ECONOMIC AND SOCIAL COUNCIL


Intervention

de

l’Ambassadeur Martin BELINGA EBOUTOU
Représentant Permanent du Cameroun à l’ONU,
Président du Conseil Economique et Social
 

Conférence Mondiale contre la Racisme, la Discrimination Raciale, la Xénophobie et l’Intolérance qui y est associée
 

      Durban-Afrique du sud
       31 août-7 septembre 2001

Monsieur le Président,

La Présidence de l’ECOSOC me donne le privilège de prendre la parole au cours de  cette importante conférence, concertation essentielle, s’il en fut, pour le devenir de l’homme. Elle nous donne en effet l’occasion en nous appuyant sur les deux précédentes conférences et sur l’évolution des mentalités, d’assumer notre passé, tout notre passé, de répondre en ce début du Millénaire à cette interpellation fondamentale et vitale : « Homme qu’as-tu fait de ton frère, de ta sœur ? », et, à l’aube, du 21è siècle d’en tirer positivement et constructivement toutes les conséquences.

L’ECOSOC, dont le segment de haut niveau de cette année était consacré à l’Afrique, est l’organe principal de l’ONU en charge des droits de l’homme et de libertés fondamentales. La lutte contre le racisme et toutes les formes de discrimination tient par conséquent une place de choix dans son champ d’action. L’ECOSOC dispose d’organes subsidiaires qui l’assiste dans cette fonction : notamment la Commission des droits de l’homme. L’ECOSOC a été l’un des principaux artisans de la Déclaration et de la Convention contre la discrimination raciale adoptées par les Nations Unies en 1963 et 1965.

A ce stade de mon propos, permettez-moi, Monsieur le Président, de vous présenter nos plus vives félicitations pour votre accession à la présidence de la troisième conférence  des Nations Unies contre le Racisme, la Discrimination Raciale, la Xénophobie et l’Intolérance qui y est associée.
 

C’est le lieu de saluer le formidable travail accompli au sein du Comité préparatoire présidé par l’Ambassadeur Diallo, de façon magistrale, avec son tact et son autorité déjà légendaires. Grâce à leur claire perception des enjeux, les participants aux travaux du Comité ont forgé les bases de discussion des présentes assises.

La qualité des documents, de l’assistance et de l’expertise avérée du haut commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, a grandement facilité le rapprochement des positions en privilégiant l’essentiel. Madame Mary Robinson a su veiller patiemment, obstinément, à ce que le Comité préparatoire sorte des conclusions qui permettent à la Conférence de Durban d’être comme une pierre miliaire sur la longue marche des Nations Unies dans l’édification d’un monde de paix parce que fondé sur le respect universel des droits de l’homme pour tous.

Nous voulons rendre hommage au Secrétaire Général de l’ONU, S.E.M. Kofi Annan. Il a, nous le savons, déployé des efforts considérables et une diplomatie discrète et efficace pour préserver l’esprit de coopération et de consensus sur des sujets délicats et pour que chacun des 189 Etats membres des Nations Unies soit représenté à cette troisième Conférence mondiale contre le racisme.

A elles seules, les controverses, les réserves voire les défiances exprimées par certains Etats membres sur certains points de l’ordre du jour de la Conférence, ne renforcent-elles pas précisément une justification de la tenue de ces assises ?

En tout cas, c’est bien la preuve que les voies et moyens de faire progresser la lutte contre le racisme, la xénophobie et l’intolérance opposent plusieurs sensibilités d’approche. Ce faisant, la possibilité pour chaque voix de la communauté internationale de s’exprimer sur un sujet aussi délicat ne peut que favoriser un débat bénéfique et salutaire.

Les péripéties diplomatiques qui ont émaillé la préparation de cette Conférence, si regrettables soient-elles, ne doivent pas masquer l’importance qu’il y’avait de la tenir. En effet, au-delà d’une simple concertation multilatérale entre Etats, à travers les discussions de Durban, les Nations  Unies abordent des questions de société d’une actualité permanente et aiguë qui intéressent et s’adressent également à l’opinion publique internationale.

Le choix de Durban pour abriter cette troisième Conférence mondiale contre le racisme met en évidence cette réalité. En effet, l’Afrique du sud illustre à travers la longue et douloureuse épreuve de l’apartheid, la terrible signification du racisme résultant de la domination de certains peuples par d’autres peuples.

