Du jazz pour rapprocher le monde

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Du jazz pour rapprocher le monde

La trompette, « l’arme la plus cool »
Franck Kuwonu
Afrique Renouveau: 
7 Août 2019
Musicians perform on the streets of Maputo, Mozambique, on International Jazz Day 2019. Photo: Mauro Vombe
Mauro Vombe
Procession musicale dans les rues de Maputo pendant la Journée internationale du jazz 2019.

Le 30 avril de chaque année, les mélomanes du monde entier célèbrent la Journée internationale du jazz pour, explique la Directrice générale de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) Audrey Azoulay, « honorer le jazz et son héritage toujours vivace, et rendre hommage au pouvoir qu’a cette musique de rapprocher les gens. »  L’UNESCO œuvre pour la paix, la justice et la promotion de l’état de droit dans le monde.

Depuis 2012, année de son inauguration au siège des Nations Unies à New York, des concerts et événements jazz organisés à travers le monde culminent en un concert-événement qui réunit chaque année plusieurs grands noms du jazz dans une métropole différente.

Cette année, c’était Melbourne en Australie. En 2020, ce sera le tour du Cap en Afrique du Sud. Un choix sans doute lié au fait que la ville a son propre festival de jazz et où l’industrie du jazz est à la fois dynamique et créative. Un choix qui évoque autant le rôle joué par la musique pour l’égalité des droits que l’influence pérenne du jazz en Afrique.

En 2018 déjà, un concert spécial de jazz honorait le tricentenaire de la Nouvelle-Orléans, une ville américaine de renommée culturelle et historique aux bords du Mississipi. Dans l’auditorium de l’Orpheum, le maire de l’époque, Mitch Landrieu, avait du mal à contenir sa joie. « Les gars ! ça fait du bien d’être ici », s’est-il exclamé.

« Vous savez où le jazz est né ? A la Nouvelle-Orléans – là, juste au bout de la rue. On n’aurait pas pu l’inventer ailleurs ».

Satchmo au Congo

Dans l’ambiance bon enfant de la salle, le Preservation Hall Jazz Band, un groupe local, ouvrit les festivités par une joyeuse procession musicale au bout de laquelle dansa, tout sourire, une mascotte géante, plus grande que nature, du célèbre trompettiste et chanteur de jazz, Louis Armstrong, aussi connu sous le nom de Satchmo. La procession rappelait l’image du vrai Armstrong, souriant de toutes ses dents, porté en triomphe par ses fans à Léopoldville, l’actuelle Kinshasa, en République démocratique du Congo (RDC) en 1960, avant l’un de ses concerts.

C’était une des nombreuses visites de M. Armstrong en Afrique dans le cadre du programme des Ambassadeurs du jazz du gouvernement américain, créé en 1956 au plus fort de la guerre froide pour promouvoir les valeurs et la culture américaines à l’étranger.

Plusieurs musiciens de jazz, dont Louis Armstrong, Dizzy Gillespie ou encore Duke Ellington sillonnaient alors le monde en leur qualité d’ambassadeurs culturels.

« Notre arme est la plus cool qui existe, » aurait même déclaré M. Gillespie, en référence à sa célèbre trompette.

Les ambassadeurs du jazz américain n’ont peut-être pas gagné de guerres sur le continent africain, mais, des rives du Mississippi aux côtes africaines et au-delà, le jazz n’en a pas moins eu des effets durables sur la politique, l’art ou la littérature.

Accra en Jazz

Le temps était plutôt doux ce dimanche soir à Accra. Takashi Band, un groupe acoustique local fort de 10 musiciens, était en concert dans un bar-grill dédié au jazz et à ses multiples influences.

Le répertoire était éclectique, combinant des titres de high-life ghanéens avec des célèbres standards de jazz. L’audience s’anima à peine quand Kojo Essa, le leader du groupe, « banquier le jour et musicien la nuit », comme il aimait dire, interpréta What a Wonderful World en une imitation sans équivoque du Louis Armstrong du début des années 60, quand ce dernier alla à Accra jouer avec des musiciens du cru.

Puis il passa à Fly Me to the Moon, “style agbadza”, dit-il , et presque tout le monde se leva d’un bond. Agbadza, un rythme local, est également populaire au Togo et au Bénin.

