Haro sur le braconnage

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Haro sur le braconnage

Réunir les preuves nécessaires au démantèlement des réseaux criminels
Afrique Renouveau: 
Baby elephants “play soccer” as they graze at the David Sheldrick Wildlife Trust in Nairobi, Kenya. Photo: AMO/Stephen Mudiari Kasabuli
Photo: AMO/Stephen Mudiari Kasabuli
Des éléphanteaux paissent et « jouent au football » au David Sheldrick Wildlife Trust de Nairobi, au Kenya. Photo: AMO/Stephen Mudiari Kasabuli

Face à l’augmentation du braconnage des animaux, les défenseurs de l’environnement réclament des lois plus sévères et des mesures dissuasives pour lutter contre les crimes perpétrés contre la faune sauvage.

Les gouvernements africains et les organisations non gouvernementales commencent à prendre ces crimes très au sérieux, à l’instar d’autres formes de crimes transnationaux comme le trafic de drogue ou la traite des êtres humains. Ces dernières années, plusieurs pays ont renforcé leurs lois anti-braconnage et intensifié les poursuites contre leurs auteurs.

Des groupes de conservation de la nature apportent à présent leur soutien aux nouvelles mesures de dissuasion contre le braconnage, à l’instar de la nouvelle Commission justice pour la faune (Wildlife Justice Commission, WJC), qui rassemble des preuves pour aider à démanteler le crime transnational organisé lié aux espèces sauvages. La WJC est basée à La Haye aux Pays-Bas, près de la Cour pénale internationale et de plusieurs tribunaux de l’ONU chargés d’instruire les crimes de génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. Depuis 2015, l’unité du renseignement de la Commission rassemble des informations sous forme d’évaluations tactiques, opérationnelles et stratégiques visant à appuyer les enquêtes en cours. Elle diffuse aussi l’information sur les auteurs des crimes contre la faune aux organismes chargés de l’application des lois et à d’autres organisations non gouvernementales.

L’équipe d’experts en droit, criminologie et faune de la WJC mène des enquêtes sur le terrain dans le monde entier pour identifier les responsables du braconnage, du trafic et du commerce des produits issus de la faune sauvage. Ils publient les noms des auteurs les plus en vue et des endroits où ils agissent dans des « Cartes factuelles » de plusieurs centaines de pages. Ces informations sont publiées sur les réseaux sociaux, accompagnées de preuves audio et vidéo et d’analyses précises du renseignement.

La WJC ne doit pas son existence à un traité international. Elle ne peut donc pas faire appliquer les lois, ni  rendre des verdicts contraignants. Une fois son enquête terminée, la Commission entre dans une phase de dialogue et de diplomatie pour sensibiliser, accorder au sujet une place  dans le programme politique, et exiger des poursuites. Si les autorités nationales ne prennent aucune mesure, la Commission peut tenir des audiences publiques devant un Groupe  de suivi des responsabilités.

« Je suis convaincue que la loi a le pouvoir de changer les comportements », assure la Directrice exécutive de la Commission, Olivia Swaak-Goldman.

Lors de l’entretien qu’elle a accordé à Afrique Renouveau dans son bureau de La Haye, Mme Swaak-Goldman a expliqué que le braconnage restait répandu en raison des faibles  probabilités d’arrestation.

La WJC veut donc encourager les poursuites contre ces crimes, accroître les risques pour leurs auteurs et créer un effet dissuasif à  long terme.

Cette approche a permis des arrestations et le démantèlement de réseaux de trafic  d’espèces sauvages dans plusieurs pays africains, mais de nombreux défis subsistent. Au cours des dernières années, le nombre d’animaux tués a atteint des sommets  historiques. Les conséquences sont graves : près de 1400 rhinocéros africains ont ainsi été braconnés en 2015 alors que ce chiffre n’était que de 400 environ en  2010.

Le braconnage et le commerce illicite ne sont pas seulement un danger pour l’environnement. Selon l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), qui a publié en mai 2016 son premier Rapport mondial sur la criminalité liée aux espèces sauvages, ils représentent au final une atteinte à l’état de droit car ils nourrissent les conflits.