L’Afrique est sans doute le continent du globe qui a le plus incarné l’ouverture vers le reste du monde. Cette particularité est pourtant loin de lui avoir toujours profité. Bien au contraire. L’Afrique et les peuples noirs sous toutes les latitudes ont souvent subi en retour, la domination, la marginalisation et l’exclusion. Cette situation perdure aujourd’hui aussi bien pour les Africains que pour une large partie de la communauté noire de la diaspora dans les domaines politique, social et économique.

Si l’Afrique est demeurée un monde où tout le monde peut aller et venir librement, la liberté de mouvement des Africains vers les pays du nord notamment bute de nos jours sur des législations nationales draconiennes baptisées "lois anti-immigration".

Nous sommes bel et bien ici face au défi posé par de nouvelles formes de ségrégation et de discrimination. Il appartient à chaque Etat de les combattre mais également à l’ensemble de la communauté internationale de faire respecter les libertés et principes universels qu’elles remettent en cause.

Ce défi est surmontable comme l’ont été, il y a encore peu, la colonisation de l’Afrique et l’apartheid.

Monsieur le Président, j’ai parlé tout à l’heure de la Déclaration et la Convention contre la discrimination raciale adoptées par les Nations Unies en 1963 et 1965. Ces textes, qui s’inscrivent et ont été adoptés dans le sillage immédiat de l’accession à l’indépendance de la majorité des Etats africains ou encore de la reconnaissance et de l’attribution des droits civiques à la communauté noire des Etats-Unis, illustrent bien cette capacité d’évolution des mentalités et d’adaptation du droit international. Ils ont, non seulement renforcé le principe universel de l’égalité des races, mais aussi contribué à affirmer la souveraineté naturelle des peuples fondée sur le droit et la justice. Autant de principes qui ont été longtemps niés par une conception du pouvoir fondée sur la domination de certains peuples par d’autres peuples.

Il convient de souligner que ces conquêtes pour les libertés ont résulté d’une lutte engagée par une large part de la communauté internationale, et singulièrement les Nations Unies.

La volonté de réconciliation et d’apaisement qu’impose le monde d’aujourd’hui ne signifie pas, ne saurait signifier l’oubli… Le devoir de mémoire que réclament les descendants des peuples asservis, humiliés et opprimés pendant des siècles, relève davantage du refus d’une histoire sélective et partiale que d’une tentation ou tentative de faire le procès des descendants des peuples qui s’étaient érigés hier en maîtres du monde. L’idée selon laquelle "l’histoire est toujours en faveur du vainqueur plus que du vaincu", du dominateur plus que du soumis, n’est plus acceptable… Le "vae victis" de la Rome antique est aujourd’hui révolu.

Il n’est nullement surprenant que ces préoccupations apparaissent au centre de la Conférence mondiale sur le racisme, premier forum du genre depuis l’avènement de la mondialisation. La circulation de l’information qui caractérise le monde global ne se limite pas seulement à l’actualité. Elle favorise également l’émergence de larges pans de l’histoire restés jusqu’ici dans l’ombre. Or, on ne peut totalement mesurer, ni comprendre la situation, les malheurs de l’Afrique d’aujourd’hui, son instabilité politique et son retard économique, si l’on ne prend pas en compte les traumatismes et les séquelles encore visibles laissés par la traite négrière, l’esclavage et la colonisation.

A cet égard il convient de se féliciter de l’adoption le 21 mai 2001, par la France, "mère des arts…et des lois", de l’adoption d’une loi assimilant la traite négrière et l’esclavage à un crime contre l’humanité. On s’en félicite d’autant plus que c’est dans cette même France que fut élaboré et promulgué sous l’Ancien Régime par COLBERT le code noir légitimant l’esclavage… Puisse la loi française sur l’esclavage faire école et aboutir à une loi de portée universelle. Les Nations Unies, qui, dans le passé, ont érigé à la gloire de la dignité humaine ces monuments que sont la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Déclaration et la Convention contre la discrimination raciale, les Nations Unies pourraient, nous semble-t-il, s’atteler ou servir de cadre à la mise en œuvre d’un tel projet… Le Conseil Economique et Social à travers ses nombreux organes subsidiaires chargés de la défense et du respect et de la promotion des droits de l’homme pourrait servir de laboratoire d’idées pour l’Assemblée Générale. On ne comprendrait pas, les peuples des Nations Unies ne comprendraient qu’il en soit autrement…

Les inégalités économiques observées aujourd’hui entre les différentes régions du monde découlent certes d’écarts technologiques et d’essor industriel. Elles procèdent aussi des formes de domination et d’oppression du passé qui ne sont nullement des causes secondaires. La traite négrière en est la parfaite illustration. Celle-ci, avec ses néfastes conséquences pour l’Afrique, demeure un sujet de préoccupation toujours d’actualité. Elle sonne pour le continent africain le début du drame qui a saccagé son destin jusqu’à nos jours… On a tenté de donner à ce drame, des explications, ou des justifications qui sont une honte pour l’humanité.

