Contre les dégâts de la « mode éphémère »

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Contre les dégâts de la « mode éphémère »

Des produits plus durables pour l’industrie de la mode
Pavithra Rao
Afrique Renouveau: 
24 Décembre 2019
Design by Jamil Walji, Global award-winning premium Kenyan brand - at the Fashion Show
UNCTAD/ Joseph Kiptarus
Création de Jamil Waiji, une marque kényane de renommée mondiale.

Les chiffres sont effrayants : pour fabriquer une paire de jeans, 8 000 litres d’eau sont nécessaires - soit la consommation d’une personne en sept ans. Même pour une simple chemise en coton, près de 3 000 litres d’eau sont requis.

Portés une dizaine de fois, ce jeans et cette chemise viendront ensuite s’ajouter aux 21 milliards de tonnes de textile envoyés à la décharge chaque année, selon la Commission économique pour l’Europe de l’ONU, et seront remplacés par un modèle plus neuf ou plus à la mode. L’industrie de la mode est la seconde industrie la plus polluante au monde - derrière l’industrie pétrolière. Elle est responsable de 10% des émissions mondiales de carbone et de 20% de la production d’eaux usées.

« Cette industrie consomme plus d’énergie que l’industrie aéronautique et maritime combinées », a évalué la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique. Si les méthodes de fabrication ne s’améliorent pas, les émissions de gaz à effet de serre de l’industrie vestimentaire auront augmenté de 50% d’ici à 2030. Il n’est donc pas étonnant que les défenseurs de l’environnement exigent des pratiques plus propres et plus durables.

La « mode éphémère » serait largement responsable de cette situation. Non seulement ces vêtements sont bon marché et produits à faible coût, mais ils sont rapidement jetés et remplacés par des modèles toujours plus récents.      

Roberta Annan, entrepreneure ghanéenne et fondatrice du Fonds africain pour la mode qui aide les habitants du continent et la diaspora dans ce secteur, est aussi Ambassadrice de l’économie créative pour le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE).

Elle conseille aux pays africains de résister à la mode et de voir des opportunités d’investissement dans les industries créatives.

« Nous ne sommes pas obligés de suivre la mode», estime-t-elle. « Je veux instaurer des processus de production durables sur le continent car l’Afrique peut, j’en ai le sentiment, devenir le prochain pôle mondial de l’économie créative. Il est possible de faire les choses différemment, à un nouveau rythme et plus durablement. »

8 000 litres
d’eau sont nécessaires pour fabriquer une paire de jeans

Les designers font des progrès. La maison de couture sénégalaise Tongoro utilise des textiles africains et propose des modèles écologiques, y compris en soie ou en lin. Tongoro a suscité l’intérêt des célébrités, telle que Beyoncé qui a partagé des photos d’elle portant les vêtements de la ligne avec ses millions de fans sur les réseaux sociaux. La marque a aussi été promue par des magazines internationaux tels que Vogue, Elle et Forbes.   

Faire appel aux talents locaux et à des pratiques écoresponsables a été la priorité de Sara Diouf depuis qu’elle a créé l’entreprise. « J’ai formé des tailleurs sénégalais pour qu’ils produisent des biens de qualité respectant les normes internationales. La couture fait tellement partie de notre culture ici. Mon but ultime est de former des artisans locaux pour qu’ils professionnalisent leurs méthodes », explique Mme Diouf.   

L’actrice américaine Rosario Dawson et la spécialiste de mode Abrima Erwiah, ont créé le Studio 189, un site de vente en ligne basé à New-York, afin de promouvoir des vêtements africains fabriqués de façon écoresponsable.    

La marque vend des articles réalisés par des artisans et créateurs africains qui emploient des teintures naturelles et des matériaux non toxiques.

« Je suis ghanéenne, ivoirienne et américaine. Quand je rends visite à ma famille au Ghana, je vois des filles qui me ressemblent et je m’identifie. Il est important que chacune ait des opportunités et j’espère que nous pourrons, avec le Studio 189, former d’autres personnes afin qu’elles puissent réaliser le travail elles-mêmes, décider de leur avenir et ne pas dépendre de la charité des autres », estime Mme Erwiah.

En dépit des initiatives de certaines marques, l’industrie doit faire bien plus d’efforts en faveur de l’éco-responsabilité. Selon le rapport Pulse of the Fashion Industry: 2019 Update rédigé par Boston Consulting Group, le Global Fashion Agenda et la Coalition Sustainable Apparel, l’industrie de la mode ne fait pas assez pour réduire l’impact dangereux de sa croissance rapide.

D’ici à 2030, les industries du vêtement et de la chaussure fabriqueront 102 milliards de tonnes de produits, soit une augmentation de 81% qui contribuera à la destruction des ressources planétaires sans précédent.   

A quoi pourrait ressembler une industrie plus écoresponsable ? Il semblerait que le secteur amorce une transition. En 2018, la Charte de l’industrie de la mode pour l’action climatique a été lancée, suivant les objectifs de l’Accord de Paris pour le climat, énonçant comment cette industrie pourrait ramener à zéro ses émissions d’ici à 2050. Des marques comme Adidas et H&M ainsi que le géant de la logistique Maersk comptent parmi ses signataires.   

Les marques de luxe comme Gucci et Gabriela Hearst ont annoncé que toutes leurs opérations, y compris celles de leur chaîne d’approvisionnement, n’auraient plus d’empreinte carbone.

Les modèles économiques basés sur le recyclage, tels que ceux de Gwynnie Bee et Rent the Runway, sont les prémices d’une industrie qui pourrait désormais penser long terme plutôt que consommation rapide, en proposant aux acheteurs de louer leurs vêtements.    

Ce ne sont que les premiers pas d’une indispensable transformation. Les fabricants de vêtements ne vont plus pouvoir ignorer ce problème et vont devoir décorréler croissance économique et surexploitation des ressources naturelles.

Pour celles et ceux désirant agir pour une mode écoresponsable, la campagne de l’ONU « Agissons pour le climat » estime que recycler ou donner ses vêtements,, ou faire ses courses dans des magasins de fripes contribue à prolonger la durée de vie de la mode.