Le Kenya a toujours traité le braconnage comme une infraction secondaire, mais une loi introduite en 2013 fixe désormais des peines  minimales élevées en cas de  crimes contre les espèces sauvages, y compris des peines d’emprisonnement quand il s’agit d’espèces  en voie de disparition.

« Les peines encourues en cas de  crimes liés aux espèces sauvages au Kenya sont maintenant les plus sévères au monde et incluent même, dans certains cas, la réclusion à perpétuité », explique Paula Kahumbu, membre de WildlifeDirect, un groupe kényan d’action pour la conservation de la faune.

Depuis la mise en place de cette loi, le nombre d’éléphants tués par braconnage dans le pays a diminué de 80% et celui des rhinocéros a baissé de 90%. De plus en plus, les États et la communauté internationale reconnaissent le besoin d’améliorer les lois et de les faire appliquer.

En juillet 2015, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté une résolution (69/314) destinée à lutter contre le trafic illicite des espèces sauvages. Elle a prié instamment  les États membres  de « prendre des mesures décisives au niveau national pour prévenir, combattre et éradiquer le commerce illicite d’espèces de faune sauvages ».

Plusieurs pays africains ont déjà adopté de nouvelles lois ou renforcé les sanctions. Le Mozambique a promulgué en juin 2014 une nouvelle loi sur la conservation  qui fait du braconnage des espèces sauvages un crime grave.

En Tanzanie, c’est une unité d’élite, l’Unité nationale et transnationale d’enquête sur les crimes graves (National and Transnational Serious Crimes Investigation Unit, NTSCIU), qui est le plus souvent appelée à poursuivre les auteurs de crimes contre les espèces sauvages. Selon les protecteurs de l’environnement, les lois sont plus que nécessaires. « La rapidité des poursuites associée à de lourdes peines pourrait  jouer un rôle décisif en dissuadant les criminels, surtout si des personnes proches ou au sommet de la hiérarchie criminelle sont arrêtées », souligne Richard Thomas, du réseau de surveillance du commerce des espèces sauvages TRAFFIC, une organisation non gouvernementale basée au Royaume-Uni.

Ces lois, les pays africains les adoptent et commencent à les appliquer.

Cependant, l’alourdissement des peines ne saurait  être l’unique remède. « L’un des principaux défis dans  la lutte contre les activités de braconnage par le biais de  condamnations est la faiblesse des preuves et des poursuites qui en résulte, ainsi que  le manque de preuves », note Julius Kamau, le conservateur kényan. « De nombreux crimes restent donc impunis. »

Pour s’attaquer au problème, le Kenya et l’Afrique du Sud s’appuient sur des laboratoires de collecte des informations relatives à l’ADN, avec des bases de données qui permettent d’établir le lien entre l’ivoire volé ou la viande de gibier d’une part, et des animaux spécifiques d’autre part. Cette information sur l’ADN peut ensuite être utilisée comme preuve irréfutable devant un tribunal et peut par exemple permettre de prouver le lien avec un suspect grâce aux cheveux retrouvés sur la scène du crime, ou grâce à un couteau maculé de sang. Les animaux semblent par ailleurs avoir presque tous été tués dans des régions bien précises  d’Afrique.

Il arrive que les suspects ne soient  jamais arrêtés ou que leurs affaires  ne soient  pas jugées. Il y aussi les défis interculturels. L’arrestation d’Asiatiques peut poser aux enquêteurs africains des problèmes pendant les interrogatoires en raison des barrières linguistiques. M. Thomas préconise  pour sa part une collaboration renforcée entre autorités asiatiques et africaines : les pays asiatiques pourraient par exemple poster des agents chargés de l’application des lois en Afrique. Les enquêteurs auraient ainsi accès à ces agents pour assister les personnes chargées des interrogatoires dans leur travail, ou pour obtenir des informations lorsqu’il y a  saisie de documents, d’ordinateurs ou de téléphones portables.

Une autre possibilité serait qu’un plus grand nombre de pays adoptent l’équivalent de la loi Lacey aux États-Unis, qui leur permettrait de poursuivre leurs propres ressortissants pour ces crimes, indépendamment de l’endroit où ils ont été commis. « Arrêtés, ces ressortissants pourraient alors être extradés et poursuivis dans leur pays d’origine – ce qui changerait complètement la donne », conclut M. Thomas.    

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