Entretien avec le Dr Ibrahim Assane Mayaki, directeur général, AUDA-NEPAD

Get monthly
e-newsletter

Entretien avec le Dr Ibrahim Assane Mayaki, directeur général, AUDA-NEPAD

Lorraine Kepeden
Afrique Renouveau: 
8 Décembre 2021
Ibrahim Mayaki, PDG de l'Agence de développement de l'Union africaine.
AUDA-NEPAD
Ibrahim Mayaki, PDG de l'Agence de développement de l'Union africaine.

Dans cet entretien, le Dr Mayaki partage ses réflexions sur l'Afrique dans le système mondial, les étapes franchies par l'AUDA-NEPAD et sa contribution à la réalisation de l'Afrique que nous voulons, ainsi que sa vision de l'avenir du continent.

Sur l'Assemblée Générale des Nations Unies

Dr Mayaki, en septembre, l'Assemblée générale des Nations Unies s'est achevée et vous avez participé à plusieurs rencontres. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre perception de ces échanges et sur les priorités du continent lors des débats de haut niveau ?

Le thème de l'Assemblée générale des Nations Unies de 2021 : "Construire la résilience par l'espoir - pour se remettre de la COVID-19, reconstruire la durabilité, répondre aux besoins de la planète, respecter les droits des personnes et revitaliser les Nations Unies", était très opportun pour le monde entier et, en particulier, pour l'Afrique.

Je pense que pour envisager de se rétablir, de se reconstruire ou de réagir pleinement, il est nécessaire d'évaluer ce qui est présent, afin de déterminer ce qui doit être "sauvé". Il va donc sans dire que la pandémie de la COVID-19 a mis à nu les systèmes et institutions déjà faibles non seulement de l'Afrique, mais aussi des pays du monde entier.

Pour mettre tout cela en perspective, je dois dire que l'Afrique a connu sa première récession économique au cours des 25 dernières années. Il est reconnu par les institutions multilatérales que nous avions eu de bons taux de croissance économique et des politiques macroéconomiques bien conçues en général - bien sûr, pas sur tous les points, mais de façon générale. Cependant, la réponse rapide et décisive des dirigeants du continent a contribué à éviter des crises énormes dues aux effets de la pandémie, avec des actions clés prises par des États souverains, ainsi que des interventions de l'Union africaine, du CDC Afrique et du plan de réponse COVID-19 de l'AUDA-NEPAD. En outre, le modèle économique que nous avons suivi est une conséquence des programmes d'ajustement structurels des années 1980 et 1990 ; il n'a pas été suffisamment inclusif. La pandémie de la COVID19 a accentué les fragilités existantes, qui se manifestent surtout dans les secteurs sociaux - éducation, santé, etc. Nous restons la région la plus inégalitaire du monde. L'inégalité et le chômage des jeunes sont des problèmes très critiques.

Lors de l'Assemblée générale des Nations Unies, les représentations de l'Afrique ont donné un contenu concret au concept d'intégration régionale. En tant que continent, nous avons promu, discuté et réfléchi à l'intégration africaine. Dans cette situation particulière et en réponse au changement climatique mondial, nous avons pu voir une réaction intégrée à la façon dont l'Afrique est responsable d'un pourcentage infime des causes du changement climatique mais, d'un autre côté, souffre de son impact disproportionné. Un autre domaine dans lequel les dirigeants africains ont présenté une voix unifiée concerne les appels à une représentation adéquate au sein du Conseil de sécurité.

Il est apparu clairement lors de la réunion que les pays africains, ainsi que les partenaires de développement, doivent activement promouvoir les capacités et les connaissances en matière de ressources humaines pour le secteur de la fabrication de produits pharmaceutiques, ce qui nécessite un personnel hautement qualifié. Il est temps d’accélérer et soutenir la production locale de produits pharmaceutiques et l'industrie de la santé sur le continent. Nous avons également appelé à des approches inclusives et orientées vers la recherche de solutions aux défis présentés par la COVID-19. 

Un autre message clair, émanant de l'Afrique dans son ensemble, est apparu lors de la 76e Assemblée générale des Nations Unies, sur une question tout aussi importante, celle des systèmes alimentaires. D'une seule voix, le message était clair : le moment est venu de donner aux populations du monde entier les moyens de tirer parti du pouvoir des systèmes alimentaires afin d’aider le monde à se remettre de la pandémie de COVID-19. Il convient de mentionner qu'avant même l'Assemblée générale, le président rwandais, S.E. Paul Kagame, en sa qualité de président du Comité d'orientation des chefs d'État et de gouvernement du NEPAD, a prononcé un discours lors de la cérémonie d'ouverture officielle du pré-sommet de l'UNFSS, dans lequel il a exposé la position africaine commune visant à transformer les systèmes alimentaires. L'AUDA-NEPAD a travaillé à la création d'une position africaine commune avant le Sommet sur les systèmes alimentaires, conformément à l'Agenda 2063 de l'Union africaine et aux ODD pour que l'Afrique recherche des solutions dans ses domaines prioritaires.

