En finir avec la persécution des albinos

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En finir avec la persécution des albinos

Gouvernements, ONU et défenseurs des droits de l’homme redoublent d’ardeur
Pavithra Rao
Afrique Renouveau: 
A child living with albinism and his father in Dar es Salaam, Tanzania. Photo: Panos/ Dieter Telemans
Photo: Panos/ Dieter Telemans
Un albinos et son père à Dar Es Salaam en Tanzanie. Photo: Panos/ Dieter Telemans

Lorsque Moses Swaray a chanté « Amazing Grace » dans l’auditorium du Centre de conférence Unity à Monrovia (Libéria), le public, y compris la Présidente Ellen Johnson Sirleaf, s’est levé pour applaudir ; certains ont essuyé des larmes.

M. Swaray, qui est albinos, a battu 11 autres finalistes pour remporter l’édition 2007 de A Star is Born, le télé-crochet national organisé par l’ONU et le gouvernement libérien.

Mme Sirleaf a chaleureusement étreint M. Swaray sur scène, le qualifiant de « bénédiction pour [notre] pays ». Enfant, M. Swaray aurait pu être tué si son père avait écouté un ami qui lui recommandait de se  débarrasser de lui parce que les albinos ont des pouvoirs surnaturels et qu'ils portent malheur à leur  famille.

La pigmentation cutanée anormale des albinos provient d’une incapacité héréditaire à produire de la mélanine dans les cellules cutanées, selon la National Library of Medicine des États-Unis. La mélanine est un pigment foncé responsable de la coloration de la peau, des cheveux et des yeux. Les albinos ont une vision déficiente et une prédisposition au cancer de la peau.

Durant mon enfance, « certaines personnes me traitaient comme si j’étais moins qu'un être humain, ils croyaient que j’avais des pouvoirs surnaturels », a confié M. Swaray à Afrique Renouveau. Vivant aux États-Unis depuis quelques années, il est aujourd’hui un artiste gospel très prisé au sein de la diaspora africaine.

Tous les albinos d’Afrique n’ont pas la même chance ni le même talent que M. Swaray. Les autorités malawiennes ont annoncé que rien qu’entre le mois de janvier et le mois de mai 2016, six albinos ont été assassinés, dont Davis Fletcher Machinjiri, 17 ans, sorti voir un match de football.

L’organisation de défense des droits de l’homme Amnesty International a cité le rapport de la police concernant l’horrible assassinat de M. Machinjiri : « Quatre hommes l’ont déporté au Mozambique pour l’y tuer. Ils lui ont coupé les membres, puis l'ont désossé, avant d’enterrer sommairement ses restes. »

Il existe dans certaines parties de l’Afrique des superstitions selon lesquelles les morceaux de corps d’albinos apportent richesse, pouvoir ou conquête sexuelle, et que d’avoir des rapports sexuels avec une personne atteinte d’albinisme guérit le VIH et le sida. Selon Amnesty International, les agresseurs vendent les morceaux de corps à des sorciers pour des milliers de dollars.

En Tanzanie, quelque 75 albinos auraient été tués entre 2000 et 2016.

Des meurtres ont aussi été signalés en Afrique du Sud, bien que ces crimes y soient moins fréquents qu’au Malawi, en Tanzanie et au Burundi. En février, un tribunal sud-africain a condamné un guérisseur traditionnel à la prison à vie pour avoir assassiné une albinos de 20 ans.

Le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme (HCDH), l’organisme chargé des questions relatives aux droits de l’homme, a rapporté en 2016 que les chasseurs d’albinos pouvaient vendre un cadavre 75 000 dollars, tandis qu’un bras ou une jambe pouvait rapporter environ 2 000 dollars.

Alarmé par la recrudescence des meurtres d’albinos, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU (qui travaille en étroite collaboration avec le HCDH) a nommé en juin 2015 Ikponwosa Ero, elle-même atteinte d’albinisme, « Experte indépendante sur l’exercice des droits de l’homme par les personnes atteintes d’albinisme ».

Dans un entretien accordé à Afrique Renouveau, Mme Ero a qualifié la situation des albinos en Afrique de « tragédie ». Selon elle, les 7 000 à 10 000 albinos du Malawi et des milliers d’autres en Tanzanie, au Mozambique et dans d’autres pays sont des « personnes en danger » exposées à un « risque d’extinction si rien n’est fait ». Les Tanzaniens appellent les albinos zeru zeru, ce qui signifie « fantômes ».

