La liberté passe par celle de l’esprit

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La liberté passe par celle de l’esprit

— Sam Kutesa
Masimba Tafirenyika
Afrique Renouveau: 
Sam Kahamba Kutesa, President of the United Nations General Assembly’s sixty-ninth session. Photo: Africa Section/Paddy Ilos
Photo: Africa Section/Paddy Ilos
Sam Kahamba Kutesa, Président de 69ième session de l’Assemblée générale des Nations Unies. Photo: Africa Section/Paddy Ilos
L’Assemblée générale des Nations Unies a proclamé la période 2015-2024 Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine. Masimba Tafirenyika d’Afrique Renouveau s’est entretenu avec le Président de la 69ème session de l’Assemblée générale, Sam Kutesa, qui est également le Ministre ougandais des Affaires étrangères, afin de déterminer pourquoi l’ONU est si préoccupée par la discrimination que subissent les personnes d’ascendance africaine. Voici quelques extraits de cet échange :

Afrique Renouveau : Lorsque nous parlons des personnes d’ascendance africaine, qui incluons-nous dans cette définition ? 

Sam Kutesa : Les personnes d’ascendance africaine sont des personnes dispersées partout dans le monde, venues d’Afrique ou partageant la même culture africaine. La traite négrière ou le colonialisme sont en grande partie à l’origine de cette dispersion. Ces Africains vivent principalement dans la diaspora.   

Pourquoi l’ONU va-t-elle leur consacrer toute une décennie  ?   

Cela s’explique par le fait que ces personnes, dispersées de par le monde en raison de l’esclavage, restent marginalisées et victimes de discrimination raciale. L’ONU a estimé que pour lutter contre le racisme et sensibiliser le monde à la discrimination raciale et à la marginalisation des personnes d’ascendance africaine, nous devons consacrer cette décennie à la découverte de moyens permettant de faire en sorte que la discrimination et le racisme soient considérés comme des fléaux.  Nous estimons  que cette décennie devrait attirer l’attention sur ces dangers.  L’ONU considère que nous sommes tous nés égaux. 

Le commerce des esclaves a pris fin il y a plus d’un siècle. Pourquoi  remuer des souvenirs si douloureux?   

Nous devons nous rappeler  ce passé douloureux parce que nous en subissons toujours les conséquences. Les conséquences de la discrimination et de la marginalisation qui ont découlé de l’esclavage sont encore monnaie courante dans le monde.  Il faut  que nous cherchions à les éliminer. Nous avons déjà élaboré des conventions qui traitent de ces fléaux – la Conférence mondiale de 2001 contre le racisme, par exemple, a reconnu ces conséquences. C’est pourquoi nous  consacrons toute une décennie à la mémoire  de ces maux.  Et permettez-moi de vous rappeler qu’il est important de s’en souvenir afin que cela ne se répète plus.  Nous nous souvenons de l’Holocauste, par exemple – ce n’est pas parce que ce n’était pas douloureux, c’était en fait  très douloureux, et il en est de même pour l’esclavage. Nous devons nous en souvenir afin de veiller à ce qu’il ne se reproduise plus.  Bien sûr, il est également important de savoir que l’esclavage continue de sévir dans certaines régions  du monde. Si vous ne condamnez pas ce qui se passait il y a cent ans, vous ne serez pas prêt à lutter contre ce qui se passe actuellement. La traite des personnes existe encore ; l’esclavage des Noirs existe encore dans des pays comme le Soudan.   

Certains font valoir que les victimes de l’esclavage devraient être dédommagées tout comme les victimes de l’Holocauste, dont vous venez de parler. Quelle est la position de l’ONU ?  

Il n’y a pas de position de l’ONU ; mais des positions nationales. Les juridictions judiciaires de certains pays admettent que les gens devraient bénéficier d’indemnisations. Mais jusqu’ici, l’ONU n’a pas envisagé d’adopter une résolution sur les indemnisations. Toutefois, l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme des Nations Unies, évoque le droit de toute personne à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux de la personne. Vous devez vous adresser aux  juridictions nationales pour pouvoir demander réparation. Là encore, d’autres facteurs entrent en jeu; Je sais qu’il existe des pays qui ont compliqué la demande de réparation parce que ces demandes pourraient être phénoménales.  La meilleure solution serait sans doute de faire en sorte de mettre un terme définitif à la discrimination et la marginalisation. C’est la solution la plus prometteuse pour remédier à ce problème. Ces réparations dépendront des juridictions et de la législation en vigueur dans les pays.   

