Kofi Annan : le gentleman par excellence

Get monthly
e-newsletter

Kofi Annan : le gentleman par excellence

Afrique Renouveau: 
Kofi Annan
UN Photo/Evan Schneider
Kofi Annan

Il suffisait qu’il vous accorde son attention pendant quelques secondes pour que vous vous sentiez important. Cette qualité, émotionnelle, profonde, ne se retrouve que chez très peu de gens : trop souvent, les personnes de pouvoir, sont arrogantes et impatientes. Généralement très occupées, elles ont peu de temps à consacrer à la gentillesse ou au bavardage. Et puis, il y avait la méthode Kofi Annan.

Du statut de pape laïc à celui de rock star de la diplomatie, du lauréat du prix Nobel au chef traditionnel, Kofi Annan était un habitué des titres, du glamour et des reconnaissances en tout genre. En dépit de toute cette attention, il n’élevait jamais la voix. C’était un joueur sophistiqué, toujours capable de préserver son statut en faisant le contraire de ce qu’on attendait de lui, en limitant ses apparitions ou en faisant preuve d’humilité, ou en baissant la voix quand il parlait, aux puissants comme aux plus vulnérables. C’était un homme d’une rare noblesse qui savait partager son éducation et sa politesse naturelle.

Ce type de personnalité sort tellement de l’ordinaire qu’il n’est pas surprenant que tous ceux qui le croisaient prétendaient le connaître. Et de fait, bizarrement, c’était le cas.

Pour tous les membres de l’ONU le lien était plus fort encore. Il était leur Secrétaire général, une personne à la fois abordable, sincère et capable de reconnaître ses erreurs et celles de l’organisation.

Comme beaucoup d’autres, j’ai appris à connaître Kofi Annan au fil du temps et au rythme des échelons qu’il a gravis pendant sa carrière à l’ONU. Plus d’une fois en évoquant le passé, nous nous sommes souvenus des trois grands moments qui ont marqué notre relation.

En tant que Coordonnateur résident (CR) des Nations Unies au Zimbabwe, j’ai eu la chance d’accueillir le Secrétaire général lors du sommet historique de l’UA en 1997. Lorsque l’avion s’est arrêté devant le tapis rouge dans la zone VIP de l’aéroport de Harare parmi les vols des dignitaires, tous aussi importants les uns que les autres, une certaine confusion régnait en matière de protocole, d’autant plus qu’un chef d’État partageait le même vol et descendait les mêmes marches. M. Annan était si populaire que de nombreuses personnes s’étaient précipitées pour lui serrer la main. Visiblement perdu dans le protocole, ses yeux sont finalement tombés sur moi. Avec un tact discret et typiquement diplomatique, il m’a salué en me demandant, avec un agacement non dissimulé, qui était le CR. J’ai répondu : « C’est moi! » – cette réponse était une manière, toute aussi diplomatique, de lui rappeler le lien qui nous unissait. Nous nous étions connus quand il était à la tête du service des Ressources humaines à l’ONU. À l’époque, nous habitions tous deux sur Roosevelt Island, à New York. Mais sur le tarmac de cet aéroport, on pouvait le pardonner de ne pas avoir compris que cet homme de 37 ans était non seulement l’une de ses connaissances, mais aussi le CR local. Nous évoquions souvent cette rencontre en riant.

Le deuxième moment fut bien plus grave. L’un des meilleurs amis de Kofi Annan, Sérgio Vieira de Mello, un homme respecté de toute la haute hiérarchie onusienne, venait de mourir, victime d’un attentat à la bombe perpétré le 19 août 2003 à Bagdad. Après de nombreux changements dans l’organisation des obsèques, il avait finalement été décidé qu’une cérémonie d’État serait organisée à Rio de Janeiro. J’étais alors RC au Brésil, et cette fois, j’avais été nommé par Kofi Annan, qui me consultait régulièrement de manière informelle sur différents dossiers.

M. Annan est arrivé à Rio presque un jour avant les funérailles. Je ressentais le besoin de lui organiser une sorte de programme de visites, mais cela ne l’intéressait pas. J’ai insisté pour qu’au moins il accepte un court vol en hélicoptère pour se rendre compte de la beauté paisible de Rio vue du ciel, ce qu’il a finalement accepté. Le gouvernement était heureux de pouvoir lui offrir cette opportunité. Je suis monté à bord avec lui et dans les airs, je lui ai montré où se trouvait la favela Rocinha dont il avait tant entendu parler. Je lui ai dit que mon ami Gilberto Gil, ministre de la Culture et célèbre chanteur, avait un projet pour cet endroit. Ce fut le début d’une conversation entre M. Gil et M. Annan, qui finirent par jouer de la musique ensemble dans la salle de l’Assemblée générale des Nations Unies pour commémorer la vie exceptionnelle de Sérgio.

Le troisième moment dont nous nous sommes souvent souvenus était les modestes débuts de la Fondation Kofi Annan à Genève, quand je l’aidais avec mes faibles moyens à mettre en place la structure. Cet homme humble me racontait sa vie d’étudiant dans cette ville où nous avions partagé la même alma mater, l’Institut de Hautes études internationales et de Développement, et les routines inhabituelles que nous y avions apprises. J’étais moi aussi de retour à Genève, à la tête de l’Institut des Nations Unies pour la Formation et la Recherche (UNITAR). Je n’ai jamais su si je devais mon arrivée à l’UNITAR ou à ses bons offices. Comme beaucoup de personnes qu’il aidait ou protégeait, sa règle d’or était la discrétion. Dans tous les cas, nous étions heureux de continuer à travailler ensemble pour les mêmes causes. Ceci est un hommage personnel mais familier à beaucoup de gens.  Cette personnalité hors du commun a profondément touché ceux qui ont eu la chance de le croiser.    


Carlos Lopes est actuellement professeur à la Mandela School of Public Governance de l’Université du Cap, en Afrique du Sud. Il a occupé les postes de Secrétaire général adjoint et de Secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique.