Pour financer le développement, il n’existe pas de solution toute faite

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Pour financer le développement, il n’existe pas de solution toute faite

Les pays choisiront les objectifs les mieux adaptés aux conditions locales
Afrique Renouveau: 
Par: 
Wu Hongbo, the UN Under-Secretary-General for Economic   and Social Development and the Secretary-General of the Financing for Development Conference.  UN Photo/Loey Felipe
Photo: UN Photo/Loey Felipe
Wu Hongbo, Secrétaire général adjoint des Nations Unies pour les affaires économiques et sociales et Secrétaire général de la Conférence sur le financement pour le développement. Photo: UN Photo/Loey Felipe
La troisième Conférence internationale des Nations Unies sur le financement du développement, à Addis-Abeba en Éthiopie, devrait aboutir à un accord définissant la manière dont la communauté internationale mobilisera les fonds pour soutenir les objectifs de développement durable (ODD). Dans le cadre d’un entretien accordé à Tim Wall d’Afrique Renouveau, Wu Hongbo, Secrétaire général adjoint au développement économique et social et Secrétaire général de la Conférence, nous fait part de ses attentes.

Afrique Renouveau : Les objectifs inscrits dans l’avant-projet de financement du développement, très nombreux et ambitieux, ne sont pas contraignants. Pourtant, ils portent tous sur des besoins dont nous connaissons l’importance. Quelle valeur ajoutée apporterait donc  un accord conclu à Addis-Abeba ?

M. Wu : Les États Membres des Nations Unies ont décidé d’organiser cette conférence avant le sommet de septembre à New York, où ils adopteront un programme de développement pour l’après-2015, qui mettra l’accent sur les objectifs de développement durable. La conférence d’Addis-Abeba vise à développer l’infrastructure financière nécessaire à la mise en œuvre de ce programme. Il existe trois attentes majeures concernant cette conférence. D’abord, le cadre de financement final doit être global, exhaustif  et ambitieux. Nous ne proposons pas de solutions pour un pays ou un groupe de pays, mais pour la totalité des 193 pays membres des Nations Unies, ce qui signifie qu’il n’existe pas de solution universelle. Ensuite, nous avons besoin de mesures et d’engagements politiques concrets de la part de tous les États Membres, afin de fournir les fonds nécessaires aux projets de développement durable. Enfin, nous avons besoin de solides mesures de suivi.

Les institutions financières multilatérales, notamment celles de Bretton Woods, sont-elles en mesure de jouer un rôle-clef dans la mise en œuvre du financement du développement ?

Le processus multilatéral a permis d’identifier cinq principales parties prenantes institutionnelles : le Groupe de la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et l’Organisation mondiale du commerce, ainsi que le Programme des Nations Unies pour le développement et la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement. L’une de mes priorités, qui est aussi celle du Secrétaire général des Nations Unies, est de mettre à contribution  ces institutions. Vous savez sans doute  que la Banque mondiale et le FMI ont organisé une rencontre au printemps (mars-avril), à laquelle a participé pour la première fois dans l’histoire des Nations Unies le Secrétaire général, qui a obtenu leur promesse de soutenir la conférence sur le financement du développement. J’ai le plaisir de vous annoncer que ces cinq institutions majeures se sont ralliées à notre cause. Leurs représentants se rendront à Addis-Abeba avec de nouvelles initiatives et des mesures concrètes. D’autres acteurs aujourd’hui très actifs aux niveaux régional et mondial, tels que les pays du groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), la Banque de développement des infrastructures en Asie, le Fonds  de la Route de la soie et la Banque asiatique de développement, apportent également leur soutien. Nous nous efforcerons de les mettre  tous à contribution  afin de parvenir à une vision commune et à la promesse de prendre toutes les mesures nécessaires à l’appui de la conférence d’Addis-Abeba.

Le document final de la première conférence sur le financement du développement, le Consensus de Monterrey, a porté sur le rôle du secteur privé dans le financement du développement, mais abordait principalement des objectifs déterminés. L’actuel projet de financement du développement diffère en ce qu’il fixe et exige un objectif subjectif et volontaire, en particulier dans des domaines tels que la durabilité des entreprises, la pérennité du financement , les investissements à caractere social, etc.

Êtes-vous d’accord avec cette analyse?

Je rejoins cette analyse. Nous savons depuis longtemps à quel point les financements privés sont importants, et le développement durable en a besoin. Les Nations Unies veulent définir le rôle du secteur et des investissements privés, car nous sommes confrontés à des défis sans précédent. Dans le passé, nous avions pour habitude de parler du développement d’un groupe de pays ou de la croissance économique seule. Nous allons désormais plus loin en parlant de croissance économique, de développement social et de protection de l’environnement, c’est-à-dire des trois aspects d’une seule et même question : la durabilité. Vous pouvez donc vous imaginer l’ampleur des ressources nécessaires pour financer  ce programme. Nous avons besoin de tous types de ressources financières : intérieures et internationales, publiques et privées.

Les ressources financières privées revêtent une très grande importance, mais la difficulté réside dans la manière de les mobiliser. Nous pensons que les politiques publiques occuperont une place centrale dans la création d’un contexte favorable aux niveaux national, régional et international. Étant également entendu que la quantité et la qualité des investissements privés, surtout dans l’infrastructure, sont toutes deux fondamentales. J’espère que l’accord d’Addis-Abeba aboutira à un nouveau cadre de financement impliquant un secteur privé qui pourra apporter une contribution significative au développement durable.

