Troubles dans le centre du Mali

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Troubles dans le centre du Mali

Auteur: 
IRIN

L’accord de paix d’Alger n’est pas mort, mais un an après sa signature par le gouvernement et les deux coalitions de groupes armés du Nord, il est mal en point.

La Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) prend exemple sur le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), moteur de la rébellion touarègue de janvier 2012 et tenant d’un discours quasi-séparatiste. Le second groupe, la « Plateforme », est une coalition peu structurée de mouvements armés ; elle est généralement considérée comme favorable au gouvernement, mais elle regroupe des sensibilités diverses, motivées par des considérations locales.

Avant et après l’accord d’Alger, le pays a connu des conflits localisés, et les factions du Nord se sont livrées à une impitoyable guerre des mots. Mais Jean-Hervé Jézéquel de l’International Crisis Group (ICG) a récemment noté un rapprochement entre la CMA et la Plateforme : les deux groupes, d’habitude plus virulents l’un envers l’autre, concentrent désormais leurs attaques sur le gouvernement, critiquant la lenteur des progrès en matière d’inclusion politique et économique des habitants du Nord, et l’enlisement du processus de Démobilisation, Désarmement et Réintégration (DDR).

Beaucoup dépendra des approches adoptées par les groupes rivaux, mais les observateurs maliens s’inquiètent de l’apparition de deux nouvelles tendances : l’influence croissante des groupes djihadistes et l’évolution de leur stratégie, et l’extension de l’instabilité dans le Centre, région autrefois épargnée. 

Ibrahim Maiga a observé la naissance de nouveaux mouvements dans le nord et le centre du Mali. Il a étudié leurs origines, leurs divisions internes, l’évolution de leurs alliances et leurs places respectives dans le processus de paix. « La situation est encore plus compliquée qu’à l’époque de l’accord d’Alger », a dit l’expert, sans mâcher ses mots.

Nouveaux groupes armés

Les accrochages survenus dans les régions de Mopti et Ségou, au centre du pays, pourraient être le symptôme d’un problème plus grave. Ils ne sont peut-être pas liés au conflit plus large qui traverse le Nord, mais les conséquences humanitaires pourraient être considérables et elles ajoutent à l’instabilité générale qui règne au Mali.

Il a été noté qu’aucun représentant de la région centrale de Mopti n’avait participé au processus de paix, car l’attention était portée sur les régions du nord du pays : Kidal, Gao et Tombouctou. Cela veut dire que les intérêts des populations peules - les bergers nomades et les fermiers sédentaires – n’ont pas été pris en compte.

Des militants de la communauté peule ont dénoncé – notamment par le biais de l’association Tabital Pulaaku – des violations des droits de l’homme à grande échelle commises par le gouvernement et les rebelles touaregs pendant et après les précédentes insurrections. Le président de Tabital Pulaaku, Abdoul Aziz Diallo, a lancé cette mise en garde : « Tant que nous ne serons pas associés au processus, il sera difficile d’obtenir la paix ». 

L’Alliance nationale pour la sauvegarde de l’identité peule et la restauration de la justice (ANSIPRJ), un mouvement militaire, a annoncé sa formation au début du mois. Son dirigeant, Omar al-Janah, un ancien enseignant de 27 ans, serait né de parents touareg et peul. Il a annoncé qu’il disposait de 700 combattants. Dans un entretien accordé à Jeune Afrique, basé à Paris, il a nié être un séparatiste et un djihadiste.

D’autres rapports font également état de la création d’un second groupe dans le Centre : le Front de libération du Macina (FLM), du nom de l’empire du Macina du XIXème siècle, est dirigé par le prêcheur radical Amadou Koufa.

Terres et aliénation

Boukary Sangaré, expert du Mali, laisse entendre que la montée des violences dans la région est liée aux traditionnels différends fonciers et aux répercussions de la rébellion de 2012.

Selon lui, les leaders peuls ont été punis pour avoir formé une alliance avec le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), une organisation religieuse autrefois dominante à Gao. Il considère que cette alliance n’est pas le fruit de convictions idéologiques partagées, mais qu’elle procède d’une hostilité commune envers le MNLA et les autorités maliennes.

Selon M. Sangaré, le rétablissement du contrôle de l’Etat dans le Centre a été maladroit et aliénant. Les troupes gouvernementales ont commis de nombreux abus et ont mal géré les arrestations massives, ce qui a contribué à renforcer l’hostilité de la population locale à l’égard des autorités de Bamako. Human Rights Watch a formulé des critiques similaires.

