Zéro Ebola : Un parcours semé d’embûches

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Zéro Ebola : Un parcours semé d’embûches

La Guinée, le Libéria et la Sierra Leone restent vigilants malgré la baisse des infections
Kingsley Ighobor
Afrique Renouveau: 
Beatrice Yardolo, right, Liberia’s last Ebola patient, walks out of the Chinese Ebola Treatment Unit (ETU) in Monrovia, Liberia, at the beginning of a short ceremony celebrating her survival and release from the ETU on March 5. Photo: UNMEER/Simon Ruf
Photo: UNMEER/Simon Ruf
Béatrice, Yardolo, à droite, la dernière malade d’Ebola quittant un centre de traitement à Monrovia; Liberia, lors d’une courte célébration sa guérison et sa décharge, le 05 mars. Photo: UNMEER/Simon Ruf

Paolo Conteh, le chef du Centre national de réponse contre  l’Ebola, par ailleurs Ministre sierra-léonais de la défense, est un ancien athlète dont le record national du 400 m datant de 1982 reste encore à battre. Ces jours-ci, M. Conteh recourt souvent à une analogie sportive pour parler de la lutte contre la maladie à virus Ebola, une maladie qui a infecté 22 000 personnes et  a causé plus de  9 000 morts en Guinée, au Libéria et en Sierra Leone, les trois pays les plus affectés. En janvier dernier à la demande du modérateur lors d’un débat au cours d’un forum à Freetown, la capitale de la Sierra Leone, M. Conteh  faisait le point sur l’Ebola en ces termes.

« Imaginons, l’ancien sprinteur commença à dire, que nous sommes dans une course de 400 m et qu’il ne nous reste que 20 m à parcourir. Vous commencez déjà à ne plus sentir vos jambes et à manquer d’air. Les autres coureurs se rapprochent et sont sur le point de vous dépasser mais vous devez maintenir votre avance.  À ce moment, vous vous accrochez et vous puisez dans vos dernières réserves d’énergie. Vous devez tout faire pour être le premier à franchir la ligne d’arrivée. »

Quoique l’image ait fait rire l’audience dont faisait partie un groupe de 80 travailleurs sociaux engagés dans la mobilisation communautaire contre Ebola, le message était clair : la course contre Ebola ne peut  être gagnée en l’absence d’un effort ultime et vigoureux.

Baisse des infections

Sur le terrain, on a le  fort sentiment d’une victoire imminente dans les trois pays les plus affectés. Les  médecins , les traceurs de contact, les équipes funéraires,  les équipes de surveillance, les mobilisateurs sociaux, les logisticiens, et autres personnes engagées dans la lutte contre le virus sont très enthousiastes. Le nombre d’infections a considérablement baissé par rapport  aux derniers mois de l’année  2014. « Nous sommes passés d’une situation  où Ebola  était à nos trousses  à une situation où  c’est nous qui pourchassons Ebola », explique Amadu Kamara, l’ancien gestionnaire  de crise à la Mission des Nations Unies pour l’action d’urgence contre l’Ebola (MINUAUCE).

A la fin du mois de janvier 2015 le Centre de traitement de l’Union Africaine à Magbinthi, au nord de la Sierra Leone,  ne comptait que trois patients. « En raison du nombre réduit de patients atteints  d’Ebola, nous envisageons de commencer à traiter des patients atteints d’autres maladies que l’Ebola, » avait alors déclaré à Afrique Renouveau, le Docteur John Ssentanu, Coordonnateur du Centre. Le centre  s’était ainsi occupé de patients souffrant de maladies comme le paludisme ou la typhoïde avant la fermeture du dispensaire en février.

La baisse soudaine des infections est une bonne surprise. Les États-Unis, qui avaient envoyé quelque 2 800 troupes  au Libéria, ont annoncé à la mi-février que leurs troupes se retireraient au plus tard à la fin du mois d’avril 2015.  «Nous avons fléchi la courbe de l’épidémie et l’avons placée sur une meilleure trajectoire », dira un communiqué de la Maison-Blanche. 

Une tempête dans un verre d’eau

Pas  plus tard qu’en septembre 2014, les Centres de contrôle et de prévention  des maladies (CDC) des États-Unis prédisaient qu’il pourrait y avoir 1,4 million de cas d’Ebola en Afrique à la date du 20 janvier 2015. Comme il était prévu que le taux de mortalité pourrait atteindre 70%,  un million de personnes environ auraient pu mourir. Alors que certains  experts estiment  que ce scénario catastrophe était une tempête dans un verre d’eau parce qu’il ne s’appuyait  sur aucune analyse épidémiologique réelle, Martin Meltzer, le responsable de l’étude du CDC, souligne que les projections reposaient  « sur l’hypothèse qu’il n’y aurait pas d’interventions supplémentaires ni  de changements de comportements. Nous savions, ou plutôt nous espérions, que nos prévisions seraient fausses. »

Cependant, la baisse du nombre d’ infections présente des inconvénients. « Les solutions chlorées ont disparu des boutiques et des supermarchés . Les gens commencent à se  lasser et deviennent récalcitrants  » affirme Monte James, conseiller spécial du Président sierra-léonais, Ernest Koroma.

