8 mai 2020 — Fausses nouvelles, rumeurs, pseudo conseils médicaux, théories complotistes : la désinformation née de la pandémie de COVID-19 gagne en ampleur, portant un mauvais coup aux efforts mondiaux déployés contre le coronavirus. Les Nations Unies répondent à cette « infodémie » toxique par la diffusion d’informations factuelles et précises, tout en rappelant que l’heure est à la science et à la solidarité.

Le phénomène est difficile à quantifier mais certains chiffres témoignent de son caractère massif. Dans une note thématique publiée à l’occasion de la Journée de la liberté de la presse, l’Organisation de Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) relève ainsi que l’Alliance CoronaVirusFacts, émanation de l’International Fact-Checking Network (IFCN), a découvert et réfuté plus de 3 500 informations fausses ou trompeuses dans plus de 70 pays et dans plus de 40 langues.

Les réseaux sociaux étant le principal vecteur de désinformation et de mésinformation (mensonges répandus sans intention malveillante), des chercheurs de la Fondation Bruno Kessler ont passé au crible 112 millions de publications en lien avec la COVID-19 et postées en 64 langues. Il ressort de cette analyse par apprentissage automatique que 40 % des messages provenaient de sources peu fiables.  

Facebook a, lui, annoncé avoir identifié et averti 40 millions d’éléments de mésinformation sur le virus diffusés en mars sur sa plateforme, plusieurs centaines de milliers d’autres ayant été supprimés en raison de leur dangerosité. Par ailleurs, la société Blackbird.AI a qualifié de « contenus manipulés » 38 % de près de 50 millions de tweets sur la pandémie analysés au moyen de l’intelligence artificielle.

Face à ce que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) décrit comme une « deuxième maladie », la riposte des Nations Unies prend diverses formes, dont celle d’une initiative de communication annoncée à la mi-avril par le Secrétaire général, António Guterres.  Son principe : « répandre sur Internet des informations factuelles et scientifiques pour lutter contre le fléau de la désinformation, un venin qui met encore plus de vies en danger ».  

Pilotée par Melissa Fleming, Secrétaire générale adjointe à la communication globale, cette campagne stratégique implique non seulement son Département et le Secrétariat mais aussi l’ensemble du système onusien. « L’antidote à cette pandémie de désinformation, c’est l’information et l’analyse fondées sur les faits », a martelé M. Guterres, le 4 mai, lors d’un dialogue de haut niveau sur la liberté de la presse dans le contexte de la COVID-19.

Perfusion d’informations précises et exactes

En première ligne dans la lutte contre la pandémie, l’OMS s’emploie à mettre en œuvre au quotidien cette stratégie de communication. Ses informations en temps réel sur l’évolution épidémiologique font autorité, de même que ses notes scientifiques à l’attention du public le plus large. Il s’agit pour elle de mieux faire comprendre cette maladie tout en combattant les idées reçues.

« Le méthanol, l’éthanol et l’eau de Javel sont des poisons. Leur consommation peut être mortelle », rappelle-t-elle notamment, en réaction à des « intox » ou des fausses croyances colportées sur les ondes et les réseaux sociaux. Convaincues des effets curatifs du méthanol, plus de 700 personnes sont mortes ces derniers mois en Iran après en avoir absorbé.  

Transparentes, exactes et fondées sur des preuves, les données que l’OMS diffuse dans plusieurs langues contribuent à tordre le cou de certains mythes concernant, entre autres, l’origine et les modes de transmission du coronavirus, les traitements, le climat ou encore les rites funéraires. Les autorités nationales et locales s’en emparent pour informer leur population de manière sûre et contrer la mésinformation dans les milieux communautaires. Elles sont par ailleurs répercutées sur le terrain par les différentes missions de l’ONU et par les 59 Centres d’information des Nations Unies dans le monde.      

Pour répondre à ce besoin d’information et de conseils fiables, tout en détectant au plus tôt les fausses informations, l’agence a mis en place en janvier un Réseau d’information sur les épidémies (EPI-WIN), en partenariat avec les acteurs de différents secteurs. Cette veille lui permet de remplacer la désinformation par un volume élevé de messages de santé publique qui informent des populations ciblées sur les moyens de prévention et de lutte contre la flambée épidémique.

