L’Afrique peut-elle gérer sa dette souveraine ?

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L’Afrique peut-elle gérer sa dette souveraine ?

Les analystes mettent en garde contre une accumulation excessive
Masimba Tafirenyika
Afrique Renouveau: 
Miners in a lift cage at the Chambishi copper mine in Kitwe, Zambia. Photo: Panos/Sven Torfinn
Photo: Panos/Sven Torfinn
Des mineurs dans la cage d’un ascenseur dans la mine de cuivre de Chambisi à Kitwe, Zambie. Photo: Panos/Sven Torfinn

« L’an dernier, lorsque l’Ouganda a annulé son projet de collecte de fonds par émission de titres libellés en dollars, certains experts ont jugé la décision et le moment inopportuns en une période où les taux d’intérêt sur les marchés de capitaux mondiaux connaissaient une chute drastique. En y renonçant, le pays a résisté à une tendance, progressivement transformée en vente effrénée d’obligations en Afrique, une alternative permettant de financer des infrastructures essentielles le plus aisément possible. En y renonçant, l’Ouganda a également conseillé aux autres pays africains d’éviter des dettes en dollars qui, mal gérées, pourraient devenir un fardeau.

Un récent rapport de l’Overseas Development Institute (ODI) basé au Royaume-Uni, sur les obligations souveraines en Afrique subsaharienne révèle que la région enregistre une hausse considérable de ses emprunts à travers la vente d’obligations qui est passée de 6 milliards de dollars en 2012 à un niveau record de 11 milliards de dollars en 2014. Cette année, plusieurs autres pays devraient faire leur entrée sur le marché des obligations souveraines, qui sont des titres de créance émis par un pays et généralement libellés en devises étrangères. 

Les perspectives économiques actuelles offrent à l’Afrique subsaharienne une chance de développer les infrastructures à moindre coût. Malgré des appréhensions liées à la baisse des prix des matières premières, plus particulièrement le pétrole, l’Afrique occupe toujours le deuxième rang au classement des régions à plus forte croissance du monde, après l’Asie.

Le marasme économique des autres économies du monde a provoqué un vif intérêt des investisseurs  pour les dettes à rendement plus élevé en dehors des marchés traditionnels d’Europe et des États-Unis. La récession y a entraîné dans les pays riches une forte chute des taux d’intérêt – voire négative dans d’autres, les investisseurs sont à la recherche des projets rentables dans les pays en développement, notamment en Afrique, où la croissance a été de 5% en moyenne par an au cours de la dernière décennie.

Il y a dix ans, les pays africains étaient incapables de lever des fonds grâce à la vente d’obligations car leurs économies étaient jugées trop incertaines par les investisseurs internationaux. Aujourd’hui cependant, la quête d’investissements rentables se nourrit d’un récit optimiste sur les  perspectives économiques de l’Afrique baptisé « Africa Rising », soutenu  par les prix élevés des matières premières, des politiques économiques saines et une meilleure gouvernance. En conséquence, et pour la première fois, plusieurs pays africains ont été habilités à lever des fonds en émettant des obligations.  

En dehors de l’Afrique du Sud, le premier à s’y essayer a été les Seychelles en 2006. Il a été rapidement suivi par le Ghana qui a collecté 750 millions de dollars en 2007, puis par plusieurs autres pays dont  la Côte d’Ivoire, le Nigéria, le Rwanda, la Namibie, la Zambie et, plus récemment, par les novices en matière d’émission avec en tête l’Éthiopie et le Kenya, qui en 2014 ont récolté 1,5 milliard de dollars et 2 milliards de dollars, respectivement. 

Malgré les perspectives économiques actuelles jugées favorables pour l’Afrique,  la dette du continent pourrait poser d’énormes défis face aux vents contraires qui agitent l’économie. En pâtiraient le plus, ceux qui ont profité de la faiblesse des taux d’intérêt en émettant des obligations. Les craintes de l’Ouganda pourraient alors se réaliser. 

