L’émergence du Groupe des 77 est aujourd’hui reconnue comme l’un des phénomènes politiques les plus importants de la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, en particulier au sein de l’évolution du système des Nations Unies. Cette déclaration sous-estime, toutefois, l’importance de ce pacte indéfectible liant en 1964 les 77 pays en développement, une avancée remarquable qui allait influencer et redessiner la diplomatie multilatérale et, donc, la gestion économique, sociale et écologique de la relation de la race humaine avec notre planète bleue.

Cinquante ans plus tard, alors que nous célébrons le cinquantième anniversaire du Groupe des 77, nous pouvons regarder en arrière et nous demander comment ces membres fondateurs ont réussi à réaliser l’impossible en créant un pacte qui a non seulement considérablement amélioré le rôle des Nations Unies, mais a été l’essence même des principes démocratiques de l’égalité et de la justice, faisant entendre la voix des populations marginalisées, déshéritées, pauvres, désavantagées et exploitées et leur a donné les moyens de maîtriser leur propre destinée.

L’unité du Groupe des 77 n’a pas été établie sur l’homogénéité de systèmes politiques ni sur une identité unique d’intérêts économiques. Elle a été établie sur une perception partagée et commune de la nature inéquitable de l’ordre économique existant, des règles injustes et contraires à l’éthique ainsi que sur la nécessité de les changer.

Selon les critères de la diplomatie multilatérale, les premiers accomplissements du Groupe des 77 au sein de la CNUCED ont été remarquables. Le Groupe a poussé les limites du développement pour un nouvel ordre mondial bien au-delà des humbles attentes des fondateurs. Cette coalition qui n’était dotée d’aucune architecture institutionnelle officielle, d’aucun service de secrétariat, qui n’avait aucune règle de procédures écrites et qui, tout au long de ses cinquante ans de son existence, a travaillé uniquement par consensus sans recourir au vote d’une position commune, relève simplement du miracle. Et néanmoins, malgré les différences significatives existant entre eux, les membres du Groupe ont parlé d’une même voix et ont négocié dans chaque domaine de l’activité humaine au nom de la grande majorité des êtres humains.

Ce groupe divers et hétérogène a été capable, à la frustration de ses interlocuteurs, de surmonter les préjugés et les idéologies politiques divergentes pour travailler ensemble à la recherche d’un consensus sur les questions économiques complexes qui avaient une incidence sur la vie quotidienne de ses citoyens. Selon un diplomate expérimenté, ces pays en développement ont laissé leurs différences sur le seuil de la porte comme s’il s’agissait de bagages personnels.

Cela ne signifie pas non plus que le Groupe n’a pas été confronté à de grandes difficultés dans un monde géopolitique en mutation rapide. Toutefois, à la fin des années 1980, le système mis en place était le seul outil possible pour la prise de décisions multilatérales dans chaque partie du système des Nations Unies.

Le désir de promouvoir la coopération Sud-Sud résidait au cœur même de ce groupement de pays en développement. Dans les débuts du Groupe des 77, cette coopération était perçue comme une démonstration de son unité et un contre-pouvoir face au Nord dans les processus de négociation, ainsi qu’une confirmation de sa solidarité. C’était véritablement l’unité dans la diversité.

Comme toute autre institution, le Groupe n’est pas imperméable au changement ni à ses répercussions. Le monde où il a vu le jour a beaucoup changé deux décennies plus tard. Avec la chute du mur de Berlin, la suprématie du marché, la montée du système économique unique et la domination du consensus de Washington, la géographie économique et la géopolitique allaient changer de manière drastique. Ces facteurs et l’arrivée de la mondialisation ont imprimé un changement si profond que le Groupe n’a eu d’autre option que d’y répondre en transformant, en réduisant et en adaptant, dans le temps et dans l’espace, sa méthode de travail et d’organisation et en mettant en œuvre un programme de développement différent. Malgré ces changements drastiques, le Groupe n’a toléré aucun compromis au fondement moral de son unité.

Il n’a pas été facile de combler l’écart entre ceux qui préconisaient l’efficacité et la concurrence et ceux qui accordaient une grande valeur au rôle de l’État pour garantir l’égalité et la justice. Les pays en développement du Groupe des 77 ont aussi compris que le programme de développement changeait, que les solutions devaient être diversifiées et qu’une solution unique ou une solution qui satisfait toutes les parties n’était plus possible ni même réalisable compte tenu de la diversité économique, sociale et écologique des pays en développement et de leurs capacités nationales. Aussi, avec le nouveau programme de développement, le droit souple a remplacé les instruments juridiquement contraignants de l’ONU dans presque toutes les sphères d’activité humaine. Le groupe des 77 a dû approuver le nouvel état de fait.

Plusieurs institutions proches du cœur du Groupe des 77 qui se consacraient aux négociations à la recherche d’un consensus et à l’élaboration de règles sont devenues des institutions fondées sur le savoir qui se consacrent maintenant au dialogue politique et au renforcement des capacités. Toutefois, les pays en développement du Groupe des 77 et de la Chine ont réussi à se faire reconnaître des responsabilités communes et différenciées sur des questions cruciales comme le développement durable et le changement climatique, les biens communs et l’espace politique pour leur processus de développement.

Au cours des cinquante prochaines années, le Groupe des 77, qui représentait l’unité dans la diversité, a mûri et s’est mué en un édifice de diplomatie multilatérale représentant la diversité dans l’unité. Il s’agit d’une architecture indispensable du système des Nations Unies.

Le Groupe continuera d’évoluer. Il y aura toujours de nouveaux défis. Aujourd’hui, il doit faire face à la « tempête parfaite » que constitue notre existence humaine ainsi qu’aux défis considérables et à multiples facettes que sont le changement climatique, la sécurité et les crises financières et économiques endémiques. Pour ce faire, il aura besoin d’un plus grand soutien opérationnel et institutionnel en reconnaissance de sa contribution à la promotion du bien de l’humanité dans les cinquante prochaines années.