Lutter contre les flux financiers illicites pour assurer l'avenir de l'Afrique et endiguer les conflits

Get monthly
e-newsletter

Lutter contre les flux financiers illicites pour assurer l'avenir de l'Afrique et endiguer les conflits

La perte annuelle de 88,6 milliards de dollars US due à la fuite illicite de capitaux doit être considérée comme une opportunité de développement manquée.
Afrique Renouveau: 
10 Février 2021
Une image de billets de banque.
Unsplash/Jason Leung
Le rapport 2020 de la CNUCED sur le développement économique en Afrique indique que les flux financiers illicites privent l'Afrique de 88,6 milliards de dollars chaque année.

Les flux financiers illicites (FFI) font payer un lourd tribut au développement, tant aux riches qu'aux pauvres, mais en Afrique, ce sont les populations les plus pauvres qui paient le prix le plus élevé. Selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), dans un rapport publié en septembre 2020, l'Afrique perd chaque année environ 88,6 milliards de dollars américains en raison de la fuite illicite de capitaux, ce qui équivaut à 3,7 % du produit intérieur brut du continent.

Les IFF sont, en gros, des mouvements illégaux d'argent d'un pays à l'autre. Ces activités financières peuvent impliquer des revenus provenant d'activités illégales, d'évasion fiscale, de transferts abusifs de bénéfices, de fausses factures commerciales, de la traite des êtres humains et du trafic de drogue, de la corruption, entre autres.

"Elles représentent un exemple d'inégalités systémiques car elles touchent de manière disproportionnée les groupes les plus pauvres et les plus vulnérables", déclare Munir Akram, représentant permanent du Pakistan et président du Conseil économique et social des Nations unies (ECOSOC).

 Les milliards perdus chaque année par les IFF sont presque égaux à l'aide publique au développement (APD) et aux flux d'investissements directs étrangers (IDE) vers l'Afrique réunis. Les fonds perdus dans la fuite illicite des capitaux laissent les pays vulnérables avec des infrastructures inadéquates, une alimentation électrique irrégulière et un accès limité à la santé, à l'éducation et au service internet à large bande pour leurs citoyens, entre autres privations.

Cristina Duarte
Les 88,6 milliards de dollars que l'Afrique perd chaque année ne sont pas qu'un chiffre. Il faut l'envisager sous l'angle des opportunités de développement manquées, des moyens de subsistance perdus et de la pauvreté accrue.
Mme Cristina Duarte
Secrétaire générale adjointe de l'ONU et Conseillère spéciale pour l'Afrique

La secrétaire générale adjointe des Nations Unies et conseillère spéciale pour l'Afrique, Mme Cristina Duarte, déclare : "Les 88,6 milliards de dollars que l'Afrique perd chaque année ne sont pas qu'un chiffre. Il faut l'envisager sous l'angle des opportunités de développement manquées, des moyens de subsistance perdus et de la pauvreté accrue".

Cela signifie qu'il faut l'envisager dans le contexte des millions de personnes qui auraient pu être sorties de la pauvreté, du nombre énorme d'opportunités d'emploi qui auraient pu être créées pour la population jeune en pleine expansion de l'Afrique, des milliers d'hôpitaux et d'écoles qui auraient pu être construits, et de la manière dont tout cela aurait pu se traduire par un renforcement de la stabilité et de la cohésion des sociétés et des communautés du continent.

Un autre rapport de la CNUCED estime que le déficit de financement pour atteindre les SDG d'ici 2030 en Afrique est de 200 milliards de dollars par an, soit presque le montant combiné des IFF et de l'amélioration du recouvrement des impôts.

"Les flux financiers illicites et la corruption entravent le développement de l'Afrique en drainant les devises, en réduisant les ressources intérieures, en étouffant le commerce et la stabilité macroéconomique et en aggravant la pauvreté et les inégalités", explique Mukhisa Kituyi, secrétaire général de la CNUCED.

"Les gouvernements africains - de concert avec les acteurs du secteur privé africain - devraient prendre l'initiative de renforcer le recouvrement des avoirs volés, d'établir de nouvelles normes pour éviter les flux illicites et de s'engager dans des actions plus concertées pour combattre l'impact négatif des flux financiers illicites sur les économies africaines", déclare M. Kituyi.  

