Une nouvelle initiative panafricaine créera des emplois

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Une nouvelle initiative panafricaine créera des emplois

— Ibrahim Assane Mayaki
Kingsley Ighobor
Afrique Renouveau: 
— Ibrahim Assane Mayaki
Ibrahim Assane Mayaki, Secrétaire exécutif du NEPAD.
Ibrahim Mayaki est le Secrétaire exécutif de l’Agence du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), organe de mise en œuvre de l’Union africaine mobilisant des ressources et coordonnant le développement de projets sur le continent. En marge de la 72e Assemblée générale de l’ONU, le Dr Mayaki, ancien premier ministre nigérien, a accordé un entretien à Kingsley Ighobor, d’Afrique Renouveau, concernant les dernières avancées socio-économiques du continent. Voici des extraits de cet entretien.

Afrique Renouveau : Le NEPAD a récemment lancé une stratégie en matière de compétences et d’emploi. Quels en sont les objectifs ?

M. Mayaki : Elle vise principalement à permettre une bonne interaction entre les centres de formation technique et professionnelle et le secteur privé. Auparavant, les gouvernements investissaient dans ces centres sans interagir avec le secteur privé. Les personnes issues de ces centres ne trouvaient pas d’emploi. Le nouveau modèle permettra de s’attaquer à cette lacune. Il faudra donc cartographier ces centres, négligés ces 20 dernières années, analyser leurs capacités, limites et adaptation au marché du travail, puis identifier les secteurs où les apprenants pourraient être employés. Les plates-formes du secteur privé permettront ensuite des interactions, une meilleure planification des besoins et une stratégie pour l’emploi. Nous avons commencé dans certains pays, dont le Cameroun, le Kenya, le Nigéria, l’Afrique du Sud et la Tunisie.

S’agit-il d’une initiative panafricaine ?

Absolument ! L’Union africaine [UA] nous soutient. L’idée est de permettre le partage des meilleures pratiques et de disposer d’un cadre politique pouvant être diffusé partout.

Quel est le but recherché ?

C’est l’emploi. Ce programme ne garantira pas l’emploi massif, mais il offrira au moins un mécanisme et un instrument qui donneront aux gouvernements un dispositif  de lutte contre le chômage massif. L’ambition est de démontrer qu’il existe un mécanisme qui fonctionne.

Comment l’emploi peut-il remédier aux inégalités sur le continent ?

Bonne question. L’équation de l’inégalité est très simple : si 75 % de la population est âgée de moins de 25 ans et que le taux de chômage est supérieur à 25 %, il existe de facto une inégalité, car une proportion massive de la population n’a pas de moyens de survie. Le pire en Afrique, c’est qu’il y a des inégalités et que la majorité de la population est jeune. Les jeunes n’attendent pas que l’inégalité soit résolue à moyen ou à long terme ; ils veulent qu’elle le soit maintenant. Cela met la pression sur les décideurs politiques. Si nous n'y prenons garde , cela peut être une source de conflit et d’instabilité en ce qui concerne la gouvernance. Nous l’avons vu en Tunisie, en Égypte, indirectement au Mali et au Burkina Faso.

En quoi votre initiative profite-t-elle aux femmes ?

Lorsque nous parlons des jeunes, nous voulons aussi parler des jeunes femmes. Lorsque nous parlons de transformation rurale et de diversification des économies rurales, nous sommes conscients du fait  que la plupart des petits agriculteurs africains sont des femmes rurales. Donc, si nous voulons que les micro, petites et moyennes entreprises soient le moteur de la diversification économique rurale, nous devons donner aux  femmes les moyens d’être des  opératrices du secteur privé.

Où en sont les centaines de projets du Programme de développement des infrastructures en Afrique (PIDA) ?

Je vais vous expliquer. Avant que le PIDA ne devienne le cadre continental il y a six ans, des CER [communautés économiques régionales] définissaient les plans directeurs, mais ces plans n’étaient pas connectés au niveau continental. L’UA et la Banque africaine de développement ont donc apporté de la cohérence dans tous les plans des CER pour aboutir à un plan continental : le PIDA. Ce plan est un panier regroupant ces 250 projets qu'il faut ensuite segmenter en projets au stade d’idée, de préfaisabilité, puis en projets qui ont fait l’objet d’études de faisabilité et qui sont bancables.

Mettez-vous en œuvre les 250 projets ?

