La santé de la femme et les maladies tropicales en Afrique

Dr Uche Amazigo

(projet)

Pourquoi l’Afrique comme élément central ?

Plus d’un quart de la population mondiale court le risque de contracter une infection parasitaire et la majorité de ces infections se trouvent confinées dans les régions déshéritées, tropicales et subtropicales, notamment l’Afrique sub-saharienne. Les femmes constituent près de 67% de la population totale en Afrique. En vue d’atteindre un meilleur niveau mondial en termes de santé, il convient de se concentrer sur les femmes africaines. Les faibles niveaux de revenus sont associés aux modèles de maladies débilitantes. Trente-huit des soixante-trois pays dans le monde à faible revenu se situent en Afrique. Sur ces 500 millions de personnes, 40% vivent avec moins de 1 $US par jour, 68% n’ont pas d’hygiène appropriée et 52% n’ont pas accès à l’eau potable (Lancet, 1997). Dans un rapport récent de l’OMS, l’analyse des données relatives au dénuement (PNUD 1994) démontre le rôle de la pauvreté dans la co-détermination de l’état de santé des populations (WHO/TF/HE/TBN/97). Ce rapport conclut que « les niveaux de pauvreté absolue totale et rurale » sont significativement plus élevés dans les dix pays les moins performants (les pays ayant l’écart négatif le plus élevé en termes d’espérance de vie) par rapport aux dix pays les plus performants (les pays ayant l’écart positif le plus élevé en termes d’espérance de vie). Il est intéressant de noter que neuf de ces dix pays les moins performants se situent en Afrique. De toutes les régions géographiques, l’Afrique présente les taux les plus élevés de morbidité et de mortalité dus aux maladies tropicales (Sai et Nassim 1991).

Il convient que les prestataires de santé offrent des services efficaces et déploient des efforts particuliers en vue d’améliorer l’état de santé des populations dans cette région. La planification des prestations sanitaires, l’amélioration de l’efficacité et la création de prestations, quel que soit le pays, dépendent essentiellement des informations relatives aux causes principales de mauvaise santé et de mortalité dans des régions bien déterminées. Les données relatives aux causes spécifiques de la mortalité, notamment de la morbidité, les données séparées en fonction du sexe et des sexospécificités, cruciales pour une planification efficace, sont rares pour la plupart des pays de l’Afrique sub-saharienne (Heggenhougen 1996). Il est fort probable que la première action à entreprendre en vue d’examiner les causes principales de mauvaise santé soit d’acquérir une compréhension solide et complète de tout le cycle de vie, qui se fonderait sur des données fiables, logiques et de qualité (Stephens 1996).

Du fait de la rareté des données à la disposition des planificateurs du secteur de la santé en Afrique, la question qui se pose est la suivante : les planificateurs de programmes sont-ils en mesure de réformer le secteur de la santé et de l’améliorer ? Avons-nous des données qui montrent dans quels domaines les prestations sont requises ? Peut-on offrir des prestations et des ressources humaines pour les domaines dans lesquels elles sont absolument nécessaires mais inexistantes ?

Pourquoi les maladies tropicales comme élément central ?

Les maladies tropicales naissent en majorité de la pauvreté. Il a été estimé que cinq cent millions de personnes souffrent de maladies tropicales - paludisme, bilharziose (schistosomiase), trypanosomiase africaine, maladie de Chagas, leishmaniose (Kala Azar) et lèpre (OMS, 1993) et qu’une proportion élevée de cette population vit en Afrique sub-saharienne. Les maladies tropicales produisent une charge importante d’invalidité et certaines agissent en synergie avec des maladies non parasitaires pour provoquer des invalidités graves allant parfois jusqu’à la mort.

Il convient également de se concentrer sur les maladies parasitaires et infectieuses. Depuis la dernière décennie, tout particulièrement avec l’apparition du SIDA, il existe davantage d’informations sur les MST, le VIH et les grossesses des adolescentes mais les données relatives aux maladies tropicales, dont certaines ont des répercussions permanentes sur la santé et le développement économique, restent ambiguës.

En l’absence de vaccin ou de ‘recette magique’ pour le traitement des maladies tropicales, notamment le paludisme et du fait de l’augmentation des voyages des pays non endémiques vers les pays endémiques, le paludisme deviendra un problème considérable pour les pays développés. On rapporte déjà un nombre croissant de cas importés, dont des cas résistants aux souches des médicaments existants (Globe and Mail, 1997).