Alpha Condé, le Président guinéen appelle à la prudence: « C’est justement parce que les choses s’améliorent que nous devons rester vigilants pour parvenir à zéro cas, » et il ajoute qu’il faut se garder de tout excès de confiance. Les dirigeants  de la Guinée, du Libéria et de la Sierra Leone sont sur la corde raide car ils s’efforcent d’assurer  le retour de leurs pays à une vie normale tout en affirmant clairement  que la lutte contre Ebola n’est pas terminée.   

En novembre dernier, le Libéria a levé l’état d’urgence qu’il avait imposé au plus fort de l’épidémie et rouvert  les écoles à la mi-février. La Sierra Leone a assoupli les restrictions de voyage et les restrictions commerciales  et rouvert ses écoles en mars. Cependant, face à la récente flambée des nouveaux cas, le gouvernement a mis en alerte 25 hôpitaux publics avec de nouvelles unités de prévention et de contrôle  des infections (CPI) —une première nationale.

Vers zéro cas

« Zéro » est le mot à la mode dans les trois pays les plus affectés;  l’Organisation mondiale de la santé  (OMS) précise cependant qu’un pays n’est déclaré débarrassé  d’Ebola que s’il n’enregistre plus aucune infection et qu’aucun nouveau cas n’est déclaré dans les 42 jours qui suivent le moment où on arrive à zéro cas  enregistré.  En février 2015, lors d’un sommet extraordinaire de l’Union du fleuve Mano (UFM) – une organisation sous-régionale -  les Présidents Johnson Sirleaf du Libéria, Koroma de la Sierra Leone et Condé de la Guinée et un représentant  d’Alassane Ouattara, le Président de la Côte d’Ivoire, se sont  engagés à parvenir à zéro cas dans les 60 jours, ce qui signifiait qu’ils avaient jusqu’à la mi-avril. Ces responsables politiques espéraient bénéficier du soutien de partenaires étrangers, intensifier la mobilisation sociale et la surveillance, améliorer la coordination et fournir un soutien mental et psychosocial aux victimes.

Si à la mi-avril, ces pays parviennent à  zéro cas, le compte à rebours de 42 jours s’achèvera  à la fin du mois de mai. Dans ce cas, la Guinée, le Libéria et la Sierra Leone – et le monde entier peut-être- pourraient être débarrassés d’Ebola. 

Si se donner un objectif de 60 jours est le plus facile - y parvenir est bien  plus difficile. « Nous devons nous attendre à un parcours cahoteux  » a indiqué M. Kamara, l’ancien gestionnaire de crise à la MINUAUCE  en Sierra Leone. « La progression ne sera pas linéaire. Il y aura quelques surprises sur le chemin. »

Une conférence du Dr Daniel Kertesz, alors  représentant de l’OMS en Sierra Leone, confirme le pronostic de M. Kamara. Se fondant sur des épidémies antérieures à Gulu, en Ouganda et à Booué au Gabon, le Dr Kertesz avait affirmé que la toute dernière phase d’une flambée d’Ebola « pouvait ne pas se conclure de manière ordonnée et pouvait  durer deux à trois mois; ou repartir de zéro. » Pour Daniel Kertesz, il fallait se méfier de toute  baisse des infections, comme de toute hausse . « Nous ne contrôlons pas encore l’épidémie. Les cas récents démontrent que la flambée peut reprendre si  nous  perdons le contrôle de la chaîne de transmissions . »

Dimension sous-régionale

La course à l’infection zéro est également compliquée par la dimension sous-régionale d’Ebola. Saran Daraba Kaba, la secrétaire exécutive de l’UFM, a déclaré que l’on ne pouvait vaincre Ebola si on ne faisait pas face à  ses implications régionales. Pris ensemble, les pays de l’UFM comptent  45 millions d’habitants dont, d’après un rapport de l’organisation, 2,2 millions exercent  des activités transfrontalières telles que le commerce et les transports. En outre, les communautés frontalières entretiennent des liens socioéconomiques et culturels. « C’est ainsi », précise le rapport,
« que des cas suspects et confirmés (d’Ebola) aux frontières ont pu passer  les frontières par des  moyens de transports publics - voire à pied. »

L’UFM appelle ainsi ses états membres à réglementer  la manière dont  les malades, les dépouilles et les prélèvements de laboratoires passent les frontières. Conteh, le Ministre de la défense est du même avis que  l’Union du fleuve Mano; il ajoute même que si le Libéria parvient à  zéro cas et n’enregistre aucune nouvelle infection pendant 42 jours, le pays ne devrait pour autant s’estimer sorti d’affaires tant que la Guinée et la Sierra Leone ne seront pas dans la  même situation . On devrait traiter le virus comme « une seule épidémie présente sur plusieurs fronts », approuve M. Kamara.

Pendant ce temps,  chacun de ces pays a beau garder l’œil sur ce qui se passe chez son voisin, cela ne l’empêche pas de vanter les progrès accomplis. La Guinée, le Libéria et la Sierra Leone –le monde entier, en fait,–espèrent que très bientôt, chaque comté, chaque district et chaque pays sera débarrassé d’Ebola.