La liberté économique des femmes profite à tous

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La liberté économique des femmes profite à tous

Les pays progressent en levant les obstacles endémiques
Kingsley Ighobor
Afrique Renouveau: 
9 Avril 2019
Attendees at an FAO sub-regional training workshop on gender and livestock in Harare, Zimbabwe.
FAO/Believe Nyakudjara
Un atelier de formation sous-régional de la FAO sur la parité hommes-femmes et sur l’élevage à Harare, au Zimbabwe.

Souhayata Haidara est fonctionnaire et aime décrire sa vie dans une société patriarcale. Sa carrière est d’ailleurs un exemple de patience et de persévérance, confie-t-elle.

Jusqu’à récemment conseillère spéciale auprès du ministre de l’Environnement et du Développement durable, elle se dit chanceuse de n’avoir pas été mariée à 14 ans comme certaines de ses camarades. Son père résista aux pressions familiales et aux sollicitations, estimant que l’adolescente devait terminer le lycée avant de se marier.

95 milliards de dollars

c’est le montant que l’Afrique subsaharienne perd chaque année en raison de l’écart entre les genres sur le marché du travail

“Dans notre culture, les gens pensent que l’éducation est pour les garçons et que les filles doivent se marier et rester à la maison”, commente-t-elle.

L’indépendance économique des femmes provient de leur éducation, déclare Mme Haidara, diplômée en sciences de l’environnement grâce à une bourse de l’agence des Etats-Unis pour le développement international. « Je n’aurais pu jamais arriver jusque là sans étudier. Je gagne ma vie. J’ai élevé trois enfants – un garçon et deux filles dont une de six ans qui a de très bonnes notes. Et j’en suis très heureuse. »

Brandilyn Yadeta, une Éthiopienne de 32 ans, n’a pas eu cette opportunité. « J’ai eu un enfant à 19 ans et le père est parti à l’étranger sans me prévenir. Depuis,  je m’efforce de m’occuper de mon enfant, c’est ma priorité»..

Si un père refuse de subvenir aux besoins de son enfant, « que peut faire une femme ? »,

se demande Mme Yadeta, avec regret et frustration.

Comme elle, d’autres Africaines sont des héroïnes ignorées – qui prennent soin de leur famille, une activité déconsidérée par la société. Le travail non rémunéré des femmes représente entre 10 et 39% du PIB, selon l’Institut de recherche des Nations Unies pour le développement social.

L’Organisation internationale du travail estime que les femmes assument, de façon disproportionnée, la responsabilité du travail domestique et insiste sur l’importance de l’indépendance économique des femmes, un sujet actuellement prioritaire pour le développement.   

L’Afrique en tête

Un rapport de la Banque mondiale intitulé Les Femmes, l’entreprise et le droit 2019 : une décennie de réformes indique que, de toutes les régions, l’Afrique sub-saharienne est celle « qui a mené le plus de réformes pour promouvoir l’égalité entres hommes et femmes. » En effet, six des dix pays les plus réformateurs s’y trouvent – la RDC, la Guinée, le Malawi, Maurice, Sao Tomé-et-Principe, et la Zambie.

En dépit d’une crise politique irrésolue, la RDC est le pays qui s’est le plus amélioré, notamment grâce à des « réformes qui permettent aux femmes de créer des entreprises, d’ouvrir des comptes bancaires, de signer des contrats, d’être employées et de vivre de la même façon que les hommes ».

L’Ile Maurice a mis en place des moyens de lutte contre le harcèlement sexuel au travail, interdit la discrimination sexuelle pour l’accès aux prêts et rendu obligatoire l’égalité salariale entre hommes et femmes.    

Sao Tomé-et-Principe a uniformisé l’âge de la retraite obligatoire et les âges auxquels femmes et hommes perçoivent une retraite complète – la part des femmes dans la population active a alors augmenté de 1,75%.   

Le rapport de la Banque mondiale ne décrit pas une situation idéale pour les femmes, mais souligne les changements positifs croissants..

Si la RDC a mis en place des réformes en faveur de l’autonomisation des femmes, celles-ci ne disposent d’aucuns droits fonciers ou d’héritage.   

Selon Theodosia Muhulo Nshala, la directrice générale du Centre d’aide juridique des femmes, une ONG basée en Tanzanie, « les hommes et les femmes [en Tanzanie] ont les mêmes droits à la terre, à la propriété, grâce au Décret Village Land de 1999. Toutefois, il existe des lois coutumières qui empêchent les femmes et les filles d’hériter de leurs maris et leurs pères. »     

Si la part des femmes dans la population active (surtout dans le secteur informel) est importante  dans de nombreux pays – 86% au Rwanda, 77% en Ethiopie, 70% en Tanzanie –plus de 50% de femmes disposent de comptes bancaires dans seulement huit pays (Gabon, Ghana, Kenya, Namibie, Afrique du sud, Ouganda, Zimbabwe), selon la Base de données sur l’accès aux services financiers (Findex).

