Des militants anti-sida en Afrique du Sud : les traitements antirétroviraux offrent un certain espoir pour l'avenir.

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Des militants anti-sida en Afrique du Sud : les traitements antirétroviraux offrent un certain espoir pour l'avenir.

Le financement des soins demeure toutefois inférieur aux besoins
Afrique Renouveau: 
Des militants anti-sida en Afrique du Sud : les traitements antirétroviraux offrent un certain espoir pour l'avenir. Photo : ©AFP / Getty Images / Rajesh Jantilal
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Il y a dix ans environ, la mise au point d'un traitement efficace contre le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) qui cause le sida n'a fait qu'aggraver l'écart entre les riches et les pauvres de la planète. Alors que les habitants des pays riches pouvaient bénéficier des nouvelles thérapeutiques coûteuses -- les antirétroviraux -- et continuer à vivre, les populations des pays pauvres mouraient par millions d'une mort lente et pénible.Face à cette "situation d'urgence sanitaire mondiale", le Directeur général de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), le Dr Lee Jong-wook, a lancé la campagne mondiale 3x5, visant à offrir des antirétroviraux à trois millions de personnes, dont deux millions en Afrique, d'ici la fin 2005. Des militants anti-sida en Afrique du Sud : les traitements antirétroviraux offrent un certain espoir pour l'avenir. Photo : ©AFP / Getty Images / Rajesh Jantilal On estime qu'environ six millions de personnes dans le monde ont besoin de ce type de thérapie, prescrite uniquement en phase avancée. Il s'agit d'un engagement à long terme, car le traitement ne guérit pas du VIH/sida et doit être administré à vie. "Il faudra changer notre façon de penser et d'agir si l'on veut offrir des antirétroviraux aux millions de personnes qui en ont besoin", déclare le Dr Lee. "Continuer comme avant n'est plus tenable ; car cela revient à regarder mourir des milliers de personnes tous les jours."Pour 30 millions d'Africains séropositifs, il s'agit d'une question de vie ou de mort. Le virus, qui attaque les défenses naturelles du corps humain, a été le plus meurtrier en Afrique subsaharienne, où la pauvreté, l'insuffisance des systèmes de santé publique, la crainte de l'ostracisme et le coût élevé du dépistage et des soins ont facilité la propagation quasi-incontrôlée de la maladie. L'ONU estime que seules 100 000 personnes reçoivent un traitement antirétroviral, sur les quatre millions d'Africains au moins qui en ont besoin.La campagne 3x5 sera calquée sur les mesures d'urgence prises par l'OMS contre l'épidémie du SARS, une maladie respiratoire extrêmement contagieuse qui a été rapidement enrayée l'an dernier par une concertation mondiale. Des experts techniques de l'OMS seront ainsi dépêchés dans les pays touchés par l'épidémie pour aider les autorités locales à ouvrir des centres de dépistage, de distribution et de soins. L'OMS se propose par ailleurs de créer une série de protocoles de traitement standard simplifiés, des systèmes de formation pour 100 000 agents sanitaires supplémentaires et un centre d'échange d'informations sur la qualité des médicaments, leur disponibilité et leurs prix. "Il faudra un effort extraordinaire, un effort sans précédent, de tous les acteurs concernés si l'on veut que le nombre de malades des pays pauvres recevant des antirétroviraux passe de 300 000 à environ trois millions en deux ans seulement ... Nos objectifs sont ambitieux mais réalisables."-- Dr Paolo Teixeira, Directeur de la campagne 3x5 Photo: Afrique Relance / Michael Fleshman Il s'agit d'un projet extrêmement ambitieux, destiné à multiplier par 10 en deux ans le nombre de personnes recevant des antirétroviraux. C'est aussi une victoire pour l'Afrique, estime Milly Katana, directrice du service de défense des intérêts des malades au sein de l'organisation non gouvernementale Health Rights Action Group, en Ouganda. Jointe à son domicile de Kampala, Mme Katana, qui siège également au Conseil du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, a déclaré à Afrique Relance que "pendant des années nous avons soutenu devant les donateurs, les sociétés pharmaceutiques multinationales et même certaines fondations privées et ONG que ce traitement pouvait marcher. Et nous avons entendu toutes les raisons pour lesquelles ça ne marcherait pas". A présent, le débat n'est plus de savoir s'il faut soigner les populations défavorisées, mais comment le faire. "C'est un accomplissement majeur", constate-t-elle. "La campagne 3x5 est une