Même de nos jours - vous avez donné l’exemple du Soudan - il existe des pays, dont le Niger et la Mauritanie, qui pratiquent encore l’esclavage.  Que fait l’ONU pour mettre fin à l’esclavage des temps modernes ? 

Nous devons les condamner. Nous devons les mettre à l’écart. Nous devons les pénaliser parce qu’ils violent des droits  de l’homme fondamentaux. Nous devons le faire aussi bien  au niveau de l’ONU qu’au niveau des organisations régionales pour faire en sorte de mettre fin à l’esclavage parce que là où il y a esclavage il y a marginalisation, trafic et sous-paiement des hommes.  

Pensez-vous que cela puisse se produire ?

Oui, des mesures sont prises afin d’isoler ces pays et les dénoncer publiquement  afin de mettre un terme à cette pratique.     

Des études ont montré que les personnes d’ascendance africaine ont un accès limité à des services tels que l’éducation et la santé. Quelle est la meilleure façon de s’attaquer à ces inégalités ? 

L’arme la plus puissante au  monde est l’éducation. Si nous pouvons leur garantir l’accès à l’éducation et aux compétences, alors ils deviendront employables et pourront mener leur vie plus librement et éduquer également leurs enfants. Nous devrions exhorter tous les États où vivent des personnes d’ascendance africaine  à leur donner l’accès à l’éducation parce qu’elle constitue la meilleure  solution .  

Que diriez-vous d’une application stricte de certaines des lois anti-discrimination adoptées par des gouvernements nationaux ? 

C’est un élément également très important. Mais je dis oui, même lorsque vous n’êtes pas victime de discrimination, si vous ne disposez pas des outils nécessaires, si vous n’avez pas les compétences appropriées, si vous n’avez  pas la formation nécessaire, vous restez inemployable et demeurez incapable de jouir des  droits auxquels vous auriez pu autrement avoir accès. Donc, leur premier combat consiste à avoir accès à une bonne éducation. Si vous souhaitez libérer votre corps, libérez votre esprit. 

Le Ghana a adopté la loi relative au  « droit de résidence » qui accorde aux personnes d’ascendance africaine le droit de vivre et de travailler au Ghana. Qu’avez-vous à dire  à ce sujet ? 

D’autres pays devraient s’en inspirer. Certaines personnes de la diaspora ont acquis des compétences qui pourraient être utiles aux pays africains. Certaines disposent de ressources à investir. Je pense également qu’il est culturellement et moralement correct de leur donner un point d’ancrage à leur patrimoine culturel. Je ne sais pas si vous vous souvenez du livre Racines, qui retrace les origines des Africains de la diaspora.  L’Union africaine a déjà adopté une résolution qui a divisé l’Afrique en cinq régions, la diaspora étant la sixième .    

L’une des citations les plus célèbres de Martin Luther King Jr. concerne le rêve qu’il a qu’un jour, ses enfants vivront  dans une nation où ils ne seront pas jugés pour  la couleur de leur peau, mais pour leur caractère.   Son rêve pourra-t-il un jour se réaliser ? 

Tout d’abord, avant même la proclamation de la Décennie des personnes d’ascendance africaine, beaucoup  de choses ont changé depuis 1963 lorsque Martin Luther King a parlé de son rêve. Le racisme recule. Les gens sont plus que jamais jugés selon leur mérite.  Les Noirs occupent certains des postes les plus importants au  monde,  y compris la présidence des États-Unis. Martin Luther King l’avait vu en songe. Certes, la ségrégation et la marginalisation persistent, et comme je l’ai dit, nous devons lutter contre ces fléaux sociaux, mais il y a eu des progrès depuis 1963. Le fait même qu’il ait nourri ce rêve a permis d’essayer de le réaliser.  Et tant de choses se sont accomplies depuis lors.  Cette Décennie des personnes d’ascendance africaine devrait permettre de sensibiliser d’autres personnes et d’entamer un dialogue jusqu’à ce que ce rêve s’accomplisse  pleinement.