La santé de la femme et les maladies tropicales

Comme le fait judicieusement remarquer Heggenhougen (1994), « une femme qui vit en Afrique sub-saharienne a extrêmement moins de chance de survie qu’une femme vivant dans un pays développé par rapport à un homme de l’Afrique sub-saharienne comparé à un homme du monde développé ».

Pour de nombreuses maladies tropicales (paludisme, onchocercose, trypanosomiase), l’exposition aux piqûres de vecteurs infectieux est étroitement liée aux modèles de travail de l’homme et de la femme, au comportement individuel et communautaire (Robert, 1963) et est vitale à la transmission.

Jusque récemment, la théorie appuyait le fait que les hommes assumant la plus grande responsabilité du travail agricole, leurs taux d’exposition et d’infection étaient nettement supérieurs à ceux des femmes au sein de la famille.

Les changements historiques des rôles de l’homme et de la femme dans les secteurs économique et agricole ont laissé à la femme la plus grande responsabilité en termes d’agriculture de subsistance (Okonjo, 1988) et de bien-être de la famille. Les adolescentes et les femmes adultes en Afrique représentent actuellement la contribution la plus élevée en termes de production agricole (FAO, 1984). Du fait de ces modifications des rôles, les femmes sont plus exposées aux piqûres infectieuses des mouches qui transmettent les maladies tropicales, intensifiant leur rôle dans la transmission des maladies.

Dans une revue récente, Amazigo (1994) avait observé que les hommes et les femmes partageaient certains états et problèmes de santé associés aux maladies infectieuses tropicales à forte prévalence (notamment, le paludisme, la bilharziose), avec des taux de prévalence pratiquement équivalents mais avec de graves conséquences chez la femme du fait de sa fonction génésique. En effet, ces problèmes augmentent les risques au cours de la grossesse et de l’accouchement.

Certaines maladies infectieuses tropicales provoquent des défigurations considérables. La lèpre, la filariose lymphatique, la bilharziose, la leishmaniose et l’onchocercose sont des maladies qui défigurent le corps (diapositives) et par conséquent, les hommes et les femmes sont affectés différemment socialement, économiquement et psychologiquement. Les études démontrent que ces maladies sont particulièrement cruelles pour les adolescentes et les femmes adultes du fait de leurs effets sur les espérances de mariage (Amazigo et Obikese, 1990), et sur l’instruction et l’amour-propre (Ovuga et al, 1996). Les résultats d’une étude comprenant de nombreux pays sur les répercussions socio-économiques de l’onchocercose ont démontré que les filles en âge de se rendre à l’école dont les parents souffrent d’un grave problème cutané engendré par des onchocerques ont 2,6 fois plus de chance d’abandonner l’école que les filles de familles ne souffrant pas d’onchocercose (TDR/WHO, 1997).

Certaines des maladies tropicales, si ce n’est toutes, ont des répercussions directes sur la santé qui vont au-delà de la victime immédiate. Le paludisme chez la femme débouche sur un faible poids du nouveau-né à la naissance, soit du fait d’une naissance prématurée soit du fait d’une croissance altérée in utero (Tableau) et chez la femme enceinte cela peut entraîner, tout particulièrement en cas d’infection plasmodium falciparum, l’invasion du foetus lui-même par des parasites (McGregor, 1983). Chez la femme souffrant de prurit engendré par des onchocerques, la durée de l’allaitement au sein a été réduite de plus de 9 mois chez 25% des femmes infectées qui allaitent leur nouveau-né après le début de la maladie (Amazigo, 1994).

Les gouvernements ont par conséquent porté leur attention sur la femme en vue de lui offrir des prestations sanitaires non pas pour son bien mais essentiellement pour son rôle de mère et de responsable de la santé familiale (Rathgeber et Vlassoff, 1993).

Dans cette communication, les maladies infectieuses et parasitaires (paludisme, tuberculose, onchocercose) sélectionnées ont été choisies du fait de leurs répercussions nuisibles sur la santé de la femme et de l’importance de leur charge, tel que cela a été mesuré dans les années de vie corrigées d’invalidité (AVCI) (Murray et Lopez, 1994). Même lorsque l’infection du fait de ces maladies n’aboutit pas à la mort, elle génère une morbidité considérable chez l’homme et la femme.