Déjà, la baisse des prix de l’or et du cacao, la hausse des déficits commerciaux et budgétaires et une dette croissante ont forcé le Ghana à conclure un accord avec le FMI en février pour un prêt d’un milliard de dollars. Ces fonds devraient consolider une économie aux prises avec des niveaux d’endettement insoutenables équivalant à plus de 60 % du produit intérieur brut. Les malheurs du Ghana révèlent les risques associés à l’emprunt en dollars, mais l’accord avec le FMI devrait restaurer la confiance des investisseurs dans une économie qui  naguère  était l’une des économies les plus prospères d’Afrique.  

La Zambie a également entamé des négociations avec le FMI en vue d’un  prêt après avoir été éprouvée par la baisse des prix du cuivre, sa  principale exportation, qui représente plus des deux tiers du montant total des recettes d’exportation. De surcroît,  la Zambie avait commis l’imprudence de consacrer une grande partie de l’argent aux augmentations de salaires de ses fonctionnaires. Selon l’ODI, le Mozambique a emprunté 850 millions de dollars pour son industrie de la pêche  mais   consacré cet argent à des équipements militaires. 

Pas mauvais en soi 

Malgré les réticences de l’Ouganda, encourir une dette ne constitue pas une mauvaise politique en soi ; ce qui compte  c’est la façon dont les fonds sont dépensés. La plupart des pays africains qui ont collecté des fonds à partir d’obligations souveraines s’en sont servis pour financer des infrastructures telles que le transport et l’énergie. C’est le cas de l’Éthiopie, du Rwanda, du Nigéria, du Sénégal et de la Zambie. D’autres pays, à l’instar de la Côte d’Ivoire et de la Zambie, ont utilisé l’argent pour les dépenses courantes liées au développement telles que la santé et ‘éducation. 

Les emprunts obligataires de l’État offrent une source alternative de financement; l’argent n’est pas soumis aux conditions généralement liées aux prêts accordés par des pays riches ou des organisations multilatérales; les infrastructures essentielles peuvent être financées à des taux avantageux engendrés par les politiques monétaires accommodantes que mènent les pays développés; et les obligations comportent des conditions moins strictes avec des délais raisonnables de remboursement. 

Les risques  

Toutefois, la dette contractée ainsi est une arme à double tranchant. Afin d’attirer des investisseurs internationaux, la dette est émise en devises  étrangères, généralement en dollars ou en euros. Cela  expose la dette au risque de change chaque fois que  la valeur du dollar ou de l’euro augmente. Si les taux de change subissent le contrecoup de la  remontée du dollar, l’ODI estime que l’Afrique subsaharienne  pourrait perdre plus de 10 milliards de dollars, soit 1,1 % de son PIB,  à cause du service de la dette contractée en 2013 et 2014. En outre, les dettes peuvent déstabiliser les économies si les investisseurs décident de limiter  leur risque, souligne l’ODI. 

Compte tenu des risques potentiels liés aux obligations, l’enthousiasme actuel a incité les analystes à  remettre en question le bien-fondé du cumul d’une dette libellée en dollars. Un ralentissement  de l’économie mondiale ou  une volatilité des marchés pourraient avoir un effet négatif sur la dette africaine, comme en
témoignent l’épidémie d’Ébola, la chute des prix du pétrole ainsi que la possibilité que la Réserve fédérale des États-Unis  mettre fin à l’ère des taux d’intérêt extrêmement bas. Des pays comme  l’Angola et le Nigéria, par exemple, dont la croissance dépend fortement des revenus du pétrole, en ressentent déjà les effets. 

Grâce aux mesures antérieures qui ont permis de rééchelonner ou d’annuler la dette de l’Afrique, à une forte croissance économique et à des taux d’intérêt concessionnels, le poids actuel de la dette de l’Afrique reste gérable et relativement faible par rapport à la robustesse de ses économies. Par conséquent, le moment n’est pas encore critique  pour les débiteurs africains qui ont profité des faibles taux d’intérêt actuels et des conditions favorables du  marché  pour émettre des obligations. L’utilisation parcimonieuse des fonds empruntés soutenus par des politiques économiques saines leur permettra de traverser la tempête engendrée par la baisse des prix des matières premières  et les hausses futures des taux d’intérêt.

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