Jazz et luttes de libération

En Afrique du Sud, l’activisme du jazz à l’époque de l’apartheid refléta le rôle du jazz dans la lutte pour les droits civiques aux États-Unis ; mais le jazz sud-africain reste singulier en ses sonorité, style et mode d’expression.

Au temps de l’apartheid, des musiciens en exil tels que Mariam Makeba, le trompettiste Hugh Masekela (surnommé affectueusement le père du jazz sud-africain) et le pianiste et compositeur Abdullah Ibrahim (connu sous le nom de Dollar Brand et surnommé le roi du jazz sud-africain) ont toujours exprimé leur soif de liberté et d’égalité.

Là-bas plus qu’ailleurs, la musique était donc au cœur de la lutte pour les libertés en Afrique du Sud.

Le documentaire Amandla! A Revolution in Four-art Harmony sorti en 2002 et où figure Mannenberg, légendaire morceau d’Abdullah Ibrahim, témoigne du pouvoir fédérateur de la musique contre le régime de l’apartheid.

Sorti en 1974 pour protester contre le déplacement forcé de personnes de couleur au Cap, Mannenberg allait devenir l’un des titres les plus populaires des années 80 en Afrique du Sud.

« Nous avions capté l’esprit de la nation et son humeur à cette époque », M. Ibrahim expliqua dans un entretien à la Voix de l’Amérique en 2012. Il raconta comment en 1976, après le soulèvement de Soweto au cours duquel plus de 100 manifestants furent tués, les gens « ont repris la chanson, qui a été jouée et chantée partout… À certains égards, elle est presque devenue l’hymne non officiel de l’Afrique du Sud ».

Après l’avoir , selon M. Ibrahim, entendu le titre en prison, Nelson Mandela se serait exclamé : « c’est le signe que la libération approche ».

Jazz et littérature

Cependant, l’influence du jazz en Afrique va au-delà de la politique. Comme aux États-Unis, il a inspiré romanciers et autres écrivains, notamment dans les pays d’Afrique francophone.

«iAucune autre forme musicale n’a aussi souvent figuré dans la tradition [littéraire] francophone africaine », écrit Pim Higginson, professeur d’études françaises et francophones à Bryn Mawr, une université féminine américaine, dans l’introduction de son essai de 2017, Scoring Race : Jazz, fiction and Francophone Africa.

Jazz et vin de palme du congolais Emmanuel Dongala est souvent cité comme l’exemple de référence au jazz dans la littérature. Pour autant, Mirages de Paris, publié en 1937 par le Sénégalais Ousmane Socé, fut le premier roman africain à parler de jazz.

Au nombre des récits évoquant le jazz, on peut encore citer Cola Cola Jazz de l’écrivain togolais Kangni Alem et Trop de soleil tue l’amour du Camerounais Mongo Beti. Une autre camerounaise, Léonora Miano, a écrit Tel des astres éteints et Blues pour Elise et Fiston Mwanza Mujila, originaire de la République démocratique du Congo, Tram 83.

Quoique la trame de chacun de ces livres est différente, tous ces écrivains ont en commun d’utiliser le jazz pour exprimer la diversité des identités culturelles de leurs protagonistes et la manière dont ils gèrent la modernité.

Pour la plupart de ces écrivains, « la structure des compositions de jazz », explique Kangni Alem, un écrivain togolais, à Afrique Renouveau, « demeure la plus grande influence». Alem donne l’exemple de Misterioso-911, une pièce de théâtre de l’écrivain ivoirien Koffi Kwahulé. Un titre qui, sans doute, est un clin d’œil à Misterioso, un album du pianiste Thelonious Monk sorti en 1958.

A l’instar du jazz, ces œuvres littéraires célèbrent la diversité culturelle exprimée dans la liberté d’expression et la créativité.

Ces écrivains « se tournent sans cesse vers le jazz en tant qu’idée, terrain contesté ou de formation à travers et autour desquels se négocient les notions de race et d’identité, de résistance et d’expression », explique M. Higginson.

Ainsi, « en fêtant le jazz, le monde célèbre bien plus qu’une musique », déclare Mme Dubois, à Afrique Renouveau. « Il célèbre aussi la créativité, les partenariats, les collaborations et la liberté d’expression… promeut les objectifs de développement durable… et favorise le dialogue entre les cultures ».       

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