Votre récente visite a également été l'occasion de renouveler la coopération stratégique entre l'AUDA-NEPAD et la Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique (CEA) par la signature d'un protocole d'accord. Comment ce protocole d’accord soutiendra-t-il la poursuite des objectifs de développement de l’Afrique ?

La CEA et l'AUDA-NEPAD ont signé un protocole d'accord pour renforcer leurs partenariat et collaboration pour l’accélération de la réalisation de l'Agenda 2063 de l'Afrique et des Objectifs de développement durable 2030. Le protocole d'accord vise à exploiter les synergies découlant des mandats des deux organisations et à établir les arrangements non contraignants et non exclusifs nécessaires pour assurer une coopération efficace dans des domaines d'intérêt mutuel.

L'objectif de ce protocole d'accord est de mettre en œuvre le programme de travail conjoint des institutions pour la période 2021-2023 dans six grands domaines prioritaires afin de renforcer la résilience pour le développement durable en Afrique conformément à l'Agenda 2063 et à l'Agenda 2030. Les domaines de coopération prévus par le protocole d'accord comprennent, entre autres, la résilience climatique et la gouvernance, la durabilité environnementale et la gestion des ressources naturelles ; l'énergie durable, le Nexus énergie-eau-alimentation et l'autonomisation des communautés rurales ; la gestion et l'évaluation des connaissances, et le développement humain et institutionnel ; la science, la technologie et l'innovation ; l'intégration économique, la macroéconomie et la politique de gouvernance ; la création de richesses et l'industrialisation.

Sur les priorités de l'Afrique et la coopération avec les Nations Unies

Plus que jamais, le climat est au cœur des politiques de développement nationales et mondiales. Dans la perspective du lien entre le développement durable et le climat, quelles sont les initiatives mises en place par l'Union africaine pour lutter contre les effets du changement climatique et assurer un développement durable en Afrique ?

La gravité du changement climatique en Afrique a également été mise en évidence dans le tout premier bilan de la restauration des forêts et des paysages africains, lancé lors de la Semaine africaine du climat en septembre. Le rapport, publié par l'AUDA-NEPAD et la FAO, montre qu'il reste encore beaucoup à faire pour pour tirer pleinement parti de l’énorme possibilité pour le continent de rendre la terre à la production durable, de protéger la biodiversité et de protéger les moyens de subsistance dans la lutte contre le changement climatique. La nécessité urgente d'inverser ces tendances négatives et dévastatrices a incité les dirigeants africains à s'engager dans la restauration des écosystèmes du continent. Dans sa feuille de route pour le développement, l'Agenda 2063, le continent africain s'engage à restaurer les écosystèmes en protégeant, restaurant et promouvant l'utilisation durable des écosystèmes terrestres, en gérant durablement les forêts et en luttant contre la désertification.

En tant qu'agence de développement de l'Union africaine, nous avons une approche à plusieurs volets pour faire face au climat :

L'initiative de restauration des paysages forestiers africains (AFR100) - un effort mené par les pays pour restaurer 100 millions d'hectares de paysages déboisés et dégradés à travers l'Afrique d'ici 2030.

Le programme de soutien au changement climatique et à l'agriculture pour les femmes - à travers ce programme, nous reconnaissons le fait que la contribution des femmes à l'agriculture et au système agroalimentaire au sens large est importante. Compte tenu du rôle des femmes dans l'agriculture, le soutien à l'agripreneuriat féminin est essentiel pour transformer le bien-être économique et social des ménages, des communautés et des économies à travers le continent dans le contexte de la durabilité environnementale.

En outre, cette année, le "Pavillon de l'Afrique" à la COP26 à Glasgow a été le lieu privilégié du sommet annuel des Nations Unies sur les négociations climatiques. Avec nos partenaires, nous l'avons conçu de manière à projeter l'ambiance d'un continent enhardi qui s'attaque de manière proactive à la crise climatique. Le pavillon africain de la COP26 a servi de plateforme pour promouvoir les intérêts du continent.

Sur l'AUDA-NEPAD/fin de mandat

Sous votre direction, l'Agence de développement de l'Union africaine est passée du NEPAD à l'AUDA-NEPAD. Quelle est la justification de ce changement, et comment affecte-t-il le mandat de l'agence ?

Lors de la 31e session ordinaire de la Conférence des chefs d'État et de gouvernement de l'Union africaine à Nouakchott, en Mauritanie, les chefs d'État et de gouvernement africains ont reçu plusieurs rapports, dont l'état de la mise en œuvre des réformes institutionnelles de l'UA présenté par le président Paul Kagame du Rwanda. Au cours de ce sommet, une décision a été officiellement prise sur la transformation de l'Agence de planification et de coordination du NEPAD en Agence de développement de l'Union africaine. L'Assemblée a approuvé la création de la première agence de développement africaine en tant qu'organe technique de l'Union africaine doté d'une identité juridique propre, définie par ses propres statuts.