victoire pour les efforts et le combat des populations de l'Afrique atteintes du VIH/sida."Un traitement 'doit être réalisable'Mais est-ce faisable? Interrogé par Afrique Relance début février à New York, le directeur de la campagne 3x5, le Dr Paolo Teixeira, a volontiers reconnu l'ampleur des obstacles techniques, financiers et politiques : "Il faudra un effort extraordinaire, un effort sans précédent, de tous les acteurs concernés, si l'on veut que le nombre d'habitants de pays pauvres [recevant des antirétroviraux] passe de 300 000 à trois millions en deux ans. Pour ce faire, gouvernements, société civile, donateurs, institutions multilatérales, sociétés pharmaceutiques, ONG, et même l'OMS doivent unir leurs efforts comme jamais auparavant... Nos objectifs sont ambitieux mais réalisables, a-t-il poursuivi. Ils doivent l'être. Pensez à toutes les vies qui sont en jeu."Le Dr Teixeira, l'un des fondateurs du programme modèle de traitement au Brésil avant d'entrer à l'OMS, cite plusieurs facteurs favorables à un accès plus large aux traitements :

Le prix des médicaments. Les pressions exercées par les populations atteintes du VIH/sida et la concurrence des fabricants de versions génériques bon marché de médicaments antirétroviraux brevetés ont fait baisser le prix des traitements au cours des dernières années -- de 12 000 à 15 000 dollars par an à 300 dollars par an dans les pays en développement. Un accord récemment passé entre des fabricants de produits génériques et l'ancien président américain Bill Clinton pourrait faire baisser encore le prix du traitement à 140 dollars par an, soit moins de 40 centimes par jour.Une volonté politique plus affirmée. Après des années de déni, de plus en plus de dirigeants africains et d'autres régions en développement s'investissent dans la lutte nationale contre le VIH/sida.Des exemples de réussite. Le succès enregistré par l'Ouganda dans la diminution sensible des taux d'infection à VIH grâce à des programmes dynamiques d'éducation et de prévention confirme que la maladie peut être enrayée même dans les pays très pauvres. Les programmes pilotes de Médecins sans frontières et d'autres ONG confirment que le VIH/sida peut être traité dans des pays sans services sanitaires de pointe.Meilleure technologie. La mise au point d'une pilule unique qui contient trois des composantes les plus importantes du traitement antirétroviral a permis de réduire considérablement le coût des programmes et de les simplifier. La production de ce nouveau comprimé, assortie de meilleures méthodes de dépistage, de suivi et de diagnostic, a éliminé de nombreux obstacles techniques à l'administration du traitement dans les pays en développement.

"Nous savons que faire, nous savons comment le faire et nous savons que c'est faisable", précise le Dr Teixeira. "Ce n'est maintenant qu'une question de volonté."Au rythme actuel, l'OMS prévoit que le nombre de personnes recevant un traitement antirétroviral dans les pays en développement passera de 300 000 à 935 000 d'ici la fin 2005. La campagne 3x5 vise à augmenter ce chiffre de deux millions de personnes, ce qui, selon le Dr Teixeira, exigerait cinq milliards de dollars supplémentaires sur les deux prochaines années. La mobilisation de ces fonds ne fait que commencer, précise-t-il.Un programme américain crucialDans une étude détaillée sur les sources de financement de la lutte contre le VIH/sida dans le monde, la chercheuse Jennifer Cates, responsable de la politique anti-VIH au Henry J. Kaiser Family Foundation aux Etats-Unis, révèle qu'environ la moitié du financement total des programmes VIH/sida dans les pays en développement en 2003 s'est faite sous la forme d'aide publique bilatérale au développement. La contribution des pays en développement représente 25 % du total, le reste étant fourni par des donateurs multilatéraux comme le Fonds mondial ou la Banque mondiale, des donateurs privés et des institutions de l'ONU (voir tableau ci-dessous). Toutefois, note-t-elle, "même si toutes ces sources de financement sont en hausse constante depuis plusieurs années et que la tendance semble se poursuivre, le financement demeure nettement inférieur aux besoins de l'ONUSIDA (Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida), sans même tenir compte des frais de lancement et de fonctionnement de la campagne 3x5". Sources de financement de la lutte contre le VIH/sida dans le monde en 2003 (en millions de dollars E.