On trouve des albinos dans tous les pays. Aux États-Unis, une personne sur 20 000 est atteinte d’albinisme, tandis que ce chiffre est généralement estimé à une sur 1 500 en Tanzanie, et une sur 5 000 à 15 000 dans les autres sous-régions africaines, selon la BBC, qui reconnaît l’absence d’études approfondies à cet égard. En l’absence de pigmentation, les albinos sont particulièrement vulnérables à ce que les groupes de défense appellent un « tueur silencieux » : le cancer de la peau. Sixmond Mdeka, vedette du reggae tanzanien, lutte contre le cancer de la peau depuis sa naissance. Il a déclaré à la BBC : « J’avais l’habitude de me promener sans vêtements de protection. J’ai été brûlé par le soleil partout... Le soleil est notre ennemi numéro un. »

En l'absence d'un traitement adapté, jusqu’à 90 % des albinos meurent avant l’âge de 40 ans en Afrique, selon les experts médicaux. M. Mdeka, qui a presque 40 ans, est déjà aux prises avec des problèmes de santé. Des médecins l’ont opéré de l’oreille gauche en septembre pour lui enlever un cancer de la peau au niveau du visage appelé mélanome.

Il y a très peu de services de santé en Afrique pour prendre en charge l’albinisme, et un grand nombre de ceux qui vivent avec cette maladie ne peuvent pas se payer les crèmes solaires et les vêtements de protection dont ils ont tant besoin. Par exemple, une bouteille d’écran solaire qui dure deux semaines coûte environ 15 $ en Tanzanie, un pays où la plupart des gens vivent avec moins de 1,50 $ par jour.

Exclusion

Les menaces qui pèsent sur la vie des albinos sont aggravées par « l’exclusion, la stigmatisation et le déni des droits fondamentaux tels que le droit à l’éducation et à la santé », selon Amnesty International. Mme Ero raconte son enfance : « L’isolement et la stigmatisation venaient de pairs et d’adultes, y compris les insultes et les moqueries, et l’exclusion de certaines activités communautaires. »

Elle n’a pas reçu de soutien pour sa déficience visuelle et a parfois été fouettée lorsqu'elle essayait d’expliquer ses difficultés en classe.

« J’allais au lycée sans lunettes et je faisais d’énormes efforts pour lire le tableau », se souvient M. Swaray.

« Même les mères d’enfants albinos sont souvent abandonnées après avoir été accusées d’infidélité ou... jugées maudites ou anormales. Des familles entières peuvent être exclues ou ostracisées parce qu’elles comptent un membre albinos », indique Mme Ero, qui plaide maintenant pour « une éducation publique massive et soutenue ».

Sensibiliser aux mythes sur l’albinisme peut changer l’attitude de certaines personnes, mais Mme Ero énumère d’autres mesures pratiques que les pays peuvent prendre, notamment consacrer « un bureau et un budget à la question, créer une ligne téléphonique d’urgence pour signaler les crimes et les menaces, réglementer la “sorcellerie” et les médecins traditionnels, entre autres ».         
« Il est temps que les gouvernements africains prêtent attention à la façon dont les albinos sont traités. Le moment est venu pour nous tous d'élever la voix. Nous avons besoin d’actions », insiste M. Swaray.

Les gouvernements et d’autres organisations prennent déjà des mesures. Under the Same Sun (UTSS), une organisation non gouvernementale présente en Tanzanie et au Canada, distribue du matériel pédagogique dans les écoles tanzaniennes pour dissiper les mythes entourant l’albinisme.

Pour mieux faire connaître la situation des albinos, l’ONU a proclamé le 13 juin de chaque année Journée internationale de sensibilisation à l’albinisme. Septembre est le mois de la sensibilisation à l’albinisme en Afrique du Sud. Au début de l'année, Mala Bryan, mannequin sud-africaine et créatrice, a présenté une poupée albinos. Baptisée Alexa, cette poupée a pour but de faire changer les idées fausses sur la maladie.

Certains pays redoublent d’efforts pour prévenir les attaques. Principalement grâce à la police tanzanienne, les meurtres d’albinos sont passés de 22 en 2008 à 11 en 2015. Mme Ero a félicité le gouvernement tanzanien et la société civile d' avoir fourni des aides visuelles et d’autres formes d’assistance aux albinos.

« Des mesures positives ont été prises [par le gouvernement tanzanien] pour lutter contre la sorcellerie, notamment grâce à l’enregistrement des guérisseurs traditionnels, [mais] la pleine surveillance de leurs activités n’a toujours pas été réalisée et la confusion persiste dans l’esprit du grand public entre la pratique de la sorcellerie et le travail des guérisseurs traditionnels », a ajouté Mme Ero.

Le président du Malawi, Peter Mutharika, et d’autres hauts responsables gouvernementaux ont condamné les attaques dont sont victimes les albinos. En 2015, le gouvernement a annoncé un plan national d’intervention et nommé un conseiller juridique spécial qui participera aux enquêtes.

Tout en saluant le plan du gouvernement malawien, Mme Ero souligne que « l’absence de ressources liées au plan a considérablement retardé sa mise en œuvre ».  Pour sa part, Amnesty International note que si certains auteurs ont été condamnés, la plupart des crimes commis dans le pays contre les albinos ne sont toujours pas élucidés.

Les groupes de défense des droits des albinos sont pleins d’espoir et ont hâte que les gens comprennent l’albinisme et acceptent ceux qui en sont atteints. Ils sont comme tout le monde, explique M. Swaray. « Quand je me regarde dans un miroir, je vois un homme en route vers la grandeur ; pas un albinos », dit-il avec humour.

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