Que signifie la « Passerelle de Doha » pour l’Afrique ?

Get monthly
e-newsletter

Que signifie la « Passerelle de Doha » pour l’Afrique ?

Bien trop peu, compte tenu de la vulnérabilité du continent
Afrique Renouveau: 
Panos/Dieter Telemans
Un barrage de terre asséché près de Magadi (Kenya). Photo: Panos/Dieter Telemans

La conférence des Nations Unies sur les changements climatiques de Doha (Qatar) a abouti en décembre 2012 à un nouvel accord, la « Passerelle de Doha ». Cet accord prévoit notamment la prolongation jusqu’en 2020 du protocole de Kyoto de 1997 sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, ainsi qu’un plan de travail pour la négociation d’ici à 2015 d’un nouveau pacte mondial sur le climat, à mettre en œuvre à partir de 2020. 

Malgré ces engagements, la conférence de Doha n’a guère fait avancer les pourparlers internationaux, ni fixé d’objectifs suffisamment ambitieux en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. 

Cet échec aggrave le risque d’une hausse des températures mondiales moyennes de 2 degrés Celsius avant la fin du siècle. Le Rapport 2012 sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) souligne qu’en l’absence d’efforts supplémentaires les émissions annuelles totales de gaz à effet de serre pourraient atteindre 58 gigatonnes d’ici à 2020 (contre 40 en 2000), soit bien plus que le niveau requis, selon les scientifiques, pour maintenir la hausse des températures au dessous de 2° C. 

D’après la Banque mondiale, même en respectant pleinement les engagements pris, la probabilité que les températures augmentent de plus de 4° C avant la fin du siècle est de l’ordre de 20 %. Les changements cataclysmiques qui en résulteraient – vagues de chaleur extrême, baisse des réserves alimentaires mondiales et élévation du niveau des mers – nuiraient à des centaines de millions de personnes. 

Toutes les régions du monde seraient touchées, mais davantage les plus pauvres, et le développement durable en Afrique serait fortement ralenti. De graves sécheresses dans la Corne de l’Afrique en 2011 et au Sahel en 2012 ont mis en évidence la vulnérabilité du continent.

Financement lent à venir

Les pays africains sont parmi ceux qui sont le moins en mesure de faire face aux effets néfastes du changement climatique. À Copenhague en 2009, les pays développés se sont engagés à mobiliser 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020 (Fonds vert pour le climat) afin d’aider les pays en développement à s’adapter aux changements climatiques et à les atténuer. Ils ont également promis de verser 30 milliards de dollars de « financement de démarrage rapide » au plus tard en 2012. 

Mais d’après le Centre africain pour les politiques climatiques de la Commission économique pour l’Afrique (CEA), sur les 30 milliards de dollars promis en 2009, seuls 45 % ont été « engagés », 33 % « alloués » et environ 7 % « déboursés ». 

À Doha, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France, le Danemark, la Suède et la Commission européenne ont annoncé des contributions financières de près de 6 milliards de dollars jusqu’en 2015. La plupart des pays développés n’ont rien promis. Les pays africains ont ainsi quitté Doha sans avoir obtenu grand-chose. 

Approches locales

L’Afrique doit prendre au plus vite des mesures efficaces contre les effets du changement climatique. Heureusement, il existe déjà de nombreux exemples d’approches locales. 

Au Togo, par exemple, les données et compétences acquises au cours d’un projet de remise en état de barrages ont permis au gouvernement de planifier la réparation de tous les autres réservoirs du Togo. Ainsi, l’accès à l’eau a été amélioré pour la majorité des communautés locales et les eaux pluviales récupérées des barrages sont destinées à la consommation domestique et agropastorale.

Aux Seychelles, les eaux pluviales récupérées dans des écoles servent à l’arrosage des jardins, au nettoyage et aux chasses d’eau. Ce projet a également permis aux écoles d’économiser jusqu’à 250 dollars par mois sur leur facture d’eau, à investir dans des ressources pédagogiques. Une loi actuellement à l’étude rendrait obligatoires les systèmes de récupération des eaux pluviales. 

Ces initiatives sont cependant limitées. Davantage de fonds sont nécessaires pour en étendre la portée. Il est difficile de savoir si l’Afrique disposera un jour des fonds suffisants pour permettre aux populations les plus vulnérables de s’adapter aux effets néfastes du changement climatique. 

Avant la conférence de Doha, les pays en développement ont adopté une position commune. Ils souhaitaient notamment un nouveau traité sur le climat, des financements et de nouvelles technologies pour les aider dans leur transition vers une économie « verte » moins polluante. « Nous devons tous d’une certaine façon lutter contre le changement climatique pour parvenir à un développement durable », a déclaré Ali Mohammed, secrétaire permanent du Ministère de l’environnement et des ressources minérales du Kenya. « L’Afrique, les petits États insulaires en développement et les pays les moins avancés continuent de souffrir le plus des effets du changement climatique. »

Priorité à l’adaptation

De plus grands efforts d’adaptation sont indispensables en Afrique et devraient bénéficier d’un large soutien financier et politique, en Afrique et dans le monde entier. Le financement à long terme de la lutte contre le changement climatique provenant des pays développés doit être transparent et s’adresser aussi en priorité aux pays en développement les plus vulnérables. 

Une meilleure allocation est également nécessaire. Actuellement, les « fonds pour le démarrage rapide », même lents à arriver, sont principalement investis dans des projets d’« atténuation », qui s’attaquent aux causes des changements climatiques, en cherchant par exemple à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Les projets d’atténuation reçoivent 62 % des fonds, alors que 25 % seulement sont destinés à l’«adaptation », qui vise à réduire les conséquences des changements climatiques avérés et futurs. Les 13 % restants sont consacrés à la lutte contre la déforestation, qui relève aussi de l’atténuation, les forêts participant à l’absorption des gaz à effet de serre. 

« En Afrique, nous devons connaître le montant des nouveaux fonds, leur provenance, et savoir s’ils financeront les projets d’adaptation qui font cruellement défaut », a insisté Seyni Nafo, porte-parole du Groupe africain à la conférence de Doha.

Des points positifs

Malgré les progrès limités en matière de financement, les pays africains ont noté cinq résultats positifs de Doha : 

  • La prolongation du protocole de Kyoto et de l’accès aux mécanismes d’échange de droits d’émission de carbone tels le Mécanisme pour un développement propre.
  • Le financement de plans d’adaptation nationaux pour tous les pays particulièrement exposés, et non seulement les petits États insulaires en développement et les pays les moins avancés, comme précédemment.
  • L’élaboration prévue d’un mécanisme international qui permettrait de venir en aide aux pays subissant des phénomènes lents (sécheresses, fonte des glaces et élévation du niveau des mers).
  • Un programme d’éducation, de formation et de sensibilisation au changement climatique, afin que le public participe à la prise de décisions.
  • L’évaluation prévue des besoins des pays en développement en termes de technologie verte, ainsi que l’engagement de ne prendre aucune mesure unilatérale concernant le développement et le transfert des technologies.

Relever le défi du changement climatique exigera d’énormes compromis de la part de tous les pays. Mais le changement climatique n’attendra pas l’adoption d’accords internationaux contraignants. Les gouvernements, les sociétés et les autres acteurs ne devraient pas non plus hésiter à agir et à soutenir les initiatives locales.

Richard Munang est coordinateur des politiques et programmes du Programme africain d’adaptation aux changements climatiques du Programme des Nations Unies pour l’environnement, et Zhen Han est chargée de recherche au Council of World Women Leaders et diplômée en politique environnementale de l’université Cornell (États-Unis). 

More from this author