Les IFF, une question de gouvernance

Outre les sommes considérables drainées chaque année, les FFI peuvent également devenir l'engrais qui alimente les conflits et menace la paix et la sécurité en Afrique. L'objectif 16 des SDG appelle à la réduction significative des flux financiers et d'armes illicites, au renforcement du recouvrement et de la restitution des avoirs volés et à la lutte contre toutes les formes de criminalité organisée. Il appelle également à une réduction substantielle de la corruption et des pots-de-vin sous toutes leurs formes et encourage le développement d'institutions efficaces, responsables et transparentes à tous les niveaux.

En outre, l'aspiration 7 de l'Agenda 2063 de l'Union africaine (UA) appelle le continent à "prendre l'entière responsabilité du financement de son développement" et pour atteindre cet objectif, il doit "éliminer les sorties de capitaux illicites et promouvoir la participation des organisations de la société civile pour suivre et ramener toute sortie de capitaux illicites".

Un partenariat mondial pour un problème mondial

Étant donné la nature transfrontalière des FFI, il est nécessaire d'agir au niveau mondial.

En 2019, les Nations Unies ont lancé le Groupe de haut niveau sur la responsabilité, la transparence et l'intégrité financières internationales pour la réalisation de l'agenda 2030 (FACTI).

Ce groupe a été chargé d'examiner les défis et les tendances actuels en matière de responsabilité financière, de transparence et d'intégrité, et de formuler des recommandations fondées sur des données probantes afin de rendre les systèmes plus complets, plus solides, plus efficaces et plus universels dans leur approche. Leur premier rapport contenant leurs conclusions doit être publié le 25 février.

L'UA a également été très active sur ce front. La Commission de l'UA a consacré l'année 2018 à "gagner la lutte contre la corruption" : Un chemin durable pour la transformation de l'Afrique", dans un effort concerté pour combattre la mauvaise gouvernance financière, la mauvaise allocation des ressources budgétaires, les obstacles à l'investissement productif et la croissance des inégalités systémiques sur le continent.

L'UA et ses États membres sont également engagés dans des partenariats stratégiques pour relever les défis et combler les lacunes existantes et émergentes dans la lutte contre les flux migratoires. Il s'agit notamment du Forum africain de l'administration fiscale (ATAF), du Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales et du Groupe d'action financière.

En décembre 2020, l'UA a lancé une action multidonateurs de 7 millions d'euros (8,4 millions de dollars US) avec l'Union européenne et le ministère fédéral allemand du développement économique et de la coopération pour lutter contre le fléau des FFI sur le continent africain.  

Récemment et pour soutenir les efforts de l'UA et de la communauté internationale dans cette lutte, le Bureau du conseiller spécial pour l'Afrique (OSAA) des Nations Unies a organisé, le 10 décembre 2020, en partenariat avec la mission permanente d'observation de l'UA auprès des Nations Unies, un événement intitulé : "Initiative de l'UA pour faire taire les armes à feu - Le rôle des flux financiers illicites dans l'alimentation de l'instabilité en Afrique". L'événement a réuni plus de 250 experts de différents secteurs pour discuter des façons dont les FFI alimentent les conflits et des moyens de les atténuer.

Les participants à l'événement se sont accordés sur la nécessité de donner la priorité à l'élimination des paradis fiscaux offshore. En permettant le stockage et l'accès à des richesses mal acquises dans des délais très courts, les IFF et les juridictions du secret encouragent les auteurs de violences.  

Pour mettre un terme à cette pratique, il faudrait s'attaquer à la longue chaîne de personnes impliquées, à savoir les avocats, les comptables, les banques et aussi certaines lois clémentes qui ferment les yeux sur les origines douteuses des fonds.  Seule une réponse globale peut permettre de résoudre ce problème mondial. Tant qu'il restera un seul paradis fiscal sur la planète où les IFF pourront transiter et prospérer, aucune solution durable ne sera possible.

More from this author