Au Cameroun, la crise dégénère

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Au Cameroun, la crise dégénère

L’ONU appelle à la réconciliation et à une solution durable
Franck Kuwonu
Afrique Renouveau: 
A Cameroonian refugee across the border in Cross River State, Nigeria. Photo: UNHCR/Simi Vijay
Photo: UNHCR/Simi Vijay
Réfugiés camerounais dans l’état de Cross River, Nigéria. Photo: HCR/Simi Vijay

Ce qui débuta comme une lutte des citoyens du Sud du Cameroun pour leur souveraineté a dégénéré en crise générale. Des groupes rebelles cherchant à mettre fin à ce qu’ils considèrent comme la domination du Sud anglophone par le Nord francophone ont pris les armes contre les forces de sécurité du gouvernement, provoquant des centaines de morts et forçant des milliers de personnes à fuir.   

Les usines ont fermé, les routes sont devenues impraticables, les entrepôts ont été détruits et les chauffeurs de camion sont victimes d’enlèvements contre rançons.

L’embrasement de la crise remonte à 2016, lors des manifestations des activistes des provinces de l’Ouest contre l’usage du français dans les régions à majorité anglophone.

Au cours des deux dernières années, les manifestations sont devenues meurtrières.

Pour Achille Mbembe, enseignant-chercheur à l’Université de Witwatersrand en Afrique du Sud, les Camerounais anglophones « n’ont pas l’impression qu’il y a une place pour eux dans les structures administratives et politiques du pays. Les gens se plaignent d’être marginalisés car l’administration ne parle pas leur langue », explique M. Mbembe.

Les combats se sont intensifiés

En septembre 2017, le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres a enjoint les autorités camerounaises à « promouvoir des mesures de réconciliation nationale pour trouver une solution durable à la crise, y compris en traitant ses causes ».

Dans son rapport à la 39ème session du Conseil des droits de l’homme en septembre dernier, la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet a parlé de la crise au Cameroun : “Les combats se sont intensifiés dans les régions dites anglophones entre forces de sécurité et groupes armés.”

« Le gouvernement n’a pas agi pour promouvoir une conférence du dialogue, proposée par les responsables religieux, et il n’y a toujours pas de mécanisme qui pourrait cesser les hostilités à court terme. »

Dans les provinces touchées, quelque 437 000 personnes ont été déplacées, indique David Malan du Conseil norvégien pour les réfugiés dans une interview à Afrique Renouveau.

La plupart des personnes déplacées se réfugient dans les zones rurales isolées, dans la brousse ou dans les forêts, ont confirmé plusieurs agences humanitaires. « Leur apporter de l’aide s’avère difficile », ajoute M. Malan.

Le commerce souffre

Le PIB du Cameroun devait croître de 3,8% cette année, un rebond par rapport à l’année passée, grâce à une augmentation de la production de gaz. Cette augmentation est à présent exclue.

La croissance économique du pays

« dépend de la capacité du gouvernement à bien gérer le conflit sécessionniste dans les deux régions anglophones » , estimait la Banque mondiale en octobre.

Les provinces de l’Ouest, foyer de la crise, produisent du cacao et du café, les deux principales exportations du pays. La production de pétrole, qui représente 40% du PIB, se fait principalement sur la côte de la région Sud-Ouest.

Le Groupement inter-patronal du Cameroun (GICAM), une association de chefs d’entreprises, a déclaré, en septembre, que la violence dans les deux régions anglophones de l’ouest du pays a forcé les entreprises à cesser leurs opérations.

Le GICAM estime qu’en octobre 2018, les pertes causées par la crise atteignent 470 millions de dollars et que 13 000 emplois, surtout dans le secteur agricole, seront perdus.

Inquiétudes régionales

Si les combats sont cantonnés à l’intérieur du Cameroun, certains craignent une escalade qui déstabiliserait toute l’Afrique centrale et une partie de l’Afrique de l’Ouest.

Les Camerounais fuient vers les communautés frontalières de l’état de Cross River, au Sud du Nigéria. Ils arrivent démunis et survivent grâce à de petits emplois mal payés.

Les témoins des violences sont surtout des jeunes et des femmes. « Je n’ai pu emporter aucun vêtement. Il y avait des coups de feu – il ont tué mon oncle et tiré sur mon cousin », a expliqué une mère de quatre enfants au HCR.

Janet Obi, qui faisait de la vente de cacao et de vêtements au Cameroun, travaille maintenant dans les champs de maïs dans un village du Nigéria, ainsi que le rapporte la chaîne Al Jazeera basée au Qatar. “Je suis payée entre 500 et 1000 nairas par jour”, raconte Stella Obi  à Al Jazeera, tandis qu’elle retourne la terre d’un champ de légumes.

« Je n’ai jamais connu ce genre de souffrance quand j’étais dans mon village au Cameroun. »   

Ces réfugiés sont “employés comme main-d’œuvre bon marché, surtout dans les champs de cacao”, explique Chiara Cavalcanti du HCR à Afrique Renouveau. Comme à l’ouest du Cameroun, le cacao est la principale production agricole de l’état de Cross River.   

Pendant ce temps, les défenseurs des droits de l’homme dénoncent les activités des séparatistes et la réponse sévère des autorités centrales. Les observateurs politiques mettent en garde contre la répression du gouvernement qui risque d’exacerber la situation.   

Le Cameroun a obtenu son indépendance en 1961, devenant un système fédéral composé de deux anciens territoires sous tutelle de l’ONU : le Cameroun français et le Cameroun britannique. En 1972, l’État fédéral a été abrogé pour devenir la République Unie du Cameroun, renommée République du Cameroun.

En 1990, la première All Anglophone Conference s’est tenue à Buea, la capitale historique du Cameroun britannique. Les participants avaient demandé le retour à un Etat fédéral avant le mois d’avril 1993, estimant le système fédéraliste plus juste.

Mais le rêve d’un gouvernement fédéral ne devint pas réalité, attisant au fil des ans les griefs des habitants des régions de l’Ouest, marginalisées par le gouvernement central.

Bien que le gouvernement ait fait des efforts pour résoudre la situation en promettant une gouvernance plus inclusive, peu de mesures semblent avoir été mises en œuvre, engendrant protestations et violences.

L’Eglise catholique s’en mêle

Récemment, l’église catholique a de nouveau appelé au dialogue. “Elle peut aider à sortir de cette impasse dangereuse”, estime l’International Crisis Group (ICG), groupe de recherche basé à Bruxelles.

Environ 30% des Camerounais sont catholiques, ce qui donne aux représentants religieux un levier pour amener les parties à la table des négociations. Pourtant, le clergé anglophone et le clergé francophone semblent aussi divisés et « empêchent [l’église catholique] de jouer un rôle constructif », selon l’ICG.

Pour résoudre la crise et stabiliser le pays, M. Guterres préconise « un vrai dialogue inclusif entre le gouvernement et les communautés des régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest. »