Cellule de crise des femmes : nouvelle approche pour réduire les violences électorales

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Cellule de crise des femmes : nouvelle approche pour réduire les violences électorales

Une intervention novatrice au Kenya recourt à la force des femmes pour protéger les électeurs et maintenir la paix en temps réel, avant et après le jour du vote
Afrique Renouveau: 
Women leaders and representatives of Kenya’s electoral body, the police and the UN sit at the Women’s Situation Room in Nairobi, Kenya that used diplomacy to help reduce  electoral violence during Kenya’s last general elections. Photo: Joseph Mathenge
Photo: Joseph Mathenge
Des responsables femmes et des représentants de la commission électorale kenyane, de la police et des Nations Unies ensemble dans la cellule de crise à Nairobi. Photo: Joseph Mathenge

Dans la majorité des pays africains, les cycles électoraux sont bien trop souvent entachés de violences déclenchées par des tensions politiques ou ethniques, ou encore par un processus électoral irrégulier, et dont les femmes sont tragiquement les principales victimes. Les gouvernements se heurtant au problème, des Africaines ont mis au point un mécanisme de réduction des violences en période électorale : le Centre de crise des femmes. 

Le Centre de crise est un projet de consolidation de la paix qui octroie aux femmes un rôle prépondérant pour la tenue d’élections démocratiques et pacifiques. Le concept a été introduit pour la première fois par Yvette Chesson-Wureh, coordinatrice de l’Angie Brooks International Centre au Libéria, une ONG œuvrant pour l’autonomisation des femmes. 

« Il s’agit d’un processus  progressif qui consiste à travailler en temps réel avec les communautés, en militant, en arbitrant et en intervenant en cas de situation électorale violente ou tendue dans les pays où elle est employée », indique Mme Chesson-Wureh. 

D’abord utilisée lors des élections libériennes de 2011, la méthode a été reproduite avec succès au Kenya, au Sénégal et en Sierra Leone. On envisage également de l’utiliser cette année pour les élections au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Nigéria et au Togo. Selon les organisatrices du Centre de situation, les conditions peuvent varier d’un pays à un autre, si bien que la méthode peut être adaptée. 

Du fait de son efficacité avérée dans la prévention et l’atténuation des violences électorales au Libéria, le Centre de crise a été adopté en tant que meilleure pratique en Afrique lors du sommet de l’Union africaine de janvier 2012. 

Le Centre de crise à l’œuvre 

Depuis l’apparition du multipartisme en 1991, les élections kényanes sont marquées par la violence. Toutefois, les violences postélectorales de 2007 ont été les pires que le Kenya ait connues, touchant six des huit provinces du pays. Plus de 1 500 personnes y ont trouvé la mort et 600 000 autres ont été contraintes de fuir, selon la Commission d’enquête sur les violences postélectorales, créée par le gouvernement afin d’en comprendre les causes, d’analyser le comportement des organes de sécurité et de formuler des recommandations. Ces violences ont incité les militants à proposer diverses initiatives pouvant garantir un processus électoral pacifique pendant la phase préparatoire des élections de mars 2013. Le Centre de crise ayant démontré son efficacité dans d’autres pays d’Afrique, il faisait partie des initiatives retenues. 

Grâce au soutien technique de Angie Brooks International Centre et au financement d’ONU-Femmes et du PNUD, le Centre de crise vit le jour au Kenya. Sa structure était simple : un secrétariat, des observateurs électoraux, un centre d’appel, une équipe d’éminentes dirigeantes et un groupe d’experts. Depuis ses bureaux de Nairobi,  la capitale, le secrétariat organisait les activités quotidiennes du Centre de crise et élaborait les stratégies mises en œuvre avant, pendant et après les élections de 2013.     

Cinq cents femmes et jeunes gens ont reçu une formation d’observateur électoral spécial avant de rejoindre les zones jugées potentiellement sensibles, notamment Nairobi, Naivasha et Mombasa. Au moyen d’un numéro de téléphone gratuit et bien diffusé, les observateurs électoraux signalaient au Centre de crise tous les actes de violence ou menaces à la paix dans le pays. 