Depuis la conférence de Monterrey sur le financement du développement, il est également question de la coopération Sud-Sud. Comment la voyez-vous se préciser  pendant les discussions d’Addis-Abeba et au-delà ?

L’importance de la coopération Sud-Sud va grandissant. Depuis le Consensus de Monterrey, les coopérations triangulaire et Sud-Sud sont de nouveaux éléments importants au sein d’un système financier mondial en évolution. Nous encourageons vivement ce développement, dont nous pensons qu’il constitue, à bien des égards, un modèle pour tous les pays. Les programmes mis en place sont considérés efficients. Ils impliquent un transfert de technologie et de faibles frais généraux de personnel, ce qui signifie que peu d’argent est dépensé pour les experts, leurs voyages et hébergement, par rapport à l’argent effectivement  dépensé dans les pays hôtes.

Il convient toutefois de souligner que ce type d’aide mutuelle ne se substituera pas à la coopération Nord-Sud. L’aide publique au développement demeure essentielle. Les deux formats peuvent se compléter l’un l’autre. Mais la coopération Sud-Sud étant souvent perçue comme des pays pauvres en aidant d’autres, sa nature diffère de celle de la coopération Nord-Sud. Nous aimerions voir la coopération Sud-Sud jouer un rôle plus important dans le monde, comme nous encourageons les pays donateurs à en faire davantage, ou à tout le moins honorer leurs propres engagements.

Le célèbre plan Marshall a aidé l’Europe à se reconstruire, avec un financement à hauteur de 0,2 % du PIB des États-Unis. Au niveau mondial, le ratio du PIB alloué aux objectifs de développement durable est estimé à 2,3 ou 4 % et inclut des pays beaucoup moins prospères que les États-Unis ne l'étaient dans les années 1950. Les nouvelles exigences sont-elles susceptibles d’accabler les régions à faible revenu comme l’Afrique ?

Nous ne sommes plus dans les années 1950, et un plan Marshall ne saurait être bon pour l’avenir du développement durable. Nous essayons de mobiliser toutes les ressources possibles, internationales et intérieures, privées et publiques. En outre, nous devons encourager le transfert de technologie, les réformes fiscales, les efforts visant à juguler l’exode des capitaux illicites, la réduction des coûts de transfert de fonds et l’intensification du renforcement des capacités. Si nous mettons ces initiatives en œuvre avec succès, nous serons en mesure de répondre à nos besoins. Combien d’argent serait nécessaire ? Difficile de donner un chiffre ou une estimation, du fait des nombreuses incertitudes.

Ce qui est certain, en revanche, c’est que  les pays en développement sont nombreux à manquer de ressources. Il est cependant important de noter qu’au niveau national, les pays prennent en main  le financement du développement durable. Traditionnellement, tous les projets de développement économique ont été alimentés par les propres ressources du pays, mobilisées par les autorités nationales. C’est pourquoi les État Membres insistent sur l’appropriation des ressources locales. Dans bon nombre de cas, cependant, celles-ci sont insuffisantes. Les pays nécessitent des partenariats internationaux solides et efficaces. De leur côté, les autorités nationales doivent créer un contexte favorable au financement. C’est précisément la raison pour laquelle l’aide publique au développement est primordiale. De plus, tous les pays ne mettront pas en œuvre les 169 objectifs; c’est impossible, même pour les plus développés d’entre eux. Ils sélectionneront les objectifs les mieux adaptés à leurs conditions locales. La conférence d’Addis-Abeba offrira des recommandations qu’ils devront examiner et sélectionner.

Le projet des objectifs de développement durable indique que les cibles sont « idéales  », et qu'il revient à chaque gouvernement de fixer ses propres cibles  nationales pour répondre aux ambitions mondiales tout en tenant compte des spécificités  nationales. Cette réserve procure-t-elle la garantie que les pays pauvres pourront mettre en œuvre les objectifs de développement durable sans grever leur budget ?

Le programme de développement durable ne couvre pas uniquement une plus grande zone : il s’applique à tous les pays. Les plans sont souvent conçus pour certains pays ou groupes de pays, ou les visent en grande partie. Le défi, cette fois-ci, consiste à réunir tous les pays pour qu’ils élaborent ensemble un plan global adaptable à chaque situation individuelle. Malgré le principe d’universalité, la réalité est qu’on ne peut appliquer uniformément tous les objectifs de développement durable à tous les pays. Les États-Unis ou la Suisse, par exemple, ne mettraient pas en œuvre des objectifs identiques à ceux des pays les moins développés, puisqu’ils ont d’ores et déjà atteint certains de ces objectifs. J’insiste sur le fait qu’il nous faut tout d’abord changer l’état d’esprit des administrateurs publics. Ensuite, nous devons en finir avec le cloisonnement politique et économique au niveau des ministères. Lorsque nous commencerons à mettre en œuvre le programme de développement durable, les ministères devront changer la manière dont ils opèrent traditionnellement. Je leur conseille vivement, à eux et à leur gouvernement, d’appréhender notre collaboration de manière révolutionnaire et de réfléchir à la façon dont nous pouvons garantir la viabilité du développement durable.