Transformer le Sahel en une terre d’opportunités

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Transformer le Sahel en une terre d’opportunités

— Ibrahim Thiaw
Afrique Renouveau: 
Ibrahim Thiaw, UN Secretary-General’s special adviser for the Sahel
Ibrahim Thiaw, conseiller spécial pour le Sahel
D’originaire mauritanienne, Ibrahim Thiaw a récemment été nommé conseiller spécial du Secrétaire Général des Nations Unies pour le Sahel. Ancien directeur exécutif adjoint de ONU-Environnement, M. Thiaw est notamment chargé de mobiliser un soutien national et international pour le développement socio-économique de la région du Sahel, qui couvre 10 pays africains. M. Thiaw s’est entretenu avec Minielle Baro du Centre d’information des Nations Unies à Dakar sur sa vision, le sentiment d’urgence et les opportunités d’investissement au Sahel.

Afrique Renouveau : Quelle est la portée de votre mandat ?

M. Thiaw : Je travaille avec toutes les agences des Nations Unies pour harmoniser le soutien à la région du Sahel.  L’ONU aura de multiples rôles à travers ses différents organismes, fonds et programmes. Le premier consiste à fournir une expertise, le second à mobiliser les partenaires internationaux, y compris le secteur privé et à coordonner l’action pour apporter une réponse cohérente aux multiples défis auxquels le Sahel est confronté. Le troisième est de mettre en évidence l’immense potentiel des entreprises au Sahel et de promouvoir le développement durable de la région.

Pourquoi l’ONU déploie-t-elle un conseiller spécial pour le Sahel ?

Il faut coordonner le travail du système des Nations Unies et faciliter la coopération entre les différentes agences travaillant sur le plan de soutien au Sahel. Il est important pour mon bureau ou encore, le bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et les 30 agences qui opèrent dans le Sahel de fournir un important service aux États membres. Mon travail consiste également à mobiliser des partenaires internationaux et des institutions, y compris le secteur privé, à coordonner l’action et à apporter une réponse cohérente aux multiples défis auxquels le Sahel est confronté. Enfin, mon bureau mettra en évidence le potentiel du Sahel et contribuera à promouvoir le développement durable. Le Sahel ne manque pas de ressources naturelles, même s’il manque peut-être de moyens financiers pour un développement durable.  Nous disons : « S’il vous plaît, investissez dans le Sahel, car il y a d’énormes opportunités d’affaires dans la région. »

L’une des plus grandes contraintes dans la région est le manque d’électricité. Cependant, avec l’abondance du soleil et du vent toute l’année, nous pouvons créer de l’énergie renouvelable presque partout au Sahel.

Près de 65 % de la population du Sahel a moins de 25 ans et il existe peu d’opportunités pour les jeunes.   Comment allez-vous lutter contre la pauvreté et empêcher les jeunes d’être attirés par des groupes impliqués dans des activités terroristes ?

La population est jeune ; ce qui est un défi, mais aussi une opportunité. Les jeunes sont forts, dynamiques et prêts à promouvoir le développement. Ils sont de plus en plus éduqués et peuvent bénéficier de nombreuses opportunités. Ce que les gouvernements et la Communauté internationale doivent faire, c’est reconnaître les jeunes comme des acteurs – et non comme un fardeau.  Il est important de les aider à identifier les opportunités de développement, y compris par la création de petites et moyennes entreprises.

Autre action nécessaire ?

Un changement de politiques. La région regorge de possibilités, mais plusieurs habitants sont pauvres. Nous devons briser ce paradoxe.

Quel impact l’ONU peut-elle avoir au Sahel et quels sont les défis ?

Premièrement, nous avons reçu du Conseil de sécurité le mandat d’élaborer une stratégie intégrée aux Nations Unies pour le Sahel. Nous sommes en train d’élaborer un plan, avec des actions spécifiques qui peuvent être promues non seulement par l’ONU, mais aussi par d’autres partenaires, y compris le secteur privé.  La plupart des défis au Sahel peuvent être transformés en opportunités.

Opportunités ?