« Notre équipe EPI-WIN a adapté ses conseils aux individus et aux ‎communautés, aux agents de santé, aux employeurs et aux ‎travailleurs, aux organisations religieuses et aux autres groupes ‎concernés sur la manière de se protéger et de protéger les autres », a expliqué le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, Directeur général de l’OMS.

Les messages d’information de l’EPI-WIN alimentent le site COVID-19 de l’OMS, lequel a enregistré plus de 147 millions de vues depuis le 22 janvier dernier. Ils sont également consultables sur la page Google dédiée au coronavirus qui, elle, reçoit plusieurs centaines de millions de visites par jour. 

Partenariats avec les entreprises technologiques  

Le 16 mars, les sociétés technologiques Facebook, Google (et sa filiale YouTube) Microsoft (et sa filiale LinkedIn), Reddit et Twitter se sont engagées, dans une déclaration commune, à lutter contre la désinformation sur le coronavirus qui prolifère sur leurs plateformes. Leurs contenus font désormais l’objet d’une modération plus stricte et leurs utilisateurs sont orientés vers les informations sanitaires officielles, à commencer par celles de l’OMS.

Facebook a déjà dirigé deux milliards de ses utilisateurs vers des ressources de l’institution onusienne et d’autres autorités sanitaires. Le géant des réseaux sociaux a également conclu un partenariat avec l’OMS, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), qui prévoit un système d’alerte en plusieurs langues sur la COVID-19 via les messageries WhatsApp et Messenger.  

Dans le même ordre d’idées, l’OMS s’est associée à la plateforme Rakuten Viber pour lancer un service de conversation (chatbot) interactif et multilingue permettant de diffuser ses informations à destination d’un milliard d’utilisateurs potentiels. Comme l’a résumé le Dr Tedros, l’objectif est de « communiquer au plus grand nombre de personnes possible des informations de santé fiables grâce à une technologie numérique innovante ».

Afin d’atteindre aussi les quelque 3,6 milliards de personnes non connectées à Internet, qui vivent pour la plupart dans des pays à faible revenu, l’OMS et l’Union internationale des télécommunications (UIT), soutenus par l’UNICEF, collaborent avec les groupes télécoms du monde entier pour que des SMS informatifs sur la COVID-19 soient envoyés à ces populations. L’opération a débuté dans la région Asie-Pacifique et doit se déployer à l’échelle mondiale.    

Collaboration avec les journalistes

« Le journalisme professionnel nous aide à surveiller ce que nous pensons savoir et ce dont nous ne sommes pas sûrs », souligne l’UNESCO dans sa récente note thématique sur la liberté de la presse. « Il nous aide également à suivre l’évolution des connaissances scientifiques sur le virus, la prévention et le traitement, ainsi que les réponses politiques adoptées ».

Dans cette période de crise, la contribution du journalisme à la lutte contre la désinformation est inestimable, poursuit l’agence onusienne. « Par exemple, en contrant la théorie du complot selon laquelle les réseaux cellulaires 5G ont contribué à la propagation du coronavirus, les reportages ont démoli ce mythe et ont permis de découvrir qui en est le promoteur ».

Pour aller plus loin dans la compréhension de cette « désinfodémie », l’UNESCO a produit deux notes techniques, en collaboration avec l’International Center for Journalists (ICFJ), dont l’action vise à « garantir que des informations de santé publique précises, fiables et vérifiables atteignent les communautés partout dans le monde ». La première de ces notes propose un décryptage approfondi du phénomène, la seconde détaille les réponses à apporter à ces contenus mensongers, fabriqués ou décontextualisés. 

Par le biais de son Programme international pour le développement de la communication (PIDC), l’UNESCO appuie différents projets destinés à améliorer la couverture médiatique de la pandémie dans les pays en développement. L’un d’eux prévoit de connecter 200 femmes journalistes d’Afrique de l’Est à un centre de ressources en ligne et de leur fournir des supports de formation. D’autres initiatives sont menées pour soutenir les médias communautaires en Inde et à contrer la désinformation dans neuf pays des Caraïbes. 

