Des milliards pour sauver des systèmes de santé à bout de souffle

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Des milliards pour sauver des systèmes de santé à bout de souffle

Les pays les plus touchés par Ebola sont à la recherche de financements pour leurs hôpitaux
Kingsley Ighobor
Afrique Renouveau: 
Health workers clean hospital scrubs and protective gear at the Island Clinic for Ebola treatment centre in Monrovia, Liberia, during the 2014 Ebola outbreak.   USAID/Morgana Wingard
USAID/Morgana Wingard
Des agents de santé nettoient des combinaisons de protection dans un centre de traitement d’Ebola à Monrovia lors de l’épidémie de 2014. USAID/Morgana Wingard

Le 10 mai 2015, au lendemain de la déclaration par l'Organisation mondiale de la Santé de la fin de l'épidémie d'Ebola au Libéria, des responsables de la santé à la mine grave tenaient des réunions marathon dans différentes salles au ministère de la santé du pays. Leur humeur sérieuse contrastait avec l'ambiance de fête observée dans les rues de la capitale, Monrovia.

Le ministre de la Santé nouvellement nommé, Bernice Dahn, l'ancien chef du service médical du Libéria, a déclaré à Afrique Renouveau  que le système de santé du Libéria continuait de faire face à d'énormes difficultés et que son personnel s’efforçait par tous les moyens  de finaliser un plan devant permettre d'éviter une autre catastrophe.

Pour redresser le système de santé mal en point du Libéria, le Dr Dahn a une longue liste de solutions qu'elle souhaite voir appliquer. Celles-ci comprennent notamment la construction de nouveaux établissements de santé, l'amélioration des services de diagnostic, une structure de préparation et réponse aux situations d'urgence, le recrutement de personnels qualifiés pour travailler dans les établissements de santé et l'engagement de plus de fonds dans le secteur. « Notre infrastructure de soins de santé n'a pas été construite pour intervenir en cas d’éclosion de maladies infectieuses », a expliqué le ministre. Avant Ebola, par exemple, le Libéria avait un déficit important de personnel médical - seulement une cinquantaine de médecins, soit environ un médecin pour 100 000 personnes.

« Avant Ebola, il nous fallait environ 20 millions de dollars de médicaments par an, mais nous ne recevions que  2 millions de dollars », a déclaré le Dr Dahn. Le Libéria a actuellement besoin de plus de 30 millions de dollars chaque année pour rénover son système de santé et le ministre espère que l'assimilation des enseignements tirés d'Ebola, permettra aux  futurs budgets alloués à la santé de ne pas subir les effets  de la « sous-budgétisation » comme c’était auparavant le cas .

Un autre plan Marshall

Le Libéria, la Sierra Leone et la Guinée, les pays les plus touchés par le virus Ebola, partagent des frontières, mais, dans une large mesure, ont aussi en commun les mêmes infrastructures dysfonctionnelles de soins de santé. Maintenant que le Libéria est libéré du virus et que la Sierra Leone et la Guinée sont sur le point de l'éradiquer, les Présidents Ellen Johnson Sirleaf du Libéria, Ernest Bai Koroma de la Sierra Leone et Alpha Condé de la Guinée sollicitent conjointement une aide financière internationale pour réorganiser l'infrastructure sanitaire et rétablir les services sociaux dans leurs pays. Leur message central est que des soins de santé de qualité rendent possible le développement socioéconomique.

Les trois présidents font équipe dans différents forums pour plaider en faveur de financements plus conséquents des soins de santé. Le Président Johnson Sirleaf a annoncé, lors d'une réunion à Washington qu'un « Plan Marshall » de 8 milliards de dollars était nécessaire, en allusion à l'énorme effort international qui avait permis de reconstruire l'Europe après la Seconde Guerre mondiale.

Pourquoi un Plan Marshall ? Selon les précisions apportées par le Président Condé : « Le plan Marshall a été le produit  d'une guerre. L'Ebola a été l’équivalent d'une guerre pour nos pays. L'objectif est de mettre en place des systèmes de prestation de soins de santé suffisamment solides pour absorber les chocs de toute future épidémie.

Le Plan Marshall du trio affecte 4 milliards de dollars sur les 8 à la construction d'un programme de relance sous-régional. Des fonds supplémentaires seront consacrés au renforcement des  systèmes de santé et les soins de première intention, et iront à des secteurs comme l'agriculture, l'éducation, l'énergie, les routes, l'eau et l'assainissement. Le plan prévoit également la création d'un système de surveillance des maladies en Afrique de l'Ouest.

Une abondance d'offres

Prenant la parole à la réunion de Washington, le Secrétaire général de l'ONU a soutenu ce plan, mais a mis en garde : « Le redressement complet des pays touchés par le virus Ebola ne sera possible qu'une fois l'épidémie terminée et que des mesures auront été prises pour prévenir le retour de la maladie.

