Célébrant le 75e anniversaire des Nations Unies, nous devons travailler ensemble pour concrétiser les possibilités de l'unité africaine

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Célébrant le 75e anniversaire des Nations Unies, nous devons travailler ensemble pour concrétiser les possibilités de l'unité africaine

— Mme Fatima Kyari Mohammed, l'Observatrice permanente et chef de mission de l'Union africaine auprès des Nations Unies.
Africa Renewal
Afrique Renouveau: 
29 Septembre 2020
Fatima Kyari Mohammed
UN Photo/Manuel Elias
Fatima Kyari Mohammed, l'Observatrice permanente de l'Union africaine auprès des Nations Unies, parlant au Conseil de sécurité de l'ONU de la paix et de la sécurité en Afrique, et plus particulièrement de la lutte contre le terrorisme et l'extrémisme en Afrique.

Mme Fatima Kyari Mohammed, l'Observatrice permanente et chef de mission de l'Union africaine auprès des Nations Unies, s'est entretenue avec Afrique Renouvequ sur l'impact de la pandémie de la COVID-19, marquant ainsi une année charnière dans la lutte pour les droits des femmes et les réflexions sur la relation de l'Union africaine avec l'ONU à l'occasion de sa 75e année d'existence. Extraits : 

. Fatima Kyari Mohammed
Mme Fatima Kyari Mohammed

Comment la COVID-19 affecte-t-elle les priorités de l'Afrique telles que les Objectifs de développement durable et l'Agenda 2063 pour l'Afrique ?

Comme vous le savez, les agendas de 2030 et de 2063 sont très similaires. Des thèmes prioritaires tels que l'éradication de la pauvreté et de la faim, la sécurité alimentaire et le traitement de certains des défis socio-économiques plus larges dans les domaines de la santé, de l'éducation et de l'emploi, en particulier pour les plus vulnérables, ont été fortement influencés d'une façon qui n'avait pas été anticipée il y a un an. La pandémie nous a obligés à concentrer notre attention sur certains aspects et à réaffecter les ressources. La COVID-19 nous a montré à quel point le monde est étroitement lié. Aucun individu, pays ou région n'est à l'abri de cette réalité.

Quel a été son impact sur votre travail ?

Comme tout le monde, nous avons dû nous réorganiser pour être en mesure de tenir nos engagements et de mener à bien notre mandat. Nous avons modifié certaines priorités. Il était important de bien comprendre la pandémie et ses implications et de tenter de surmonter les obstacles qui en découlent. 

La réponse du continent africain a permis de ralentir la propagation de la pandémie au début de l'année. Comment les pays peuvent-ils mieux faire face à ce défi ?    

La pandémie a procuré à l'Afrique un double avantage. Premièrement, tirant les leçons de l'épidémie d'Ebola, de nombreux pays africains ont rapidement mis en place des mesures pour freiner la propagation de la COVID-19 bien à temps. Deuxièmement, en termes de calendrier, la pandémie a frappé le continent à un moment où de nombreuses autres régions connaissaient déjà leurs pires moments. Nous avons donc eu amplement le temps de tirer les leçons de l'expérience des autres.

Pour aller de l'avant, l'Union africaine (UA), par l'intermédiaire des Centres africains de contrôle et de prévention des maladies, soutient les institutions de santé publique sur tout le continent par le biais de l'innovation et de partenariats stratégiques. 

Nous coordonnons et apportons des solutions intégrées aux lacunes de notre système de santé publique en termes d'infrastructures, de formation et d'équipement, afin que les pays soient mieux préparés à répondre aux futures situations d'urgence et catastrophes en matière de santé.

Comment l'Afrique peut-elle mieux se relever de la pandémie ?

Le plus grand coup pour la plupart des pays africains est que les gains socioéconomiques ont été entravés. L'impact sur le développement économique est dévastateur. Au-delà de l'impact sur la santé et l'éducation, le stress économique sur les populations est une préoccupation majeure. 

Les pays devraient profiter de cette expérience pour reconstruire mieux et plus efficacement. L'impact sur les emplois, les entreprises et les revenus des familles signifie que les réponses et les stratégies que nous mettons en place doivent se concentrer sur les moyens de soutenir les personnes les plus touchées. Nous avons besoin d'investissements et de politiques appropriés qui peuvent éradiquer l'extrême pauvreté et assurer l'accès et l'égalité des chances pour tous.

Le Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, préconise la réduction des inégalités dans le cadre d'un ordre de développement post-COVID-19. Comment l'UA, y compris votre cabinet, pourrait-elle contribuer à concrétiser la vision du SG au profit du continent ? 