Oui ! Par exemple, le Sahel est extrêmement chaud et cette chaleur peut être transformée en énergie renouvelable. La zone de pêche la plus riche du monde se trouve au large des côtes de l’Afrique de l’Ouest, qui couvre certains pays sahéliens. Par ailleurs, la position géographique du littoral ouest-africain est un avantage. Étant proche de l’Europe, le poisson peut être pêché aujourd’hui et se retrouver sur les marchés européens le lendemain en bon état (frais). Ce n’est pas un hasard si vous voyez beaucoup de grosses compagnies de pêches s’y installer.

Quels sont les principaux défis auxquels le Sahel est confronté ?

L’une des plus grandes contraintes dans la région est le manque d’électricité. Cependant, avec l’abondance du soleil et du vent toute l’année, nous pouvons créer de l’énergie renouvelable. Dans certains cas, il peut s’agir de solutions hors réseau et, dans d’autres, de solutions sur le réseau, ce qui signifie que nous produisons de l’énergie, la transférons au réseau national et la distribuons pour réduire la dépendance aux combustibles fossiles. En vertu de l’Accord de Paris sur le changement climatique, les pays sont tenus de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Nous devons générer de l’énergie capable de transformer les économies du Sahel. Par exemple, les produits de pêche peuvent être transformés localement, créant des emplois à valeur ajoutée pour la jeunesse locale. Bien que l’élevage puisse être difficile en raison des conflits entre les éleveurs et les agriculteurs de la région, il y a beaucoup de bœufs frais, même halals, exportés du Sahel vers des destinations telle que le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.

Avez-vous l’intention de promouvoir la protection de l’environnement et l’atténuation des changements climatiques au Sahel ?

Bien que le Sahel soit sec, il est également doté de rivières et autres plans d’eau : les fleuves Gambie, Sénégal, Niger, le lac Tchad et autres. Il y a également des eaux souterraines, ce qui est rare dans d’autres régions sèches du monde. Ici, dans notre désert, nous avons de l’eau douce, ce qui représente une autre opportunité. Actuellement, l’eau ne peut pas être exploitée faute d’énergie. Donc, oui, le problème environnemental est transversal. Trois facteurs sont transversaux : les questions environnementales (y compris l’énergie), les femmes et les jeunes.

Comment envisagez-vous le changement ici ?

Le changement peut arriver par l’autonomisation des jeunes et des femmes. Au Sahel, les moins de 25 ans représentent plus de 65 % de la population.  Les femmes autonomisées peuvent produire assez pour nourrir non seulement leurs familles, mais aussi le reste du pays. Tout jeune sans emploi qui migre est une perte économique pour sa société.  Cela signifie qu’il n’est plus actif dans l’économie domestique et, que la migration économique pénalise sa société.

Comment allez-vous vous associer au secteur privé ?

Notre rôle est de démontrer par des actions, des études concrètes et des bonnes pratiques, qu’investir dans le Sahel est une bonne affaire. Nous travaillerons avec les États pour réduire les risques dans la région, veiller à ce qu’il y ait un Etat de droit et que les bonnes politiques d’investissement soient établies. Notre rôle est de maintenir ce dialogue avec les États et de créer les conditions propices à de bonnes affaires.

Comment envisagez-vous votre collaboration avec les gouvernements ?

L’ONU opère dans cette région depuis de nombreuses années, nous avons donc d’excellentes relations avec les gouvernements comme avec les autorités infranationales et les communautés locales. Nous avons également un bon partenariat avec la Banque mondiale, la Banque Africaine de Développement et de nombreuses ONG. Notre rôle est de fournir un leadership, une vision et de créer une plateforme qui rassemble tous les acteurs du développement de la région. Le plan de soutien que nous avons préparé n’est pas une liste de projets. Ce serait une erreur de penser que vous pouvez transformer les économies en projets pilotes. Nous parlons d’intensifier les initiatives et les opportunités qui existent déjà et de créer les transformations nécessaires au niveau national.

Le développement ne sera pas réalisé par les étrangers, mais par les Sahéliens eux-mêmes. Je suis inspiré depuis longtemps par l’historien burkinabé Joseph Ki-Zerbo : « Nous ne développons pas les autres, nous nous développons ».     

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