-U.) Gouvernement américain, aide bilatérale 852 Autres gouvernements, aide bilatérale 1 163 Fonds mondial (VIH/sida seulement) 547 Organismes des Nations Unies 350 Banque mondiale (équivalence en dons) 120 ONG/donateurs privés 200 Gouvernements des pays atteints (sources nationales) 1 000 Total 4 232**Dépenses prévues ; les dépenses réelles s'élèvent à 3 600 millions de dollarsSource : Kaiser Family Foundation. Le financement des antirétroviraux est passé à la vitesse supérieure le 23 février, lors du lancement à Washington par les autorités américaines du President's Emergency Plan for AIDS Relief (PEPFAR). Avec ce projet, les Etats-Unis s'engagent à verser sur une période de cinq ans 15 milliards de dollars pour fournir des antirétroviraux à deux millions de personnes de 14 pays de l'Afrique et des Caraïbes, dont l'Afrique du Sud, le Botswana, la Côte d'Ivoire, l'Ethiopie, le Kenya, le Mozambique, l'Ouganda, la Namibie, le Nigéria, le Rwanda, la Tanzanie, la Zambie, de même que Haïti et le Guyana.De l'avis des observateurs, les Etats-Unis devront consacrer environ cinq milliards de dollars dans les cinq prochaines années au financement de programmes bilatéraux existants contre le VIH/sida dans environ 100 pays et se sont engagés à verser au moins 200 millions de dollars par an au Fonds mondial. Le lancement du PEPFAR représente un nouvel engagement d'environ neuf milliards de dollars, montant que le directeur du programme, Randall Tobias, a décrit "comme le plus important jamais investi par un pays dans une initiative en matière de soins de santé". Un tiers du financement, soit cinq milliards de dollars, sera réservé à la promotion de l'abstinence sexuelle.M. Tobias, ancien président de la société pharmaceutique Eli Lilly, a annoncé par ailleurs que la première tranche de ce montant, soit 335 millions de dollars, financerait les soins antirétroviraux administrés à 137 000 malades sur cinq ans. Le budget du PEPFAR, de 2,4 milliards de dollars en 2004, correspond pratiquement au montant total des dépenses mondiales engagées en 2002 contre le VIH/sida dans les pays en développement.Aide bilatérale, besoins mondiauxEn théorie, le PEPFAR devrait permettre d'atteindre l'objectif de la campagne : soigner deux millions de personnes de plus, bien que sur une période plus longue. Les autorités de l'OMS saluent ce projet comme une étape importante vers la réalisation des objectifs de la campagne. De nombreux commentateurs, toutefois, dont l'Envoyé spécial du Secrétaire général de l'ONU pour le VIH/sida en Afrique, Stephen Lewis, expriment des doutes quant à l'efficacité de la réponse bilatérale à la pandémie mondiale, plaidant plutôt pour un soutien accru au Fonds mondial.Il ne fait pas de doute que les programmes de soins et de prévention continueront à bénéficier de sources de financement bilatérales, a déclaré M. Lewis à Afrique Relance, précisant que "chaque centime versé à ce titre était particulièrement apprécié. Mais, les programmes bilatéraux présentent de graves inconvénients. Car ils permettent aux pays donateurs de choisir les récipiendaires, excluant ainsi des pays qui ont pourtant un besoin urgent d'aide". Dans le cadre du PEPFAR, certains pays les plus touchés par l'épidémie comme le Swaziland, le Lesotho, le Malawi et le Zimbabwe sont ainsi privés d'assistance financière."Très souvent, poursuit-il, le donateur aura tendance à vouloir décider de l'utilisation des dons, qui ne correspond pas forcément aux politiques nationales ... Mais le Fonds mondial suit un processus ancré à l'échelon national, auquel participent tous les acteurs concernés."Un autre problème potentiel tient à la coordination des actions du PEPFAR et de la campagne 3x5 sur des questions aussi vitales que l'achat des médicaments. A l'heure actuelle, le principal traitement antirétroviral distribué par la campagne 3x5, le comprimé à triple combinaison, n'est disponible qu'auprès de fournisseurs de produits génériques bon marché. Les militants craignent que les Etats-Unis, qui désapprouvent les changements proposés au sein de l'Organisation mondiale du commerce pour rendre les produits génériques moins chers et plus accessibles, n'aient l'intention de n'utiliser que des médicaments brevetés et onéreux produits par des sociétés américaines.Les autorités américaines dénoncent ce procès d'intention, faisant valoir que les clauses du PEPFAR autorisent expressément détenteurs de brevets et fabricants de génériques à répondre aux appels d'offre. D'autres critiques estiment que certaines clauses du PEPFAR pourraient interdire l'achat de médicaments génériques, les Etats-Unis continuant à plaider en faveur de mesures restrictives de protection des brevets dans le cadre de négociations commerciales régionales et bilatérales.Certaines