« Les médias et les journalistes du monde entier jouent un rôle crucial en fournissant un service public essentiel à la population », observe Anna Brandt, Directrice du PIDC. « Avec la crise actuelle, ils sont confrontés à d'énormes difficultés, d’une part en raison de leur situation financière difficile et d’autre part parce qu’ils doivent lutter de plus en plus contre la désinformation ».

Mobilisation de la société civile

Vue de l'interieur d'une pharmacie à travers du plastique protecteur.

Les Nations Unies travaillent étroitement avec plus de 1 500 organisations de la société civile associées à son Département de la communication globale (DCG). Elles contribuent notamment à la diffusion d’informations sur le rôle et l’action de l’ONU dans le monde. Dans le contexte pandémique, ce lien prend une importance cruciale, à la fois en termes d’informations fiables sur la COVID-19 et de lutte contre la désinformation sous toutes ses formes.

En association avec l’OMS, le DCG a entrepris de sonder [EN/] les représentants de la société civile dans toutes les régions du monde. L’enjeu est de connaître leurs principales sources d’information et de savoir à quels exemples de mésinformation ou de rumeur ils font face. Ce questionnaire permet aussi de leur rappeler qu’ils peuvent trouver toutes sortes d’informations utiles et vérifiées sur les sites des Nations Unies entièrement dédiés à la crise de COVID-19.

Soucieux de mettre en évidence le travail que les organisations de la société civile accomplissent sur le terrain et la valeur ajoutée qu’elles apportent à la réponse mondiale à la pandémie, le DCG invite, d’autre part, leurs représentants à partager leurs expériences et solutions en lien avec la COVID-19. « Quel que soit le domaine d’action de votre organisation, nous pensons que notre objectif commun nous tirera vers le haut en ces temps difficiles et que nous pouvons tirer des enseignements des efforts des autres et nous en inspirer », explique le Département sur sa plateforme d’échanges.

Entre autres exemples, l’une de ces organisations de la société civile, la Ligue des femmes électrices des États-Unis (LWVUS), indique travailler à la protection du droit de vote pendant la pandémie. Son action se concentre tout particulièrement sur l’éducation civique et sur l’information du public, qu’il s’agisse des nouvelles pratiques en place ou de la désinformation suscitée par la crise sanitaire.  

Ces espaces de partage d’expériences se multiplient au sein du système onusien, à l’image du Bureau de l’UNESCO pour le Maghreb qui a entrepris, le 20 avril, en partenariat avec des organisations citoyennes du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie de consulter les jeunes de la région sur des sujets liés à la COVID-19, comme l’accès à l’information et la lutte contre la désinformation.    

Protéger les droits de l’homme

Dans une note d’orientation publiée en avril, le Secrétaire général de l’ONU constate que la crise sanitaire actuelle a entraîné une « crise des droits de l’homme dont les répercussions sont liées à toute une série de droits de l’homme, notamment les droits à la liberté d’expression, à l’accès à l’information et à la vie privée ».

Face à l’urgence de la situation, plus de 80 gouvernements dans le monde ont déclaré l’état d’urgence mais la plupart n’ont pas notifié les Nations Unies, comme l’exige pourtant le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. De fait, certaines restrictions liées à la pandémie ont pour effet de limiter le droit des personnes à accéder à l’information et la capacité des médias à lutter contre les mensonges.

« Certains États ont utilisé l'apparition du coronavirus comme prétexte pour restreindre l'information et étouffer les critiques », a dénoncé, le 24 avril, Michelle Bachelet, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme. « Un média libre est toujours essentiel, mais nous n'en avons jamais dépendu autant que durant cette pandémie, alors que tant de personnes sont isolées et craignent pour leur santé et leurs moyens de subsistance ».

« Les information crédibles et précises sont une bouée de sauvetage pour nous tous », a-t-elle ajouté, en écho aux préoccupations exprimées par M. Guterres sur la « dangereuse épidémie de désinformation » que génère la COVID-19.

« Les journalistes jouent un rôle indispensable dans notre réponse à cette pandémie, mais contrairement aux graves menaces qui pèsent sur d'autres travailleurs essentiels, les menaces auxquelles les travailleurs des médias sont confrontés sont entièrement évitables », a souligné Mme Bachelet. « Protéger les journalistes contre le harcèlement, les menaces, la détention ou la censure nous aide à rester en sécurité ».