Au-delà de l’Afrique: l’épopée yoruba

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Au-delà de l’Afrique: l’épopée yoruba

Entretien avec le cinéaste Toyin Ibrahim Adekeye
Kingsley Ighobor
Afrique Renouveau: 
24 Décembre 2019
Toyin Ibrahim Adekeye.
Africa Renewal/Yun Shi
Toyin Ibrahim Adekeye.

Les Yorubas, l’une des plus grandes ethnies d’Afrique, subsistent depuis des siècles sur le continent. L’histoire parle d’un puissant royaume au huitième siècle à Ile-Ife. Ils étaient organisés autour de puissantes cités-États bien avant l’arrivée des colons britanniques.

Avec la traite des Noirs, les Yorubas du Nigéria et du Bénin ont été déportés en Amérique. Leur religion s’est répandue à Trinité-et-Tobago, Cuba, Haïti, Sainte Lucie, ou encore au Benin, au Togo, au Brésil, en Guyane et en Jamaïque.

Le nouveau film intitulé Bigger than Africa (Au-delà de l’Afrique), décrit les stratégies déployées par l’un des plus grands empires précoloniaux pour préserver ses traditions.

Toyin Ibrahim Adekeye, cinéaste et réalisateur du film à Los Angeles, a fait le tour de six pays (dont le Brésil, les États-Unis, le Benin, Cuba, et Trinité-et-Tobago) afin d’observer la culture yoruba. Il a visionné de nombreuses vidéos et mené des entretiens afin de s’imprégner de la culture yoruba.

Point de ralliement

Le film présente les Yorubas comme l’un des derniers peuples d’Afrique à avoir été capturés et déportés avant l’abolition de la traite.

« En conséquence, ils ont pu conserver leur culture qui est devenue le point de ralliement des esclaves affranchis non-yorubas en quête de rapprochement avec leurs ancêtres », a déclaré M. Adekeye à l’occasion de la projection du documentaire au siège de l’ONU, à New York. « Ils ont tous convergé vers la culture yoruba. Ils sont devenus une communauté. La culture yoruba est la plus importante au sein de la diaspora. »

C’est lors d’une visite dans le village d’Oyotunji, (qui signifie «l’éveil d’Oyo»), en Caroline du Sud, que M. Adekeye a puisé son inspiration pour la réalisation de son film qui retrace le périple des Africains d’Afrique de l’Ouest.

La plus grande manifestation de la culture yoruba réside dans la langue et le culte des divinités ou «orishas» comme par exemple Shango, l’orisha de la foudre et du tonnerre, Babalu-Aye, l’orisha de la Terre, Kokou, orisha guerrier violent, Obatala, créateur des corps humains, orisha de la lumière, Oko, l’orisha de l’agriculture, ou encore Ogun maître du fer, du feu, de la chasse, de la politique et de la guerre.  Tels furent les dominateurs communs qu’il retrouva dans tous ces pays.

D’autres références à la croyance yoruba peuvent être observées à Trinité-et-Tobago, où il existe un système de croyances appelé Trinidad Orisha, dont les adeptes sont connus sous l’appellation de « Baptistes Shango ». Le village Yoruba à Port-d’Espagne avait été consacré à Robert Antoine, pionnier des Africains affranchis qui sont arrivés à Trinité. À Bahia, au Brésil, encore appelé la capitale yoruba des États-Unis, le culte yoruba remonte à 500 ans.

M. Adekeye a même décelé l’influence des cultes yorubas dans Lemonade, sixième album de la chanteuse américaine Beyoncé, qui avait joué la chanson éponyme à l’occasion de la cérémonie du Grammy Awards de 2017 entourée d’eau. Elle représentait ainsi « Osun, déesse yoruba de la fertilité, de la beauté et de l’eau », a déclaré M. Adekeye.

Le fait pour Beyoncé de clamer « Osun, la bien-aimée déesse Yoruba réputée… pour ses caractéristiques humaines telles que la vanité et la jalousie » corrobore la pensée du critique de musique, Jenni Avins, dans un article paru dans la revue américaine Quartz.

Certains évoquent également l’adaptation d’une divinité yoruba dans un fameux projet de Disney appelé Sade. Il s’agirait de la déesse Yemoja.

Évolution

En dépit de sa résilience remarquable, certains aspects de la langue Yoruba présentent des influences étrangères qui proviennent de l’intérieur comme de l’Ouest du Nigéria ou de la République du Bénin mais également de la diaspora, a reconnu Adekeye. « La langue n’est pas exactement la même. En raison de l’influence des dialectes locaux, la prononciation de certains mots varie d’un pays à l’autre ».

Les projections de Bigger than Africa, font l’objet d’un vif intérêt du public et concourent à l’objectif du réalisateur : établir un vecteur de communication entre l’Afrique et sa diaspora.

« Les diasporas africaines s’efforcent de visiter le continent et de participer aux festivals locaux. Nous pouvons nous entraider », a déclaré M. Adekeye, ajoutant que : « le fait d’avoir grandi en Afrique, nous renseigne sur l’esclavage, mais je pense que notre connaissance se confine à cela. Nous ne savons pas ce qui s’est passé après le débarquement des navires négriers en Amérique, à Cuba et dans les Caraïbes. Il nous incombe de combler ces lacunes ».

Appel

L’Assemblée générale de l’ONU a proclamé la période 2015-2024 « la décennie internationale des personnes d’ascendance africaine » dans l’optique de reconnaitre et de promouvoir leurs droits.

En 2007, l’ONU avait proclamé le 25 mars « Journée internationale de commémoration des victimes de l’esclavage et de la traite transatlantique des esclaves ».

C’est dans ce contexte que la projection de Bigger than Africa a été organisée au siège de l’ONU. D’après M. Adekeye, le message du documentaire est en phase avec celui de l’ONU. « Notre objectif est de renforcer l’unité, de promouvoir les droits humains et de donner une plus grande visibilité au travail des personnes d’ascendance africaine. De nombreux autres projets sont en cours. Il y a matière à réflexion et à discussion ».