sociétés pharmaceutiques américaines doutent de l'innocuité et de la qualité du comprimé à triple combinaison. Bien que l'OMS ait donné son feu vert, certains laboratoires estiment que le produit risque d'accroître la résistance médicamenteuse aux antirétroviraux actuels et d'encourager la contrefaçon. Une réunion de coordination stratégique est prévue à ce sujet cette année entre de hauts responsables du Gouvernement américain et de l'OMS.Trouver les ressourcesCependant, même avec le PEPFAR, le montant des dépenses mondiales contre le VIH/sida dans les pays en développement restera très inférieur aux besoins croissants. Selon l'ONUSIDA, au moins 8,3 milliards de dollars sont nécessaires cette année, 10,7 milliards le seront en 2005 et près de 15 milliards en 2007. Le traitement antirétroviral devant être suivi à vie, le lancement de programmes comme le PEPFAR et la campagne 3x5 feront augmenter la demande.Le Fonds mondial est une source éventuelle de ressources supplémentaires. Lancé en 2001, cet organisme de financement multilatéral censé intensifier la lutte mondiale contre le VIH/sida, le paludisme et la tuberculose a alloué à ce jour 2,1 milliards de dollars sous forme de dons pluriannuels à 121 pays, dont 750 millions environ aux programmes contre le VIH/sida en Afrique. le Dr Richard Feacham, directeur général du Fonds, a déclaré en septembre à la presse que l'organisme serait le vecteur "majeur" de financement des efforts de la campagne 3x5. Un autre cercueil imputable au sida : y aura-t-il assez d'argent pour enrayer les effets mortels de la pandémie? Photo : ©Jake Price Le Fonds n'a toutefois pas réussi à obtenir des annonces de contributions de plusieurs milliards de dollars indispensables à une multiplication rapide des traitements antirétroviraux. Selon Mme Cates, l'allocation de fonds se heurte à des problèmes techniques, 164 millions de dollars seulement étant parvenus en décembre 2003 aux projets approuvés.Bien que 60 % des dons du Fonds mondial soient consacrés au financement des programmes contre le VIH/sida, seule une partie de ces fonds est réservée aux soins. Sans une augmentation considérable des contributions, le Fonds mondial ne sera en mesure de fournir un traitement antirétroviral qu'à 240 000 personnes d'ici la fin 2005 -- soit 8 % environ des objectifs de la campagne 3x5.La Banque mondiale a également accru son soutien aux programmes de soins et de prévention. Depuis 1986, année où elle a commencé à consentir des prêts dans ce domaine, la Banque a affecté 2,2 milliards de dollars à la lutte contre l'épidémie dans plus de 50 pays. Cela comprend l'établissement en juin 2001 d'un fonds d'un milliard de dollars pour l'Afrique, le Programme plurinational de lutte contre le VIH/sida, qui a, à ce jour, approuvé des prêts à conditions libérales et des dons de 865 millions de dollars à 24 pays africains.Mais même ces prêts à très faible intérêt doivent être remboursés, et certains pays endettés ont rechigné à emprunter davantage pour financer leurs programmes anti-VIH/sida. Dans ses estimations des dépenses mondiales dans ce domaine, l'ONUSIDA calcule la différence entre les sommes allouées et les sommes à rembourser et obtient ainsi "l'équivalent-dons" des financements de la Banque mondiale. Ces montants ajustés s'élevaient à 95 millions de dollars en 2002 et à 120 millions en 2003.Les mesures d'allègement de la dette adoptées dans le cadre de l'Initiative en faveur des pays pauvres très endettés ont aussi permis de dégager de l'argent. La Banque signale en effet que 24 pays africains ayant bénéficié à titre divers de ces mesures ont pu augmenter le budget de leurs programmes de lutte contre le VIH/sida. Toutefois, une association de militants, Jubilee USA Network, fait remarquer que même après la réduction de leur dette, les gouvernements africains dépensent en moyenne 14 dollars par personne et par an au titre du remboursement de la dette, contre cinq dollars pour les soins de santé."A l'heure actuelle, les trésoreries publiques du monde occidental devraient faire couler l'argent à flot, souligne M. Lewis. Mais il y a un énorme écart, de plusieurs milliards de dollars, entre ce que les gouvernements sont disposés à dépenser et les véritables besoins dans ce domaine. Pourtant, des millions de vies humaines dépendent de ces milliards de dollars." Si la campagne 3x5 ne parvient pas à mobiliser les ressources nécessaires, ce sera, conclut-il, "une tragédie sans pareil, et une défaillance persistante et étonnante de la part des pays riches de la planète".

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