La mission de maintien de la paix des Nations Unies est mise à rude épreuve dans le Nord et compte des victimes dans ses rangs. On peut donc comprendre les craintes de désintégration du Centre. Les Nations Unies ont récemment noté l’arrivée de populations déplacées fuyant les violences entre les Peuls et les Bambaras dans le centre du pays. L’organisation a attribué ces violences au banditisme, tout en reconnaissant que les schémas de violence sont en train de changer et que le Centre fait face à de nouveaux défis alarmants.

La menace djihadiste

Les insurgés djihadistes n’ont pas participé au processus de paix – l’accord visait à les isoler – mais ils sont loin d’avoir été neutralisés.

Les rapports sur les progrès enregistrés par la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) présentent en détail les attaques subies par ses camps et les explosions de ses véhicules sur des engins explosifs improvisés (EEI). Environ 90 casques bleus ont perdu la vie au cours de cette mission de maintien de la paix, de loin la plus meurtrière des missions organisées dans le monde. 

Des soldats de l’opération Barkhane, menée par la France en collaboration avec le Tchad et le Mali, ont également péri lors des opérations de contre-insurrection menées dans l’extrême-nord du pays.

Non contents d’être au pied du mur dans le Nord ou de partir en nombre vers la Libye, les combattants djihadistes ont étendu leur rayon d’action. L’attaque lancée contre le Radisson Blu Hotel de Bamako en novembre 2015 témoigne de leur capacité à frapper des cibles visibles dans la capitale.

Mais l’ampleur de la menace djihadiste est inconnue. Le niveau de soutien, la chaîne de commandement et les alliances passées avec les groupes comme al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) font l’objet de spéculations constantes, tout comme la composition des Katibas ou brigades djihadistes. Cela fait plusieurs années que l’algérien Mokhtar Belmokhtar, le leader extrémiste le plus tristement célèbre de la région, est installé dans le nord du pays.

Une partie des violences peut être attribuée aux groupes djihadistes. Les Nations Unies reconnaissent qu’il existe plus d’un ennemi. Le président du Groupe de travail du Conseil de sécurité sur les opérations de maintien de la paix des Nations Unies a écrit en décembre 2015 que : « Les frontières entre groupes terroristes et groupes criminels étant très floues, il est difficile de savoir si les menaces qui pèsent sur la MINUSMA ont des motifs idéologiques ou criminels ».

A long terme

Le dernier rapport sur le Mali du Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-Moon, au Conseil de sécurité, daté du 31 mai, recommandait le déploiement de 2 000 troupes supplémentaires au sein de la MINUSMA.

Mais M. Jézéquel a laissé entendre que le déploiement de troupes supplémentaires des Nations Unies dans les « forteresses » comme Gao et Kidal, de troupes qui ne sont pas en mesure de faire face aux problèmes de sécurité à quelques kilomètres de ces villes, était une perte de temps.

L’accord d’Alger reconnait que la question du renouveau économique du Nord – une région qui s’est trouvée dans le dénuement et qui a été négligé pendant de nombreuses années – est fondamentale.

Il présente notamment un programme innovant de décentralisation qui ne va pas jusqu’à l’autonomie. Un des principaux obstacles a été la formation de deux nouvelles régions administratives (prévue par l’Accord d’Alger) – une à Taoudéni dans le Nord-Ouest, au nord de Tombouctou, l’autre à Ménaka, dans le Nord-Est – et la nomination de nouveaux gouverneurs.

M. Jézéquel a dit qu’il était urgent que le gouvernement malien réponde à ces questions essentielles, s’il veut gagner la confiance des cosignataires de l’accord.

L’accès humanitaire accordé aux agences d’aide d’urgence est également mis en avant comme un élément essentiel du processus de paix, mais il reste gravement compromis par les problèmes de sécurité et le manque de présence de l’Etat dans de nombreuses zones.

M. Maiga était convaincu que, malgré les lacunes de l’accord, les Maliens se réjouissent de l’existence d’une feuille de route qui fera avancer le pays. M. Jézéquel a dit à IRIN que le Mali n’avait rien d’autre pour l’instant, avant d’ajouter : « Personne n’a l’énergie nécessaire pour commencer quelque chose de nouveau ».

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