Nous avons établi un ordre de priorité, puis élaboré un plan d’action prioritaire du PIDA qui comprenait 50 projets. Parmi ceux-ci, nous avons établi des liens avec le secteur privé pour voir quels étaient les projets les plus réalisables, et nous en avons identifié 16. Nous avons aujourd’hui un panier d’environ 20 projets. Il s’agit de projets régionaux, comme le corridor de transport Lagos-Abidjan, la ligne de transport d’électricité Zambie-Tanzanie-Kenya, l’autoroute Lagos-Alger, le pont Brazzaville-Kinshasa, etc. Nous devons maintenant régler la question de la viabilité financière de ces projets et atteindre le stade du bouclage financier. Ce ne sera pas possible sans le secteur privé. Nous avons créé il y a deux ans le Réseau des entreprises africaines, une plateforme permettant aux opérateurs du secteur privé de discuter avec les chefs d’État de leur implication et des aspects réglementaires qui affectent leurs activités.

Où en est l’autoroute transsaharienne Lagos-Alger ?

Elle est pour ainsi dire terminée, car il reste moins de 30 km à faire.

Selon vous, le financement n’est pas le problème de l’Afrique. Vraiment ?

Oui. Pour développer un projet de qualité et le rendre bancable, il faut des capacités telles que des ingénieurs financiers, ingénieurs sectoriels, transport, énergie, etc. La réalité est que nos CER n'ont pas ces capacités. Deuxièmement, si nous voulons amener les investisseurs à participer à des projets transfrontaliers, la question de l’harmonisation de la réglementation doit être résolue. Par exemple, si au Togo il y a une règle et au Bénin voisin une autre, les investisseurs ne seront pas intéressés. À cet égard, la Commission économique pour l’Afrique nous appuie et est allée très loin dans la formulation d’une loi type fondée sur l’harmonisation des cadres réglementaires qui aidera à attirer les investisseurs privés vers des projets transfrontaliers. C’est une maison que nous construisons.

Où en  êtes-vous  dans le renforcement des capacités des CER ?

Leurs capacités diffèrent. La Communauté de l’Afrique de l’Est a une forte capacité ; la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest et la Communauté de développement de l’Afrique australe aussi. La Communauté économique des États de l’Afrique centrale a une capacité plus faible. Mais des CER fortes signifient que les dirigeants de la région veulent que leur région soit forte et qu’ils croient en l’intégration régionale.

Existe-t-il une corrélation entre l’ampleur de l’intégration régionale et le niveau de développement régional ?

Absolument, parce que l’objectif principal d’une CER est un marché régional fort, ce qui se traduit par une bonne infrastructure et des niveaux accrus de circulation des marchandises.

À votre avis, pourquoi les investisseurs ciblent-ils principalement l’industrie extractive africaine ?

Je vais vous répondre indirectement. Le rapport de [l’ancien] Président sud-africain Thabo Mbeki sur les flux financiers illicites indique que jusqu’à 50 milliards de dollars pourraient sortir chaque année d’Afrique, dont 75 % proviennent d’internationaux qui ne paient pas leurs impôts. Qui sont ces internationaux ? Ceux qui travaillent dans le secteur minier. Vous avez donc la réponse à votre question.

Avez-vous trouvé la solution à ces flux illicites ?

Il faut renforcer nos systèmes de gouvernance et d’imposition.

 

Les Africains sont aussi de connivence avec les internationaux.

Il faut être deux pour être corrompu. Mais fondamentalement, la corruption existe, mais elle est largement inférieure à l’évasion fiscale.

 

Comment envisagez-vous le développement de l’Afrique dans les 10 prochaines années ?

L’Afrique progresse, mais pas partout, et tout le monde ne progresse pas. La meilleure façon de résoudre l’inégalité est de créer des emplois ; la meilleure façon de créer des emplois est d’établir des industries à forte intensité de main-d’œuvre, et la transformation agricole est fondamentale.

 

L’Afrique est-elle un continent sans espoir ou en plein essor ?

Je n’ai jamais cru qu’elle était « sans espoir » ni « en plein essor ». L’expression « L’Afrique en plein essor » a surtout été promue par de grandes sociétés de conseil qui voulaient attirer des clients sur le continent. Même lorsque nous avions un taux de croissance élevé, le taux de croissance ne créait pas d’emplois. Alors aujourd’hui, je dirai que l’Afrique est « en plein apprentissage ».

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