Le partenariat entre l'UA et l'ONU est une priorité absolue pour nous. Le président de la Commission de l'UA, Moussa Faki Mahamat, soutient fermement l'appel du Secrétaire général des Nations Unies à une action collective contre ce fléau et à un cessez-le-feu mondial. Nous ne pouvons endiguer la pandémie que si nous travaillons ensemble. La mission d'observation de l'UA auprès des Nations Unies continuera à soutenir la vision et les priorités des deux institutions.

Plusieurs études montrent que les femmes sont particulièrement touchées par la pandémie de la COVID-19. Quel est le rôle des femmes dans le processus de rétablissement ? 

Il est vrai que même avant que la pandémie ne frappe, nous avons plaidé pour la totale participation des femmes à la prise de décision. Les économies sont plus fortes et les processus de paix plus fructueux avec la participation active des femmes. Les femmes peuvent réussir, à tous les niveaux de la communauté, du plus bas au plus haut. J'encourage les femmes à continuer de dénoncer les injustices et à se défendre mutuellement. Cette pandémie a augmenté les cas de violence sexiste, qui ne devraient pas être tolérés. Si nous voulons vraiment changer les choses, nous, hommes et femmes, devons continuer à défendre, à éduquer et à dénoncer les auteurs de la violence contre les femmes.

2020 est une année charnière pour les femmes - avec Beijng+25, la résolution 1325+20 du Conseil de sécurité des Nations unies et les 15 ans d'entrée en vigueur du protocole de Maputo - qui remettent en question les anciens stéréotypes sur le rôle des femmes dans la société. 

Dans quelle mesure les pays africains ont-ils réalisé des progrès en matière d'égalité des sexes ? 

Les progrès réalisés par l'Afrique depuis la 4e conférence sur les femmes de Pékin en 1995 sont certes louables, mais nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir. Nous disposons de politiques, de stratégies et de plans d'action solides, progressistes, mondiaux et continentaux concernant les femmes, la paix et la sécurité. Pourtant, les femmes et les filles continuent de faire les frais des conflits en Afrique. Elles sont victimes de violences sexuelles et d'autres formes d'abus et elles sont sous-représentées dans les processus de paix aux niveaux local, national et continental. La stratégie de l'UA en matière d'égalité des sexes est conforme à la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies sur les femmes, la paix et la sécurité. 

Toutefois, sa mise en œuvre reste un défi, notamment en ce qui concerne la participation réelle des femmes aux activités de paix et de sécurité. Cette étape devrait raviver la nécessité pour les femmes de faire entendre leur voix dans le cadre du programme de paix et de sécurité. Il ne fait aucun doute que le partenariat de l'UA avec les organisations de femmes à travers le continent est le vecteur d'actions plus concrètes.

Le Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine a récemment adopté le Cadre continental pour la jeunesse, la paix et la sécurité. Comment envisagez-vous le rôle des jeunes dans la quête de la paix et de la sécurité en Afrique ? 

Malgré l'adoption du cadre auquel vous avez fait référence, nous n'en sommes encore qu'au tout début de ce parcours. Les jeunes d'aujourd'hui - la plus grande génération de jeunes de l'histoire - sont marginalisés, exclus, exploités et facilement entraînés dans les conflits. De nombreux jeunes, en particulier les jeunes femmes, manquent de ressources et de possibilités pour développer leur potentiel et participer aux processus politiques, de paix et de sécurité. Au contraire, ils sont vulnérables, en particulier pendant les conflits. 

Le cadre lui-même renforce l'appel à agir sur la jeunesse, la paix et la sécurité en Afrique. Son adoption est une reconnaissance du fait que la jeunesse est le plus grand atout de l'Afrique. Il contribue à accroître les possibilités de participation active des jeunes aux processus décisionnels ainsi qu'à la planification et à la programmation.

L'ONU soutient la campagne de l'UA "Faire taire les armes à feu en Afrique d'ici 2020". Que signifie pour l'Afrique le silence des armes et comment votre bureau travaille-t-il avec la communauté internationale pour atteindre cet objectif ?

Permettez-moi de mettre la question en contexte : L'initiative "Faire taire les armes" en Afrique était une promesse faite par les dirigeants africains en mai 2013 de mettre fin à toutes les guerres sur le continent à l'horizon de 2020. Comme vous le savez, cette initiative est un élément essentiel de l'Agenda africain pour 2063 et le Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine a adopté par la suite une Feuille de route principale des mesures pratiques pour faire taire les armes à feu d'ici 2020. Cette feuille de route met l'accent sur les interventions structurelles dans plusieurs domaines tels que le développement socio-économique, l'autonomisation des jeunes et des femmes, l'emploi, l'éducation, le changement climatique et la gouvernance. 

