Le nouveau visage du Sahel

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Le nouveau visage du Sahel

Des initiatives locales favorisent l’évolution des moyens de subsistance
Afrique Renouveau: 
Dried-up riverbed outside Ougadougou, Burkina Faso. Photo: UN Photo/Kay Muldoon
Photo: UN Photo/Kay Muldoon
Lit de fleuve asséché à l'extérieur de Ouagadougou au Burkina Faso.  Photo: ONU/Kay Muldoon

Les habitants  du Sahel bâtissent des réseaux et des collaborations qui les aideront à composer avec les défis de l'insécurité alimentaire et du changement climatique, dont sont victimes les régions les plus vulnérables de l'Afrique.

Le Sahel est une vaste région semi-aride de l'Afrique qui sépare le désert du Sahara au nord et les forêts tropicales et les savanes au sud ; il se caractérise par des conditions climatiques difficiles et des sécheresses périodiques. Si dans certains usages géographiques le Sahel peut s'étendre à la mer Rouge, à des fins politiques, le terme se réfère plus souvent aux pays du Sénégal, de la Mauritanie, du Mali, du Burkina Faso, du Niger et du Tchad.

Lors d'un sommet au Burkina Faso tenu à la mi-juin pour évaluer des stratégies permettant de  faire face au changement climatique, les présidents du Burkina Faso, du Mali et du Niger ont convenu de la nécessité d'une coopération plus large entre leurs pays.

« Par dessus tout », a déclaré le Président Roch Marc Christian Kaboré du Burkina Faso, « nous devons nous assurer de la participation des populations locales, car ce sont elles qui vivent chaque jour avec les tourments de la sécheresse et de la dégradation des sols et de l'eau. » 

Quelques jours avant le sommet, la société civile et les autorités religieuses  s'étaient réunis à Bamako au Mali, afin de promouvoir la tolérance religieuse dans les États du Sahel, déchirés par les conflits armés. Quelques jours plus tard, quelque 40 femmes parlementaires venant de l'ensemble du Sahel se sont réunies au Tchad pour promouvoir le leadership des femmes dans la prévention de l'extrémisme violent.

Pas seulement un conflit

Une grande partie de l'attention internationale dont le  Sahel a fait l'objet s'est concentrée sur l'insurrection armée et le terrorisme, observe Leonardo Villalón, coordinateur du Sahel Research Group à l'Université de Floride aux États-Unis. Mais, prévient-il, cette concentration est réduite  et souvent superficielle. Les préoccupations du Sahel sont aussi d'ordre environnemental, politique, démographique et économique. La sécurité dans la région est elle-même « étroitement liée à des dynamiques socioéconomiques plus larges ».

Avec la collaboration de plus de 40 autres experts d'Afrique, d'Europe et d'Amérique du Nord, le professeur Villalón rédige un livre sur les défis auxquels sont confrontés les pays du Sahel, The Oxford Handbook of the African Sahel, dont la publication est prévue par l'Oxford University Press du Royaume-Uni. Ce livre fournira  une analyse approfondie des nombreux facteurs qui façonnent la région aujourd'hui.

Sous tous les angles, les défis du Sahel apparaissent redoutables.

La région, fréquemment frappée par la sécheresse et l'insécurité alimentaire, devrait être l'une des régions les plus gravement touchées par le changement climatique mondial dans les années à venir. Avec jusqu'à 80 % de sa population vivant avec moins de 2 dollars par jour, la pauvreté est plus répandue dans le Sahel que dans la plupart des autres régions d'Afrique.

Le taux de croissance de la population du Sahel est également parmi les plus élevés au monde. Selon les experts, la population des six pays, environ 90 millions d'âmes, devrait atteindre 240 millions en 2050 — une augmentation rapide qui pourrait saper les efforts d'éducation, pousser au maximum de leurs capacités des services publics déjà limités et contraindre plus de jeunes au chômage. Le chômage touche déjà la moitié de tous les jeunes au Mali. Une telle situation, à son tour, contribue aux risques de violence et de crime.

La mauvaise gouvernance n'aide pas. La plupart des gouvernements du Sahel sont officiellement démocratiques, mais pour de nombreux citoyens ordinaires, les élections n'ont pas apporté d'améliorations tangibles, et la corruption et le favoritisme bureaucratique restent monnaie courante, observe Jean-Pierre Olivier de Sardan, qui enseigne en France et au Niger. Ces lacunes, dit-il, ont conduit à un « élargissement du fossé entre la classe privilégiée et la masse de la population ».

Reverdissement du Niger

Des améliorations des politiques agricoles officielles au Sahel ces dernières années ont contribué à une augmentation de la production, en particulier d'aliments  pour une population croissante. Toutefois, la plupart de ces réalisations reposent en grande partie sur les efforts de simples agriculteurs et éleveurs.

