Le sujet traité ici comporte trois concepts qui sont ouverts à toutes sortes d'interprétation, sont accompagnés de jugements de valeur et de stéréotypes et suscitent des espoirs - la conciliation, la diversité des cultures et les particularités propres à chaque sexe. Je pourrais l'aborder à partir de nombreux points de vue. Nous pourrions parler de la diversité culturelle dans les comportements et les pratiques par rapport à l'éducation et à la formation des filles et des femmes, à leurs droits en matière de santé, à leur autonomisation économique et à leur participation en tant que citoyennes, à la tolérance et aux actes de violence dont elles sont victimes ainsi qu'au role des femmes dans le travail par-delà les clivages culturels.
D'origine allemande, j'ai poursuivi ma carrière en Australie et travaillé dans des cultures différentes. Je pourrais dire que j'ai intégré la diversité culturelle dans ma vie et que ma vie professionnelle a été enrichie par mon appartenance à deux cultures. En tant que femme, l'autre dimension culturelle a posé plus de problèmes, mais a offert aussi des possibilités de conciliation. Toutefois, ce n'est pas de l'action instinctive ou intuitive dont je voudrais parler ici, mais de l'action menée par les femmes pour concilier la diversité des cultures.
Ceux qui vivent en Australie et pour qui l'anglais n'est pas la langue maternelle, comme les immigrants et les populations autochtones, continuent d'être confrontés à des obstacles dans leur vie civique et professionnelle. Bien que beaucoup d'entre eux aient terminé leurs études et même reçu une education universitaire, ils sont sous-représentés aux postes de direction dans les professions ou dans les conseils d'administration, les comités ou le Parlement. En tant que femme non originaire d'Australie vivant dans un pays anglophone, je suis sensible à la question de la marginalisation.
Les postes de responsabilité dans les églises et en politique sont largement occupées par les hommes, même si les fonctions de Premier Ministre et de Gouverneur général sont exercées par deux femmes et que des femmes ont été ordonnées prêtres, élues ministres et quelques-unes évêques. La culture dominante masculine est contestée par les femmes ordonnées prêtres, mais moins par les femmes politiques, car si la conciliation des cultures à l'intérieur du pays est inscrite à leur ordre du jour, la diversité transculturelle l'est rarement.
Des organisations de femmes régionales, nationales et internationales se focalisent sur les valeurs, les situations, les questions et les espoirs communs1, comme le sort des enfants soldats dans les conflits; la paix et le désarmement; l'application des résolutions de l'ONU; l'éducation des filles; le respect des pays voisins et la compréhension au-delà des frontières.
La Ligue internationale de femmes pour la paix et la liberté (LIFPL), l'une des organisations les plus anciennes, dont je suis membre, a été créée en 1915 « par 1 300 femmes d'Europe et d'Amérique du Nord, de pays en guerre et d'autres neutres, qui se sont réunies dans un Congrès de femmes pour protester contre les tueries et la destruction de la guerre qui faisait alors rage en Europe ». Les buts et les objectifs de la Ligue sont les suivants:
« Rassembler des femmes de divers horizons politiques et convictions philosophiques, unies dans leur volonté d'étudier, de partager le savoir et de contribuer à l'abolition des causes et de la légitimation de la guerre; promouvoir la paix mondiale; un désarmement total et universel; l'abolition de la violence et de la coercition dans la résolution des conflits et leur substitution par la négociation et la réconciliation; le renforcement du système des Nations Unies; le développement et la mise en oeuvre continus de la législation internationale; l'égalité politique, sociale et économique; la coopération entre tous les peuples; et un développement écologiquement viable2. »
L'action concrète la plus importante que j'ai menée vers la conciliation des cultures a été mon rôle au sein de l'Association internationale des recteurs d'université (IAUP) qui, en qualité d'organisation non gouvernementale, bénéficie d'un statut spécial auprès des Nations Unies. Première femme à occuper le poste de Présidente de l'IAUP, j'ai transformé le Conseil exécutif majoritairement masculin et inclus des femmes aux postes de Trésorier, de Vice-Président, de Présidents régionaux et de membres du Comité - qui venaient d'Australie, du Botswana, des États-Unis, du Japon, du Royaume-Uni, de Thaïlande et de Turquie.