Nous travaillons avec nos partenaires pour faire évoluer le discours et assurer une paix durable sur le continent. Mais nous avons encore beaucoup de travail à faire pour faire adhérer la communauté internationale. Faire taire les armes en Afrique signifie pouvoir se développer et aller de l'avant et construire un continent pacifique et prospère pour nos populations.

À l'heure où les Nations unies fêtent leur 75e anniversaire, quel est l'importance de l'organisation pour la paix, la sécurité et le développement de l'Afrique ?

Le partenariat entre l'UA et l'ONU en matière de paix et de sécurité est très pertinent.  Les deux organisations travaillent ensemble dans de nombreux domaines. Nous avons des consultations annuelles, un groupe de travail conjoint, nous effectuons des visites conjointes sur le terrain et nous menons des efforts de médiation. Nous coopérons également sur les questions électorales et la gouvernance, la protection des droits de l'homme, entre autres. 

L'Afrique continue de plaider pour une plus grande représentation au Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU). Quel est l'argument le plus fort en faveur d'une telle représentation ?

Comme vous le savez, l'Afrique a une position commune sur la réforme du Conseil de sécurité des Nations Unies. L'Afrique a toujours plaidé en faveur d'une représentation au sein de la " catégorie permanente " du Conseil. Il est également nécessaire d'augmenter la représentation africaine dans la catégorie "non permanente" afin de parvenir à une réforme véritable et significative du Conseil de sécurité des Nations Unies. Une représentation géographique équitable, conforme aux principes, objectifs et idéaux de la Charte des Nations Unies, ne peut que conduire à un monde plus juste et plus équitable.

À tout moment, il y a trois États africains qui occupent des sièges non permanents au Conseil de sécurité de l'ONU, ce qu'on appelle l'A3. Quelles sont, selon vous, les trois principales réalisations de l'A3 ces derniers temps pour faire avancer l'agenda de l'Afrique ?

Tout d'abord, la coopération entre les membres a été renforcée, en particulier ces dernières années. Cela a permis de défendre les positions, les intérêts et les préoccupations communes de l'Afrique sur les questions de paix et de sécurité qui sont à l'ordre du jour du Conseil de sécurité des Nations Unies. 

Deuxièmement, nous avons maintenant établi des réunions annuelles entre le Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine et le Conseil de sécurité des Nations Unies. Cela démontre l'engagement des deux conseils à travailler ensemble sur les questions de paix et de sécurité en Afrique. L'A3 garantit l'efficacité des consultations. 

Troisièmement, l'A3 a contribué à créer des possibilités d'alliances avec d'autres membres du Conseil de sécurité des Nations Unies, en veillant à ce qu'ils soutiennent notre cause mondiale pour la paix dans le monde.

La zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) est considérée comme le prochain grand projet de l'Afrique. Pourquoi les Africains devraient-ils être optimistes ? 

L'objectif de la zone de libre-échange africaine est de tirer parti de l'immense population d'environ 1,3 milliard de personnes et d'un PIB combiné estimé à 3 400 milliards de dollars en créant un marché unique des biens et des services, en facilitant la libre circulation des biens et des personnes, en accélérant les investissements et en créant éventuellement une union douanière. 

La zone de libre-échange d'Afrique pourrait permettre à 30 millions de personnes de sortir de l'extrême pauvreté d'ici 2035. Alors, pourquoi les africains ne seraient-ils pas optimistes ? La ZLECA est notre ambition pour le progrès et le développement collectifs. Bien sûr, il faut mettre en place des politiques et des mesures réglementaires, mais certaines d'entre elles sont déjà en place dans les pays et les sous-régions.

Quel message d'espoir avez-vous pour les Africains pendant cette période difficile ?

Alors que nous marquons le 75e anniversaire des Nations Unies, nous devons réfléchir à la pandémie de la COVID-19 et travailler ensemble pour la combattre et coopérer à un redressement durable. Comme je l'ai dit précédemment, la pandémie a mis en évidence de nombreuses lacunes, mais elle a également renforcé le fait que nous vivons dans un monde interconnecté. En tant qu'Africains, nous devons reconnaître le potentiel et les opportunités de l'unité africaine et travailler ensemble. 

Nous sommes tous une partie de l'humanité. Nous ne pouvons pas ignorer le fait que le monde est en train de souffrir. L'action collective, le respect mutuel et le respect des règles et normes internationales sont essentiels si nous voulons atteindre nos objectifs communs.  En bref, le multilatéralisme est important.