Chacun y trouve son compte

L’indépendance financière des femmes ne profite pas seulement à celles-ci, souligne le Urban Institut, un groupe de réflexion basée à Washington D.C. Au contraire, en augmentant l’égalité hommes-femmes, la croissance annuelle du PIB dans le monde pourrait augmenter de 12 milliards de dollars, soit 11% d’ici à 2025, selon le Mckinsey Global Institut.

Selon ONU Femmes, « investir dans l’indépendance économique des femmes ouvre la voix à l’égalité entre les sexes, à l’éradication de la pauvreté et à une croissance économique inclusive.»

Depuis 2014, les économies d’Afrique sub-saharienne ont perdu près de 95 milliards de dollars annuels en raison des disparités entre les sexes sur le marché du travail, indique Ahunna Eziakonwa, Directrice du bureau régional pour l’Afrique du PNUD (voir interview p. 12). « Imaginez si la puissance, le talent et la détermination des femmes étaient mises à profit ».

Selon les experts, la réalisation de l’Agenda 2063 de l’Union africaine, un plan de transformation socio-économique du continent, et de plusieurs objectifs de l’Agenda 2030 de l’ONU pour le développement durable (mettre fin à la pauvreté, assurer la sécurité alimentaire, garantir des services de santé, atteindre l’égalité des sexes, promouvoir un travail décent pour tous, réduire les inégalités) passent pas l’indépendance économique des femmes.

L’Aspiration 6 de l’Agenda 2063 envisage « un continent de citoyens libres et d’horizons élargis, où les femmes et les jeunes tous sexes confondus, réalisent tout leur potentiel, libérés de la peur, de la maladie et à l’abri du besoin. »

Passer à l’acte

Dans un blog pour la Banque mondiale, la ministre des Finances et de l’Administration publique du Cap Vert, Cristina Duarte, et le Vice-Président de la Banque mondiale pour les infrastructures Makhtar Diop ont récemment appelé « à ce que les jeunes femmes soient soutenues pendant l’adolescence – une phase critique de leurs vies ». Le Programme pour l’autonomisation et la subsistance des adolescentes en Ouganda qui forme des groupes de filles à un métier et les prépare à la vie active en est un bon exemple, selon Mme Duarte et M. Diop.

La Banque mondiale recommande l’adoption de lois qui permettent plus d’inclusion financière. Mme Eziakonwa estime que les pays doivent supprimer les lois qui constituent des obstacles à l’avancement des femmes, notamment en leur interdisant de posséder des terres. La journaliste sud-africaine Lebo Matshego exhorte les défenseurs des droits de femmes à utiliser les réseaux sociaux pour s’opposer à ces traditions et coutumes qui réduisent les droits des femmes.   

Vera Songwe, secrétaire de la Commission économique pour l’Afrique, première femme à occuper ce poste, estime que les femmes, en particulier en zones rurales, doivent avoir accès à Internet.

Le rapport de la Commission de la condition de la femme 2018, intitulé Problèmes à régler et possibilités à exploiter pour parvenir à l’égalité des sexes et à l’autonomisation des femmes et des filles en milieu rural conseille aux pays de « concevoir et mettre en œuvre des politiques fiscales en faveur de l’égalité des sexes et de l’autonomisation des femmes et des filles en zones rurales en investissant dans les infrastructures indispensables (TIC, énergies durables, transports, distribution de l’eau et voirie). »

Selon Ellen Johnson Sirleaf, ancienne présidente du Libéria, il faut des mesures d’action positive. « Le moment est venu d’accorder un traitement de faveur aux femmes »,

déclare-t-elle, citant les quotas d’emploi et l’accès aux emprunts.

En 2013, ONU Femmes a appuyé une révision des dépenses publiques du Kenya qui consacre aujourd’hui au moins 30% de son budget annuel aux femmes. En 2017, par le biais de son programme pour l’Autonomisation économique des femmes, ONU Femmes a formé 1 500 femmes à la vente à Nairobi afin qu’elles participent et bénéficient des dépenses du gouvernement.      

La qualité des emplois des femmes compte également, estime Abigail Hunt, chercheuse auprès de l’Institut pour le développement Outre-mer, un groupe de réflexion basé en Grande-Bretagne. « L’autonomisation atteint ses limites quand les femmes entrent sur le marché du travail dans des conditions défavorables, notamment en occupant des emplois dangereux, surexploités ou stigmatisés, peu rémunérés et précaires. » En d’autres termes, il faut que les femmes puissent avoir accès à des emplois sûrs, sécurisés et bien rémunérés.

« La prise d’indépendance économique des femmes est irréversible », insiste Mme Sirleaf. « Cela prend du temps mais personne ne pourra l’empêcher ».       

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