La première conséquence, la plus grave, a été la négation de la dignité humaine pour le négro-africain et sa réduction à l’état de bête de somme, voire de simple marchandise. L’institutionnalisation du racisme en Afrique du sud grâce au système inique et absurde de l’apartheid procède de la traite négrière. Comme l’écrit le savant camerounais, le Jésuite Engelbert Mveng, vivant dans la négation la plus arrogante de son identité, de son histoire, de son héritage culturel, de sa dignité, le négro-africain est condamné à la forme la plus avilissante de ce que nous appelons la pauvreté anthropologique. Privé de tout ce qu’il est, de tout ce qu’il a, et de tout ce qu’il fait, il n’est plus qu’un vil objet, bois d’ébène…

Parce qu’il s’attaque à la conception même de la personne humaine, parce qu’il est aussi porteur du venin le plus mortel qui s’attaque aux racines mêmes de la culture, le racisme, avec l’esclavage, l’apartheid et les génocides qui en découlent, est une anti-culture, le retour à la barbarie. Il est, n’ayons pas peur des mots, un crime contre l’humanité. Il doit être combattu… Il doit disparaître.

La traite négrière a vidé l’Afrique de sa population la plus vigoureuse et la plus saine.13 à 15 millions de déportés…  Certes les statistiques de la traite négrière, dira le père Mveng qui, dans son Histoire du Cameroun, a essayé de rassembler quelques chiffres avancés par certains historiens, resteront à jamais confuses et hypothétiques… Comment s’empêcher de constater que c’est une page rouge de l’histoire de l’humanité sur laquelle, l’Afrique, de génération en génération, avec la Rachel de la Bible, pleurera, inconsolable, ses myriades d’enfants qui furent et qui ne sont plus.

La pauvreté de l’Afrique aujourd’hui est la perpétuation du linceul de misère qui l’enveloppe depuis la Traite transatlantique, avec le pillage économique dont elle a été l’objet, pour l’enrichissement excessif des puissances extra africaines.

Cette réalité historique n’est-elle pas de nature à légitimer la requête pour un droit de réparation morale mais également matérielle, formulée, peut-être confusément… Celle-ci s’inscrit dans le projet de transformations sociales et de développement économique entrepris par les Africains pour sortir d’une pauvreté dont les liens avec les épreuves endurées dans le passé sont incontestables… Autant le commerce triangulaire de l’Atlantique qui a vu le jour il y a plus de trois siècles a contribué à la prospérité actuelle de l’occident, autant il a contribué au retard économique de l’Afrique d’aujourd’hui.

Qu’on nous comprenne bien…

Nous ne plaidons pas ici en faveur d’une réécriture de l’histoire… Non… Nous plaidons en faveur de son ajustement.

Nous plaidons  en faveur de l’ajustement du présent….

Ce que nous demandons, ce pourquoi nous plaidons, c’est que le passé dont l’Afrique a été victime soit dûment pris en considération politiquement et juridiquement, lorsqu’il s’agit, dans un élan de solidarité renouvelée, pour la communauté internationale  d’appuyer le développement durable de l’Afrique… La solidarité, ainsi vue et vécue, cesserait d’être de la compassion ou de la charité pour être le moyen d’affirmer une haute idée de la justice et du respect universel des droits de l’homme, de tous les droits de l’homme, des droits de tous les hommes, de tous les droits de tous les hommes.

D’une Conférence comme celle-ci, il importe que la voix de la conscience humaine s’élève, par-dessus et par delà les préjugés et les intérêts, pour appeler au secours :

-- au secours de la paix,

-- au secours des victimes, aujourd’hui, de l’héritage direct de l’esclavage des Noirs tel que fondé et institutionnalisé par Christophe Colomb, et perpétué contre la Race Noire par la verve fanatique de Bartolomé de Las Casas,

--au secours de tant de millions d’hommes et femmes exclus de l’Histoire, exclus des bienfaits de la civilisation, exclus de leur propre dignité d’hommes et de femmes.

Je vous remercie./