En tant que Présidente, mon programme en 10 points sur le thème général « Accès à tous, qualité pour tous » comprenait la promotion de l'égalité dans l'enseignement. Nous nous sommes concentrées sur le nombre d'étudiantes dans l'enseignement supérieur ainsi que sur les opportunités de carrière qui y sont offertes aux femmes. En 2003, à Monterrey, au Mexique, nous avons organisé avec la Secrétaire générale de l'Association des Universités une conférence portant sur les femmes et l'exercice de responsabilités dans l'enseignement supérieur : « Quelle est l'épaisseur du plafond de verre ? » Parmi les objectifs de la conférence figuraient:
• «la reconnaissance de l'importance du rôle des femmes dans l'enseignement supérieur à différents postes de direction dans l'administration universitaire;
• le profil de participation des femmes dans l'enseignement supérieur dans diverses régions du monde;
• la facilitation d'un dialogue ouvert et l'échange d'idées entre les personnes occupant des postes élevés dans l'enseignement supérieur afin de promouvoir et de renforcer la participation des femmes dans ce domaine;
• l'appel lancé aux gouvernements pour qu'ils soutiennent la législation dans leur pays afin d'encourager l'égalité des sexes en matière d'accès aux postes de direction dans l'enseignement supérieur à travers le monde3. »
Nous avons abordé ces questions, ainsi que d'autres, avec un groupe de participantes très varié, y compris une représentante du Ministère russe de l'éducation, des représentantes officielles du Mexique et d'Afrique, et de nombreuses présidentes du monde entier. Nous avons créé des réseaux et nous sommes employées à augmenter la participation et la visibilité des présidentes dans l'organisation.
En 2001, le Professeur Liu Jinan, Présidente de Beijing Broadcasting University alors en fonction (appelée actuellement Communication University of China [CUC]), a organisé le premier Forum mondial des présidentes d'université à Beijing. Les quatre premiers forums ont rassemblé plus de 500 présidentes d'université de 52 pays et régions. Elles ont participé à des débats intensifs, ont uni leurs efforts et noué des liens d'amitié au-delà des cultures et des frontières. Liu Jinan est actuellement Présidente honoraire de CUC et Présidente du Forum. Elle nous a invitées au cinquième Forum qui s'est tenu en novembre 2001 à Xiamen City, en Chine, et qui a été co-animé par Xiamen University, Shih Hsih University à Taiwan et Communications University of China. Les questions abordées concernaient les étudiantes, le personnel et les systèmes, l'enseignement, l'apprentissage, la recherche, le leadership et la gestion dans l'enseignement supérieur. Toutes ces questions surviennent dans des cadres culturels particuliers. Aucun dialogue n'est possible sans une compréhension des différences et leur acceptation. Ce point a donc été souligné durant ces conférences.
Afin de promouvoir la compréhension entre les cultures et les divers rôles des systèmes de l'enseignement supérieur, la Présidente Liu Jinan a également demandé à des professeurs et à des étudiantes de son université de produire une douzaine de documentaires vidéo sur des « Présidentes d'université éminentes » dans le monde. L'une de ces équipes s'est rendue dans mon université, l'University of New England. Mon mari et moi, ainsi que des membres du personnel enseignant, avons été interviewés, filmés et photographiés. Les documentaires ont été diffusés à la télévision chinoise. Quelques années plus tard, une autre équipe est venue pour écrire des biographies du même groupe de femmes. Nous avons parlé de notre vie, de nos publications, de nos souvenirs et de nos analyses de scénarios passés, présents et à venir dans l'enseignement supérieur. Une expérience importante pour moi a été ma participation au programme des États-Unis appelé Youth for Understanding - j'ai, en effet, passé un an dans ce pays en classe de terminale dans le cadre d'un échange d'élèves. Cela m'a ouvert l'esprit et le coeur aux autres cultures et m'a fait comprendre la profondeur de la compréhension et de l'incompréhension.
En 2002, mon discours de clôture à la Conférence triennale, que nous avons organisée à Sydney pour l'IAUP et que je présidais, s'est inspiré du thème de la conférence : valeurs universitaires, rêves nationaux, réalités mondiales : « Je pense qu'il faut respecter les rêves nationaux et prendre en compte l'importance qu'ils peuvent avoir pour la population, y compris pour les professeurs d'université, les étudiants et les présidents. Du point de vue de l'IAUP, nous devons affirmer les valeurs auxquelles nous croyons et les exprimer dans notre charte. En tant qu'organisation et membres de cette association, nous devons dialoguer avec les gouvernements et les institutions gouvernementales ainsi qu'avec les médias et soutenir ceux qui oeuvrent à la paix et à la justice sociale. Les efforts modestes, mais constants, de l'IAUP dans la Commission IAUP/ONU pour l'éducation du désarmement, la résolution des conflits et la paix, qui est présidée par Eudora Petigrew, continueront. À présent, les pays où la liberté universitaire est menacée ou inexistante sont néanmoins ouverts aux alliances et aux partenariats avec les universités du monde entier. Nous pouvons prendre part à cette initiative, non pas avec cynisme ou opportunisme, mais parce que nous croyons que la coopération et la compréhension mutuelle entraíneront une plus grande ouverture du système universitaire et de la société et, en fin de compte, la reconnaissance des droits civils.»