Au Centre de situation, une équipe de dirigeantes kényanes et de personnalités provenant d’autres pays africains s’asseyaient dans un coin. Dans une autre pièce, les opérateurs téléphoniques répondaient aux appels des observateurs électoraux déployés dans le pays pour surveiller les zones sensibles. Les opérateurs enregistraient l’heure et la nature des appels, puis transmettaient l’information à des experts en droit, en médias et en science politique. 

Les trois experts techniques vérifiaient et analysaient alors l’information avant de la soumettre à une équipe de dirigeantes kényanes exerçant  une influence sur les responsables politiques locaux. Ces  Kényanes étaient secondées par leurs homologues de la région. Le seul homme de l’équipe était un important patron de presse kényan qui avait  aidé à mobiliser les médias. Étaient également présents de prestigieux représentants des services de police kényans et de l’Independent Electoral and Boundaries Commission (IEBC), l’organisme chargé de la gestion des élections au Kenya. 

Lorsqu’une situation de trouble réel ou potentiel était signalée sur le terrain, les personnalités éminentes usaient de leur statut et de leur influence auprès de la police, de l’organe électoral ou des dirigeants politiques, afin d’apaiser les  tensions ou de maîtriser les actes de violence. Elles ont en outre mené une diplomatie de l’ombre, ainsi qu’un arbitrage et une médiation entre les groupes rivaux et les partis politiques. Pendant ce temps, au sein même du Centre de situation, les visiteurs rédigeaient des messages de paix et inscrivaient leur nom sur un morceau de tissu blanc symbolisant leur soutien à un scrutin pacifique. 

Des solutions en temps réel 

À l’issue du processus d’observation, le Centre de crise avait enregistré plus de 1 200 rapports, reçus et réglés en temps réel. Parmi les incidents recensés : des plaintes liées au vote, des violences sexistes, des fraudes électorales et des entraves à l’action des observateurs. Après l’annonce des résultats, des cas de violences spontanées étaient également signalés. 

À un moment donné, des tensions se sont fait ressentir dans tout le pays lorsque l’IEBC a retardé l’annonce des résultats. Le Centre de situation, par l’entremise de l’équipe de personnalités éminentes, est parvenu à joindre la commission électorale pour accélérer le processus. L’équipe a également su persuader les deux principaux candidats de lancer un appel à la non-violence. Finalement, l’importance du travail du Centre de crise a été reconnue par les diverses parties concernées par l’élection kényane. 

« Les femmes sont généralement les victimes des violences électorales et sont rarement impliquées dans l’observation ou l’atténuation de ces violences. En matière d’observation en temps réel, le Centre de crise a rencontré un franc succès », a déclaré Deborah Okumu, la directrice exécutive du Caucus for Women’s Leadership, un réseau national œuvrant pour l’accès des femmes aux responsabilités. « Les excellentes interventions de l’équipe de personnalités éminentes ont permis d’apaiser les situations. » 

Parmi les importantes personnalités, les diplomates et les observateurs électoraux ayant visité les bureaux du Centre de situation, on notait la présence de Nkosazana Dlamini-Zuma,  présidente de la Commission de l’Union africaine, ainsi que de l’ancien Président du Mozambique Joaquim Chissano,  chef de la Mission d’observation de l’UA. 

Des enseignements tirés 

Selon Mme Chesson-Wureh, le Centre de crise des femmes a réussi à former plus de 500 observateurs et à les déployer dans les zones sensibles. Ces derniers ont réglé en temps réel les menaces de violences électorales ou les incidents avérés, et ont tenu des réunions productives  avec les principaux acteurs politiques, notamment le Premier ministre Raila Odinga, et les représentants  des médias, sur la nécessité d’une campagne électorale pacifique. Les organisateurs ont toutefois admis avoir besoin de plus de temps pour former les volontaires au processus de paix, en particulier au dialogue d’égal à égal contre la violence chez les jeunes. 

Daisy Amdany, la coprésidente du National Women Steering Committee, un consortium de groupes de défense des droits des  femmes, a estimé que la mise en place du Centre de criseau Kenya était bénéfique aux femmes, mais qu’elle aurait dû se produire  plus d’un mois avant les élections.

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