Les trois dirigeants ont déjà pris un bon départ. En avril, la Banque mondiale a annoncé un programme de soutien à hauteur de 650 millions de dollars. Auparavant, elle avait engagé près de 1 milliard de dollars pour les efforts d'intervention et de relèvement  et avait également annoncé un allègement de la dette de 2,17 milliards, ce qui permettra aux trois pays d'économiser environ 75 millions de dollars par an. L'Union européenne estime sa contribution financière à ce jour à environ 1,37 milliard de dollars. D'autres pays et organisations ont promis des montants divers.

En outre, « le financement est déjà à la disposition des partenaires d’exécution  », a déclaré la ministre de la Santé du Libéria, ajoutant que le défi pourrait consister à « obtenir d'eux qu'ils coordonnent mieux les fonds, qu'ils déclarent les sommes utilisées, le solde dont ils disposent et l'utilisation qui peut en être faite  ».

Relations tendues

Le ministre de la Santé de la Sierra Leone, le Dr Abubakarr Fofanah, a invité les partenaires internationaux à se montrer plus transparents dans leurs opérations. « Je détiens une lettre adressée à la Banque mondiale par le Service de la vérification des comptes  de la Sierra Leone », a déclaré le Dr Fofanah, qui affirme que 30 % des fonds internes destinés à la lutte contre l'Ebola n'ont pas été comptabilisés correctement. Les Présidents Condé et Koroma, avaient tous deux demandé qu'il soit rendu compte de l'utilisation des fonds Ebola reçus par les organisations non gouvernementales internationales. Des déclarations comme celles-ci émanant de hauts fonctionnaires du gouvernement traduisent un malaise dans la relation entre les gouvernements et leurs partenaires internationaux. Le Dr Dahn a évoqué les différences de points de vue qui existent entre son gouvernement et les donateurs  concernant la façon d'utiliser le reste des ressources destinées à l'Ebola au Libéria etappelé les donateurs à envisager l'intervention contre l'Ebola dans un contexte plus large. « La restauration immédiate des soins de santé constitue aussi une urgence : Les enfants n'ont pas été vaccinés pendant l'épidémie Ebola. Les femmes n'ont  pas eu accès aux services de santé maternelle de base - il s'agit donc pratiquement  d'urgences ». Certains experts de la santé maintiennent que  l'épidémie ayant pris fin au Libéria et les soins étant surabondants  en Sierra Leone et en Guinée, il serait possible d'exploiter  les ressources et les installations d'Ebola non utilisées  à d'autres fins.

Parmi les exemples d'infrastructures physiques construites par des donateurs et pouvant soutenir les systèmes de santé dans ces pays, on compte  11 unités de traitement construites par le Gouvernement américain au Libéria, le centre de traitement d'une capacité de 50 lits construit par les Britanniques en Sierra Leone, les trois dispensaires créés par le Gouvernement français en Guinée, ainsi que les établissements sanitaires mis en place par le Comité international de la Croix-Rouge, le Gouvernement chinois, l'Union africaine et d'autres organisations humanitaires dans les trois pays. Bien que les présidents des trois pays les plus touchés soient unis dans leurs appels, la Banque mondiale note qu'il existe des différences dans la situation économique de chacun de leurs pays. La Banque a indiqué en début d'année que l'économie de la Sierra Leone se contractera à un taux sans précédent de -23,5 % en 2015 alors qu'avant l'Ebola la croissance était de 15,2 %, ce qui constitue en effet une récession ; l'économie du Libéria va croître de 3 % contre  6,8 % avant l'Ebola; et celle de la Guinée reculera de -0,2 % par rapport à 4,3 % avant l'Ebola.

Pertes subies

En outre, ces trois pays ont subi des baisses importantes de leurs PIB. Les pertes totales de PIB pour les trois pays ont été estimées par la Banque Mondiale à 2,2 milliards de dollars : 1,4 milliard pour la Sierra Leone, 535 millions pour la Guinée et 240 millions pour le Libéria.

Malgré  la morosité engendrée par l'Ebola, on espère que les améliorations nécessaires de longue date vont enfin se matérialiser

Il est clair que la communauté internationale examine sérieusement ces besoins financiers en matière d'infrastructures. L'épidémie d'Ebola a démontré  l'urgence de mettre en place  des systèmes de soins de santé de qualité; par ailleurs, les nouveaux objectifs de développement durable (ODD) , qui remplaceront les Objectifs du Millénaire pour le développement d'ici la fin de l'année, donnent une impulsion supplémentaire  l'objectif 3  étant « de donner aux individus les moyens de vivre une vie saine et promouvoir le bien-être de  tous à tous les âges. »

 « Nous avons été nombreux à admettre  que la communauté internationale avait tardé à réagir face à Ebola », a souligné le président de la Banque mondiale. « Montrons que nous avons appris la leçon. »