L'Afrique à ciel ouvert

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L'Afrique à ciel ouvert

Les compagnies aériennes africaines doivent surmonter les obstacles pour devenir rentables
Franck Kuwonu
Afrique Renouveau: 
Travellers boarding a Kulula.com jet, South Africa’s first budget airline, at Durban International Airport. Photo: AMO/David Larsen
Photo : AMO/David Larsen
Des passagers embarquant à bord d’un avion de Kulula.com, à l’aéroport de Durban en Afrique du Sud. Photo : AMO/David Larsen

Depuis son installation en République Démocratique du Congo (RDC) il y a deux ans, Firmin Agossou a l'embarras du choix pour rentrer au Bénin. Employé à l'Est du pays dans la ville de Goma, il rentre souvent à Cotonou voir sa famille.

Le moyen le plus rapide serait d'aller de Goma à Kigali en voiture, puis de prendre le vol direct de 5 heures de Rwandair.

Il pourrait aussi prendre l'avion jusqu'à Kinshasa, puis prendre un autre vol avec ASKY, une compagnie ouest-africaine disposant d'un hub actif à Lomé au Togo. Il pourrait faire escale à Addis-Abeba mais le vol depuis Kigali lui éviterait de se retrouver bloqué à Lomé s'il venait à rater une correspondance.

 « La meilleure option est de prendre l'avion à Kigali. Simple et sans encombres », a-t-il affirmé.

Des milliers de passagers à l'instar de M. Agossou sont confrontés à des choix difficiles lorsqu'il s'agit de voyager d'une ville à une autre. S'il n'est plus nécessaire de transiter par l'Europe, les options demeurent limitées par des conditions de voyage pénibles : escales longues, tarifs excessifs, horaires incertains et services de mauvaise qualité. Autant de défis auxquels sont confrontés les transporteurs aériens qui tentent d'attirer des passagers et d'engranger des bénéfices.

L'Union africaine et l'Association internationale du transport aérien (IATA) exhortent ces pays à ouvrir leurs cieux à la concurrence. Les compagnies sont réfractaires à ce qu'elles considèrent comme des intrusions gouvernementales, de la bureaucratie, des taux d'imposition élevés et de l'ingérence politique.

Croissance à perte

L'an dernier, Ethiopian Airways, Kenya Airways et South African Airways, les trois plus grandes compagnies aériennes du continent, ont vendu deux-tiers des 9,2 million de sièges disponibles pour des vols en Afrique sub-saharienne. Le tiers restant a été réparti entre une douzaine de transporteurs plus petits, comme Arik Air au Nigeria, Air Mauritius ou RwandAir.

Un peu plus de « 10 millions de sièges ont été offerts en 2001 », déclare Heinrich Bofinger, économiste principal des transports à la Banque mondiale. «Ces chiffres ont plus que doublé en passant à 22,7 millions en 2015 ».

Selon l'IATA, le trafic aérien du continent connaîtra une augmentation moyenne de 5,1% par an au cours des 18 prochaines années, dépassant la moyenne mondiale estimée à 4,7%.

Pourtant, si les vols pour les grandes villes sont plus nombreux qu'il y a dix ans, la plupart des compagnies sont déficitaires en raison de la forte concurrence des compagnies du Golfe, de la Turquie et de l'Europe.

Parmi les trois grands transporteurs d'Afrique, seule Ethiopian Airlines a annoncé un résultat net positif l'année dernière. Kenya Airways et South African Airways ont subi des pertes. Au total, les compagnies aériennes africaines ont annoncé des pertes d'environ 700 millions de dollars en 2015 et de 800 millions de dollars en 2016, une tendance qui pourrait perdurer d'après l'IATA et l'Association des compagnies aériennes africaines (AFRAA)

Afin de rendre l'industrie rentable, les pays africains doivent libéraliser le trafic, selon l'IATA et l'Union africaine (UA).  Dès 1999, 44 pays ont convenu à Yamoussoukro, en Côte d'Ivoire (décision de Yamoussoukro) de dérèglementer les services aériens et de promouvoir l'ouverture des marchés régionaux à la concurrence transnationale. Depuis, la mise en œuvre de la décision a été lente et incohérente. Les experts reprochent souvent aux pays africains d'avoir signé davantage d'accords bilatéraux « ciel ouvert » avec des partenaires extérieurs qu'avec des partenaires africains.

Au fur et à mesure que la demande augmente, les pays se pressent de lancer ou relancer des opérateurs nationaux. « Certains pays veulent souvent avoir leur propre opérateur, question de fierté nationale », a déclaré M. Bofinger. Toutefois, l'histoire de l'aviation africaine démontre que les entreprises publiques ne sont guère durables sur le plan commercial.

Le Ghana, le Mali, le Nigeria et le Sénégal s'efforcent de créer des entreprises nationales viables. Faisant fi des expériences passées, certains ressortent d'anciennes stratégies.