LE PALUDISME

La menace du paludisme est une question d’envergure mondiale et non simplement africaine. Un milliard de personnes risquent le paludisme, entre 1 et 2 millions de morts par an sont dues au paludisme et 90% des morts se trouvent en Afrique. Du fait du réchauffement de la planète et de l’augmentation des voyages internationaux, le paludisme urbain constitue maintenant un important problème de santé publique en Afrique et les personnes vivant dans les pays développés sans immunité se trouvent confrontées à ce risque.

Le 13 mars 1998, une nouvelle initiative mondiale a été annoncée par le nouveau Directeur Général de l’OMS, le Dr Bruntland en vue de faire reculer le paludisme. Le programme a pour objectif de réduire le nombre de morts du fait du paludisme (2,7 millions de morts par an) de 50% d’ici l’an 2010 essentiellement au moyen d’actions de contrôle, notamment la restructuration des prestations sanitaires. L’initiative consistant à faire reculer le paludisme représente une nouvelle possibilité pour la région africaine de contrôler le paludisme mais il convient d’examiner avec soin de nombreuses questions en vue de mettre en oeuvre cette nouvelle lutte et d’éviter les erreurs du passé qui provoquèrent une résistance aux insecticides et aux médicaments.

Dans la recherche de nouveaux insecticides, il serait utile d’étudier le pouvoir des plantes traditionnelles utilisées dans les communautés locales, notamment les produits anti-moustiques (par exemple une plante, le Nchawu - que les Igbos du Nigeria font brûler afin d’éloigner les moustiques). Il convient également d’étudier ces mécanismes et/ou ces capacités locaux permettant de faire face à ces problèmes.

Au cours des vingt dernières années, il a été estimé que 40% des fièvres étaient dues au paludisme (Brinkman et Brinkman, 1991). Par conséquent, les stratégies de contrôle du paludisme ont dévié et leur objectif principal maintenant consiste à réduire la mortalité et la morbidité par un traitement immédiat et précoce de la fièvre.

Il est maintenant de plus en plus établi que la réussite d’une stratégie de contrôle dépend d’un certain nombre de facteurs, notamment le comportement des patients, tout particulièrement celui des mères et des personnes chargées de jeunes enfants, la nécessité de comprendre le traitement recherché (Oaks et al, 1991), le choix du traitement. Les études ont démontré que le choix et la période de traitement de la femme dépendaient des facteurs suivants :

a) le coût ;

b) l’accessibilité des centres de santé ;

c) l’attitude des prestataires, les croyances culturelles relatives à la cause du paludisme et son traitement.

L’automédication est une approche courante des individus lorsqu’ils perçoivent les signes et les symptômes du paludisme. Du fait de l’incidence élevée de paludisme en Afrique, de l’absence ou de la presque inexistence de laboratoires aux niveaux périphériques des diagnostics cliniques (biomédicaux), le paludisme constitue encore un véritable problème. Il est vivement souhaitable de réaliser des études en vue de mieux comprendre les critères utilisés par les femmes et les travailleurs sanitaires dans les villages pour prédire le paludisme. Ces études permettront aux experts de mieux connaître les modes de transmission du paludisme. Ces modes ont déjà été identifiés au Nigeria (Okonofua et al, 1992), au Liberia (Jackson, 1985) et au Zimbabwe.

La transmission du paludisme ne concerne pas uniquement les professionnels du secteur de la santé ni ne doit être considérée comme telle. Du fait que les femmes constituent les premiers prestataires de soins, les initiatives de contrôle, notamment celle visant à faire reculer le paludisme, doivent se concentrer sur les avantages de la planification participative en impliquant les femmes dès le départ, en vue de déterminer les besoins et les priorités en matière de contrôle du paludisme, les mesures de planification et de mise en oeuvre acceptables qu’il est possible de mettre en place afin de permettre l’amélioration de la santé. Le rôle que les femmes peuvent jouer dans le programme de partenariat en vue de contrôler le paludisme sera traité plus loin dans cette communication.