Les organisations de producteurs émergent au Sahel, note Renata Serra, économiste en développement à l'Université de Floride.

Depuis le milieu des années 1980, les agriculteurs des régions sud du pays protègent et gèrent au moins 200 millions d'arbres, selon Chris Reij du World Resources Institute à Washington. Des images satellite et des photos aériennes analysées par Gray Tappan et ses collègues de l'US Geological Survey montrent un reverdissement visible de larges zones, avec plus d'arbres et arbustes dans les zones à forte densité de population de Zinder et d'autres endroits.

Une expansion similaire de la couverture arborée a lieu dans certaines parties du Burkina Faso, du Mali et du Sénégal, mais  au Niger elle se produit à « une échelle spectaculaire et unique pour le Sahel et probablement unique pour l'Afrique », commente M. Reij.

À son tour, la végétation plus dense a augmenté les rendements et la diversité de la production agricole, générant un engagement fort chez les agriculteurs. Les programmes financés par des bailleurs ont contribué au phénomène de reverdissement. Le facteur le plus important, cependant, font valoir les chercheurs, a été l'apparition  de comités villageois visant à protéger et à gérer les arbres.

Les études sur les efforts de gestion des arbres par les agriculteurs indiquent que les femmes ont été particulièrement actives, en partie parce qu'elles en sont les premières bénéficiaires. Certaines variétés d'arbres produisent des fruits et des feuilles qu'elles peuvent vendre pour augmenter leurs  revenus , tandis que la plus grande disponibilité  d'arbres  permet de réduire le temps que passent les femmes à ramasser du bois de chauffage.

Dans la ville de Keita, dans le centre du Niger, les femmes plantent des « arbres pour la paix » comme lors de campagnes similaires menées par des environnementalistes kényanes, indique  le professeur Ousseina Alidou, une universitaire  du Niger qui enseigne à l'Université Rutgers dans le New Jersey aux États-Unis.

Elle note également que certains  groupes au Burkina Faso, au Niger et au Sénégal se battent pour l'égalité des sexes et « repoussent les limites » en ce qui concerne le statut des femmes dans le droit actuel de la famille. Ils plaident également pour l'adoption légale des enfants réfugiés et des orphelins, une innovation dans les pratiques juridiques islamiques locales.

Au Burkina Faso, au Sénégal et ailleurs dans le Sahel, les organisations de la société civile font également campagne contre des pratiques telles que les mutilations génitales féminines et le mariage des enfants.

L'engagement des citoyens

De même, la vie politique commence à refléter l'impact de la participation des citoyens. Au Burkina Faso et au Sénégal, les groupes de la société civile demeurent actifs, mettant sur pied des campagnes contre la corruption, pour une plus grande transparence dans les industries minières, pour de meilleurs services publics et  d'autres enjeux encore .

Les mobilisations citoyennes ailleurs dans le Sahel ont été plus sporadiques, mais malgré tout parfois notables.

Dans la lutte contre les menaces terroristes et la violence armée, tous les gouvernements du Sahel sont conscients du besoin de renforcer leurs forces de sécurité et de coopérer plus étroitement les uns avec les autres.

En février, les présidents du Groupe des cinq, également connu sous le nom de G5 Sahel (Burkina Faso, Tchad, Mali, Mauritanie et Niger) se sont engagés à renforcer la formation militaire conjointe, le partage de  renseignements et l'infrastructure logistique, ainsi qu'à former une force militaire conjointe contre le terrorisme et le trafic de drogue.

Dans certains pays, dont le Burkina Faso et le Sénégal, les officiers militaires tentent d'améliorer les relations avec les civils.

Les civils prennent également des initiatives pour contrer l'idéologie djihadiste. À Dori et Gorom-Gorom dans le grand nord du Burkina Faso, une association civile islamo-chrétienne organise régulièrement des dialogues interreligieux.

Toutefois, pour que ces efforts progressent vraiment, les gouvernements de la région doivent trouver d'autres moyens de  toucher  leurs propres citoyens, soutient Ahmedou Ould-Abdallah, président du Centre des stratégies pour  la sécurité au Sahel-Sahara, dont le siège est situé en Mauritanie.

Ils doivent tenir compte de « la demande populaire pour une meilleure gestion des économies africaines et des droits politiques », indique M. Ould-Abdallah, ancien représentant du Secrétaire général de l'ONU pour la Somalie, ajoutant « que demander  une meilleure gouvernance…moins de corruption, plus d'inclusion sociale, une meilleure professionnalisation de  forces de sécurité  moins tribalisées, ainsi que de bonnes politiques frontalières, tout cela contribuera à mieux combattre l'extrémisme violent ».  

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