Une classe moyenne montante ainsi que de nouvelles opportunités économiques ressuscitent les rêves d'une compagnie nationale.  La Côte d’Ivoire a relancé sa compagnie aérienne pour desservir l'Afrique de l'Ouest. L'Ouganda étudie les options, tandis que la compagnie Tanzania Air tente de résister aux turbulences.

L'IATA a prévenu que la protection de marchés petits, fragmentés et fermés pourrait empêcher le développement des services aériens et limiter leur contribution à la croissance économique. En parallèle, des experts exhortent les pays africains à créer davantage de compagnies aériennes low-cost.

D'après une étude de l'IATA en 2014, la libéralisation des espaces aériens entraînerait une amélioration des services et une baisse des prix, stimulant ainsi le trafic et les flux commerciaux.

« L'ouverture des frontières, l'abaissement des barrières et la mise en œuvre de l'accord « ciel ouvert » sont toujours favorables à l'industrie », a déclaré le Président Directeur Général de l'IATA, Alexandre de Juniac au journal Aviation & Allied Business Business. « Il y aura des gagnants et des perdants, mais l'effet sera bénéfique et stimulera le trafic ».

Cette impulsion pour la mise en œuvre de la décision de Yamoussoukro devrait inaugurer le marché unique africain de transport aérien (SAATM) en janvier 2018, avec 40 pays signataires. Jusqu'à présent, 20 pays africains, dont l'Éthiopie, le Kenya, le Nigeria et l'Afrique du Sud, s'engagent à mettre en œuvre cette politique.

Libertés

L'accord de Yamoussoukro servant d'argument d'autorité en faveur de la libéralisation, certaines compagnies, telles que Ethiopian Airlines ou Kenya Airways ont tenté d'imposer le droit de la cinquième liberté, qui, comme l'explique M. Bofinger dans une étude de 2017 pour la Banque mondiale et l'Université des Nations Unies « permet à un avion de desservir plusieurs destinations internationales au cours d'un même vol commercial". "Ce droit permet par exemple à un vol en provenance d'Addis Abeba, d'atterrir à Nairobi au Kenya, de débarquer puis d'embarquer des passagers avant de repartir pour Kilimandjaro en Tanzanie, de répéter l'opération, puis de s'envoler pour Dar es Salaam", explique M. Bofinger.

Selon M. Bofinger, le succès de sa mise en œuvre peut se mesurer au nombre d'aéroports internationaux desservis par des vols à destinations multiples. Les services en Afrique ont prospéré, les correspondances ayant considérablement augmenté.

Cependant, même si les cieux africains s'ouvraient à la concurrence, d'autres défis se dresseraient avant qu'ils ne soient rentables tels que la mauvaise qualité des infrastructures, les coûts élevés de fonctionnement et le manque de coopération entre compagnies aériennes.

« Comment pouvons-nous libéraliser les compagnies aériennes avec une surimposition fiscale ? » a questionné Elijah Chingosho, Secrétaire Général et Président Directeur Général de l'AFRAA, lors de la Conférence africaine de l'aviation de février à Kigali.

D'après l'AFRAA, les frais de transport aérien en Afrique sont deux à cinq fois supérieurs à la moyenne estimée à 25 dollars. Le carburant serait également 2,5 fois plus cher que dans d'autres régions.

« Si les [États] réduisent les charges et les impôts, la prospérité, les empois, le PIB et les échanges commerciaux qui en découleraient compenseraient largement cette perte" souligne M. de Juniac.

Girma Wake, PDG de RwandAir (ancien PDG de Ethiopian Airlines) a déclaré en mars que les gouvernements « devraient cesser leur ingérence  dans les affaires commerciales des compagnies ».

Les nominations politiques sans corrélation avec des compétences managériales avérées sont un problème récurrent pour les entreprises d'État, et nuisent à la plupart des compagnies aériennes nationales. Cependant, l'action du gouvernement la plus décriée et qui fausse la concurrence reste l'injection de fonds publics pour maintenir les compagnies en difficulté.

En novembre 2016, l'AFRAA a nommé Ethiopian Airlines meilleure compagnie aérienne d'Afrique pour la cinquième fois consécutive, reconnaissant sa coopération « exemplaire » avec d'autres transporteurs africains. Les succès de la compagnie aérienne semblent montrer la voie à suivre. Compagnie à capitaux entièrement publics, elle est dotée d'une équipe dirigeante indépendante et a entrepris un programme de développement ambitieux avec la création de hubs en Afrique de l'Est et de l'Ouest avec des partenaires régionaux.

D'autres compagnies aériennes telles que ASKY et RwandAir suivent son exemple avec des accords « ciel ouvert » et une concurrence loyale, et montrent que les compagnies aériennes africaines peuvent s'envoler vers la rentabilité. 

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