Jusqu'à présent, l'Agence de planification et de coordination du NEPAD (NPCA) facilitait la traduction des cadres continentaux de l'Union africaine aux niveaux régional et national, dans le but de concevoir et de mettre en œuvre des politiques de développement. Les zones de chevauchement et de double emploi entre les départements de la Commission de l'Union africaine et la NPCA ont nécessité une délimitation claire des rôles afin d'accroître les synergies et les complémentarités en amont et en aval de la prestation. La priorisation et la consolidation des programmes de développement de la NPCA ont également été limitées, ce qui a brouillé la visibilité des résultats significatifs qu'elle a obtenus en neuf ans.

Ainsi, la décision a été prise de créer l'AUDA-NEPAD en tant qu'agence de développement de l'Union africaine (UA), plaçant fermement la nouvelle organisation sur la voie de la transformation pour devenir le moteur de la connaissance pour le développement de l'Afrique. Une AUDA-NEPAD forte, avec une expansion de l'échelle de mise en œuvre et un repositionnement institutionnel et un modèle de prestation appropriés, contribuera à résoudre les problèmes mentionnés ci-dessus et à soutenir une Union africaine plus utile et plus efficace.

Le nouveau mandat de l'AUDA-NEPAD est le suivant : (i) coordonner et exécuter les projets régionaux et continentaux prioritaires afin de promouvoir l'intégration régionale en vue de la réalisation accélérée de l'Agenda 2063 ; (ii) renforcer les capacités des États membres de l'Union africaine et des organismes régionaux ; fournir un soutien consultatif fondé sur les connaissances, entreprendre toute la gamme de la mobilisation des ressources et servir d'interface technique du continent avec toutes les parties prenantes du développement de l'Afrique et les partenaires du développement.

Alors que vous approchez de la fin de votre mandat de directeur général de l'AUDA-NEPAD, après avoir occupé cette fonction pendant 12 ans, que souhaitez-vous partager en termes d'expérience et de réflexions au cours de cette période ?

L'impact de l'AUDA-NEPAD peut être ressenti à travers l'impact politique - la valeur de l'appropriation a été renforcée dès le départ par le partenariat et le leadership. Le partenariat aux niveaux national, régional et mondial permet à l'Afrique de parler d'une seule voix. Elle peut également être ressentie à travers l'impact économique. La valeur économique est observée par l'intégration régionale à partir des cadres stratégiques continentaux qui sont traduits au niveau régional et national, par exemple, dans les cadres pour le développement de l'agriculture, les infrastructures, et d'autres dans l'environnement, la technologie, etc. Tout cela s'est reflété dans le Livre Jaune pour la fondation du NEPAD.

Mes réflexions et mes souvenirs des succès et des défis auxquels j'ai été confronté pendant mon mandat sont donc nombreux, mais je voudrais résumer mon expérience en deux parties seulement :

Tout d'abord, je tiens à dire que mon mandat de directeur général de l'AUDA-NEPAD a été à la fois humble et gratifiant. L'organisation a traversé un certain nombre de phases de transformation, toutes nécessaires pour garantir que l'organisation devienne plus agile et efficace dans l'exécution de son mandat.

Deuxièmement, les succès de l'organisation n'auraient pas été possibles sans le dévouement et le professionnalisme avec lesquels son personnel accomplit ses tâches quotidiennes. Je leur en suis très reconnaissant.

Comment envisagez-vous les objectifs stratégiques de l'AUDA-NEPAD dans les dix prochaines années environ ?

Pendant mon mandat à l'AUDA-NEPAD, l'Afrique a admirablement doublé la taille de son économie - au cours des 15 dernières années. Sur le plan politique, ce qui me réconforte, c'est que de nombreuses décisions ont été prises ces dernières années, en particulier depuis 2016, au niveau de l'UA, afin de rendre la Commission de l'UA plus efficace en matière d'élaboration et de mise en œuvre des politiques à l'échelle du continent.

Le continent a également adopté des cadres critiques, dont l'un est la ZLECAf, pour soutenir le commerce continental. En tant qu'AUDA-NEPAD, nous avons fait de grands progrès. Comme le NEPAD a eu 20 ans cette année, je dois souligner qu'une réalisation impressionnante de l'organisation a été le renforcement des partenariats avec le reste du monde. En outre, notre agence est la seule agence de développement qui existe au niveau continental. Je suis fermement convaincu que dans les 10 à 15 prochaines années, l'AUDA-NEPAD aura une plus grande portée d'activités et sera une agence africaine à part entière.

Comment voyez-vous l'avenir de l'Afrique ?

Le continent a progressé sur plusieurs fronts dans la poursuite de certaines des aspirations de l'Afrique, telles que "Une Afrique pacifique et sûre" et "Un continent intégré, politiquement uni, fondé sur les idéaux du panafricanisme et la vision d'une Renaissance africaine". Il est également clair qu'à côté des progrès réalisés, il existe des possibilités de renforcer encore l'harmonisation des politiques, d'approfondir la planification multisectorielle intégrée et de déployer efficacement des ressources supplémentaires. Il s'agit là d'une condition préalable nécessaire à l'obtention d'un niveau de vie élevé, d'une qualité de vie et d'un bien-être pour tous les citoyens africains, qui serviront également de catalyseurs pour une croissance inclusive et un développement durable sur le continent.

Lorraine Kepeden
More from this author