niveau de la ville peut se faire progressivement et dans la bonne entente. Sans une réforme structurelle, cependant, tous les objectifs de développement ambitieux et toutes les cibles de durabilité dans le monde seront dénués de sens et rien de changera. Il est vital que la communauté mondiale réalise qu’un changement de cap est nécessaire et qu’elle mette tout son poids dans la balance pour chercher de nouvelles idées et de nouvelles approches.