Où sont les femmes ?

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Où sont les femmes ?

Les conseils d'administration de la plupart des entreprises souffrent d'un manque de diversité
Afrique Renouveau: 
A board meeting in progress in Nairobi, Kenya. Photo: AMO/ George Philipas
Photo: AMO/ George Philipas
Conseil d'administration en pleine réunion à Nairobi, au Kenya. Photo: AMO/ George Philipas

orsqu'une femme se hisse au sommet de l'échelle des entreprises traditionnellement réservée aux hommes en Afrique, elle fait la une des journaux car les progrès des femmes dans les postes à responsabilités  sur le continent continuent d'être terriblement lents.

Selon une étude révolutionnaire réalisée en 2015 par la Banque africaine de développement (BAD) intitulée Where Are the Women? Inclusive Boardrooms in Africa’s Top-Listed Companies « Où sont les femmes : Pour des salles de conseil inclusives au sein des grandes entreprises africaines,»   les femmes représentent seulement 14 % des membres d'un conseil d'administration dans les 307 meilleures entreprises africaines.  Cela équivaut à une femme pour sept membres d'un conseil. Par ailleurs, un  tiers des conseils ne comptent  aucune femme, ajoute le rapport.

Les pays ayant le pourcentage le plus élevé de femmes membres d'un conseil d'administration sont le Kenya (19,8 %), le Ghana (17,7 %), l’Afrique du Sud (17,4 %), le Botswana (16,9 %) et la Zambie (16,9 %). Parmi les entreprises qui comptent plus d’une poignée de femmes, on peut citer l'East African Breweries Limited (EABL), dont le siège est au Kenya et dont le conseil compte 45,5 % de femmes, suivie de l’Impala Platinum Holdings Limited (38,5 %) et de Woolworths Holdings Limited (30,8 %), basées en Afrique du Sud.

En revanche, la Côte d’Ivoire (5,1 %), suivie du Maroc (5,9 %), de la Tunisie (7,9 %) et de l’Égypte (8,2 %) constituent les pays ayant le plus faible pourcentage de femmes au sein des conseils d'administration. L’Ouganda se situe autour de la moyenne du continent qui est de 12,7 %, selon le rapport.

Geraldine Fraser-Moleketi, envoyée spéciale de la BAD pour l’égalité des sexes, plaide en faveur de l'augmentation du nombre de femmes dans les conseils d'administration. « Les femmes siégeant aux conseils d’administration des entreprises améliorent la compétitivité du continent et font de la croissance inclusive une réalité. »

Women Matter Africa, un rapport de McKinsey & Company, une société internationale de conseil en gestion basée aux États-Unis, met en évidence les avantages financiers que tirent les entreprises de la présence de femmes au sein de leurs conseils d'administration. « Les bénéfices avant intérêts et marge fiscale des entreprises qui comptent au moins un quart de femmes au sein de leurs conseils d’administration étaient en moyenne de 20 % supérieurs à ceux de la moyenne de l’industrie. »

Mais les femmes sont sous-représentées à tous les échelons de l’entreprise - dans les postes de cadres intermédiaires et de cadres supérieurs, note le rapport de McKinsey & Company, qui stipule que seulement 5 % des femmes professionnelles parviennent à des postes de haute direction dans les entreprises africaines.

Et même les femmes qui deviennent membres du personnel de direction n'exercent pas nécessairement une influence car elles occupent le plus souvent des « postes sans responsabilité réelle plutôt que des postes hiérarchiques élevés pouvant déboucher sur des promotions à des postes de PDG ». 

Le rapport de la BAD souscrit à la conclusion de McKinsey & Company selon laquelle la plupart des femmes dans les entreprises sont maintenues indéfiniment à la périphérie. La méthode utilisée pour nommer les membres du conseil ne favorise pas les femmes, soutient Mme Fraser-Moleketi. « Les nominations au conseil d’administration se font à travers des réseaux très fermés qui excluent les femmes », dit-elle, et le processus de sélection d'un candidat n'est pas toujours transparent.

Censées allier travail et responsabilités familiales, les femmes sont en outre limitées par les croyances patriarcales qui les font s'orienter vers des carrières peu rémunérées telles que l'enseignement et les soins infirmiers. De nombreux Africains estiment que la carrière d’une femme devrait compléter - et non empiéter   sur ses responsabilités familiales ; c;est là une notion traditionnelle du rôle de la femme qui ne reconnaît pas les avantages  pour la société de la diversité des sexes.

Les femmes sont « victimes de préjugés socioculturels persistants », affirme Viviane Zunon-Kipre, présidente du conseil d'administration de la Société nouvelle d'édition et de presse basée en Côte d'Ivoire.

Les femmes africaines peuvent trouver un peu de réconfort dans le fait que le continent se classe au premier rang pour ce qui est de la représentation des femmes dans les conseils d'administration des régions émergentes. L’Afrique, avec 14,4 % de représentation fait beaucoup mieux  que l’Asie-Pacifique (9,8 %), l’Amérique latine (5,6 %) et le Moyen-Orient (1 %).

En outre, de plus en plus de femmes africaines deviennent membres du conseil d’administration de sociétés de premier ordre, d’organisations non gouvernementales et d’institutions financières, et les entreprises gouvernementales nomment des femmes à leur direction, précise M. Wangethi Mwangi, administrateur non exécutif et ex-directeur éditorial de Nation Media Group (NMG). Cette société de médias opère au Kenya, au Rwanda, en Tanzanie et en Ouganda.