Au début de cette année, j'ai reçu un livre intitule Franchir la ligne de démarcation : le dialogue entre les civilisations, qui a présenté le rapport de personnes éminentes nommées par le Secrétaire général Kofi Annan pour réfléchir à cette question. Permettez-moi d'en citer un extrait : « Nous pensons que les forces positives nées de la mondialisation et de la recherche authentique de l'identité peuvent créer un cercle vertueux capable d'élever l'esprit humain pendant les décennies suivantes. La mondialisation bénéfique, celle qui célèbre la diversité et met en valeur la communauté, est une question de confluence, de compréhension mutuelle et de reconnaissance de l'héritage humain riche et divers. Cela tient compte des relations latérales et mutuelles entre civilisations et rend possible un dialogue sincère4 ».
L'IAUP a fait partie de ce dialogue. En tant que présidentes d'université, nous encourageons les échanges universitaires. Cela ne peut se faire que si les professeurs et les étudiants acquièrent les compétences culturelles qui leur permettent de vivre dans d'autres sociétés en respectant leurs cultures. Nombre d'universités le font. Les filles et les femmes font face à des défis spécifiques. Une récente étude de recherche sur la manière dont les étudiants américains concilient les différences interculturelles entre les sexes, indique que les étudiantes qui étudient à l'étranger rencontrent souvent des difficultés à comprendre les rôles et les attentes sexospécifiques propres à la culture du pays où elles se trouvent5. En revanche, les présidentes, fortes de leur expérience, n'ont généralement pas de difficultés dans ce domaine et sont actives dans le dialogue interculturel.
Une autre initiative visant à rassembler les présidentes a été lancée par l'IAUP et par Gulsun Saglamer, membre de l'Association européenne de l'université, ancienne Rectrice de l'Université technique d'Istanbul, en Turquie. En 2010 et 2012, elle a organisé des conférences destinées aux rectrices d'universités européennes sur le thème « Au-delà du plafond de verre ». Parmi les intervenantes et les participantes figuraient quelques femmes non européennes, telles que moi-même et la chinoise Liu Jinan. Ces conférences ont donné lieu à des projets de recherche, à l'adoption de stratégies communes et à la création de réseaux. Rétrospectivement, je me demande si le fait d'être des femmes nous a aidées à mettre en place un programme pour le dialogue interculturel et la conciliation des cultures.
Nous avons besoin d'une organisation, comme la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté, où les femmes oeuvrent pour la paix et le désarmement. Quel impact a-t-elle eu, quel impact avons-nous eu ? Un impact limité, mais les femmes concernées savent qu'il y a d'autres femmes dans le monde qui défendent les mêmes valeurs et les mêmes causes. Le travail effectué par ONU Femmes en faveur de l'éducation et de la santé des filles, contre la violence et pour l'autonomisation civique et économique des filles et des femmes nous est nécessaire. Est-ce un progrès ? Oui, même si la tâche semble illimitée. Les femmes de l'enseignement supérieur qui croient au dialogue culturel et au respect interculturel, à la compréhension et à la collaboration contribuent à changer peu à peu les mentalités, les pratiques et les politiques en donnant de l'importance aux gens. ❖
Notes 1 - Lire l'excellent article de Shelley Anderson intitulé Women's Many Roles in Reconciliation. http://www.gppac.net/documents/pbp/4/2_intro.htm, accédé consulté le 31/05/2012. 2 - http://www.peacewomen.org/pages/about-usconsulté le 2/06/2012. 3 - Alvaro Romo, rapport de conférence. Bulletin d'informations de l'IAUP Lux Mundi, août 2003, p.5. 4 - Giandomenico Picco et col., Crossing the Divide: Dialogue Among Civilizations, (School of Diplomacy & International Relations, Seton Hall University, 2001, p. 73). 5 - Judy Jessup-Anger, « Gender Observations and Study Abroad: How Students Reconcile Cross-Cultural Differences Related to Gender », Journal of College Student Development, vol 49, n° 4, 2008, p. 362.