Bien que la société ne compte que deux femmes parmi ses 13 membres du conseil, M. Mwangi explique que « les femmes dirigent les départements du numérique, des achats, des ressources humaines, des opérations et du marketing, et à la rédaction nous avons une femme chef d’édition. En ce qui concerne les achats, la publicité et le marketing, les femmes « réussissent très bien », affirme-t-il.

EABL est un modèle d'excellence pour ce qui est de la présence de femmes dans les conseils d'administration en Afrique. Mais il y a une dizaine d’années, les femmes ne constituaient que 16 % de son conseil d'administration, souligne M. Eric Kiniti, directeur des relations d'affaires de l'entreprise.

L’entreprise a pour principe de prendre en compte le genre lors du processus d'embauche. « Avant d’embaucher des cadres supérieurs, nous insistons sur l'inclusion d'une candidate féminine dans toutes nos listes de présélection. Et s’il n’y en a pas, nous demandons pourquoi », assure-t-il.

Chaque membre de l'exécutif d'EABL a la responsabilité de s'attaquer aux préjugés sexistes qui peuvent exister au sein de l'entreprise. « En tant que signataires du Pacte mondial des Nations Unies et des Principes d'autonomisation des femmes de l'ONU, nous avons établi un ensemble de codes à l'interne pour assurer la diversité sur le lieu de travail », soutient M. Kiniti.

L’un des Principes d’autonomisation des femmes de l'ONU demande aux entreprises « de créer un encadrement de haut niveau pour agir dans le domaine de l’égalité des sexes ». Les entreprises qui promeuvent les femmes à des postes de direction sont donc en phase avec les objectifs mondiaux de 2030. L’Objectif de développement durable 10, Réduction des inégalités, précise que « tout le monde disposera des mêmes opportunités   et personne ne sera laissé pour compte. »

Pour accroître la diversité au sein des entreprises, y compris au sein des conseils d'administration, McKinsey & Company recommande aux entreprises de se fixer quatre objectifs administratifs, dont le premier doit être de faire de la diversité des sexes une priorité majeure pour les conseils d’administration et la direction ».

Le deuxième consiste à « ancrer les stratégies de diversité des sexes avec un argument convaincant », ce qui signifie aviser les employés des directives applicables. Le troisième est de « confronter les attitudes rigides envers les femmes sur le lieu de travail », ce qui veut dire que l'on s'efforce de modifier les perceptions des responsabilités traditionnelles des femmes. Le quatrième est de « mettre en œuvre une stratégie de diversité des sexes reposant sur des faits », ce qui implique l'utilisation d'indicateurs et de données pour prendre conscience de ce que les femmes apportent aux entreprises.

La BAD approuve ces recommandations et ajoute que les entreprises devraient publier des données regroupées par sexe dans leurs rapports annuels et que les codes de gouvernance d’entreprise devraient imposer des quotas pour la représentation des femmes au sein des conseils.

« Pour lancer le processus d’augmentation du nombre de femmes dans les conseils, les quotas se sont avérés très efficaces dans de nombreux pays européens, notamment en Norvège, en Finlande et plus récemment en France », affirme Mme Fraser-Moleketi.

La Norvège a institué un système de quotas en 2003, et exigé  des entreprises opérant dans le pays qu'elles augmentent le pourcentage de femmes au sein de leurs conseils d’administration pour qu'il atteigne au moins 40 %, alors qu'il était en  moyenne de 7 % à l’époque. Le gouvernement a fait savoir qu’il radierait les sociétés qui ne se conformaient pas à la réglementation.

Avec 40,1 % de femmes, la Norvège enregistre actuellement le pourcentage le plus élevé au monde de femmes siégeant à des conseils d'administration. La moyenne mondiale est de 15 %.

À la différence de la Norvège, les pays africains qui adoptent des politiques favorables au leadership des femmes dans les entreprises ne les appliquent pas nécessairement. La constitution kényane exige que les organes électifs d’une société ou les organes dont les membres sont nommés ne soient pas constitués à plus des deux tiers de membres du même sexe. Malheureusement, la loi est muette en ce qui concerne  les sanctions en cas de non-respect .

Les lois sud-africaines promeuvent généralement l’égalité des sexes dans les institutions publiques, mais les femmes représentent environ 33 % de ces institutions.

La constitution marocaine de 2011 garantit l’égalité des sexes pour toutes les nominations, mais 0,1 % à peine de femmes occupent des postes de direction dans les entreprises privées. En 2016, le rapport sur l’écart entre les sexes dans le monde publié par le Forum économique mondial a classé le Maroc 139ième sur 145 pays pour ce qui est de ses efforts de réduction de l'écart entre les sexes. Une étude réalisée en 2015 par l’Organisation internationale du Travail a révélé qu'aucune femme n’était chef de direction dans une grande entreprise au Maroc.

Selon Irina Bokova, directrice générale de l’UNESCO, « une société durable et une démocratie prospère dépendent de l’inclusion et de la participation de tous les citoyens au débat public et à la prise de décision à tous les niveaux ».

Un grand nombre de sociétés africaines souscrivent au principe de l’égalité d’accès à l'emploi. Il leur faut maintenant joindre l'acte  à  la parole . 

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