En vue d’élaborer des programmes de contrôle durables, il convient de créer des partenariats solides entre les groupes de femmes locaux et les services de santé. Il convient également de reconnaître qu’en tant que partenaires, le rôle dirigeant doit être partagé par les deux groupes en vue de maîtriser le paludisme, du moins jusqu’à ce que l’Afrique puisse se vanter d’avoir un nombre approprié de personnel sanitaire formé et de centres fonctionnels aux niveaux périphériques. Actuellement, l’absence grave de personnel et de centres de santé au niveau périphérique souligne la nécessité d’encourager le rôle de la femme dans le traitement à domicile et le contrôle du paludisme. Afin de circonvenir cette anomalie, l’implication active des communautés, tout particulièrement celle des groupes de femmes, autant que possible, devrait faire partie intégrante de la politique en termes de contrôle du paludisme dans chaque pays de cette région.

LA TUBERCULOSE

La tuberculose est l’unique principale maladie infectieuse responsable de la mort chez la femme. Elle tue près de 2-3 millions de personnes chaque année. Il s’agit essentiellement d’une infection des poumons provoquée par l’inhalation des gouttelettes provenant de la toux de patients tuberculeux, contenant le bacille tuberculeux. La Mycobactérie tuberculeuse et la M. Africanum sont les deux principales souches responsables en Afrique.

Dans de nombreux pays d’Afrique sub-saharienne, notamment en Afrique centrale et orientale, l’incidence de tuberculose a augmenté avec l’apparition et la fréquence croissante de la séropositivité au virus d’immunodéficience humaine (VIH). Dans bon nombre de ces pays, un séropositif sur trois meurt de tuberculose du fait de négligence. De plus, ces personnes infectent des centaines de seronégatifs avec la bactérie de la tuberculose.

Il est surprenant de noter que les décideurs des orientations politiques dans la majorité des pays de l’Afrique sub-saharienne n’ont toujours pas pris conscience que la tuberculose constituait une menace importante et que 95% des huit millions de nouveaux cas de tuberculose chaque année surviennent dans les pays en développement. En effet, l’Afrique a une incidence de 272 pour 100000 personnes, ce qui représente environ dix fois le taux d’incidence de 27 pour 100000 dans les pays européens.

Il est également triste de noter que de nombreux décideurs des orientations politiques continuent de négliger la tuberculose malgré les connaissances actuelles selon lesquelles la tuberculose non traitée est rapidement fatale aux personnes séropositives - d’où la référence de Chreiten (1990) à ces deux maladies comme étant le « duo maudit ». La présence de la Mycobactérie tuberculeuse débouche sur une réponse accélérée du VIH. Il a été clairement rapporté que le SIDA et la tuberculose s’accéléraient l’un l’autre (Pope et al, 1993). Encore plus grave, chez les patients tuberculeux et séropositifs, du fait de leur mauvais état de santé, il y a une augmentation de l’incidence de réactions indésirables aux médicaments existants et la faible réponse à l’observance du traitement de la tuberculose ne dépasse pas les 30-45% en Afrique sub-saharienne.

Selon les récents rapports relatifs au programme mondial de lutte anti-tuberculose (GTP) de l’OMS, plus de 900 millions de femmes dans le monde sont infectées par la tuberculose et courent un risque plus grand de devenir séropositives.

Le programme DOTS (Directly Observed Treatment Short-course, observance lors d’un traitement de courte durée) constitue la stratégie recommandée de l’OMS/GTP en matière de détection et de traitement de la tuberculose. Cette stratégie a été décrite dans le rapport sur le développement mondial (1993) comme étant l’une des stratégies les plus rentables. Dans un programme de contrôle de la tuberculose du Ministère de la santé en Guinée en collaboration avec l’OMS, il a été rapporté que le taux de guérison de la tuberculose utilisant la stratégie DOTS était supérieur à 80% en Guinée.

Du fait que l’observance du patient constitue le facteur le plus important pour la réussite du traitement de la tuberculose, il convient d’élaborer des initiatives dans le secteur de la santé en vue de promouvoir l’observance des femmes. Puisque les stigmates associés à la tuberculose amènent souvent à l’isolement et au divorce des femmes, les politiques en matière de santé doivent prendre en compte les programmes s’adressant aux communautés avec des apports des différents groupes communautaires, de façon acceptable dans le cadre culturel spécifique de la population.

Un partenariat avec les femmes pour une réforme du secteur de la santé

Il est tout à fait évident que les femmes jouent un rôle essentiel en matière de soins de santé aussi bien dans la famille que dans la société. Il est impératif que ces rôles restent l’axe central des réformes en matière de soins de santé en vue de s’assurer de l’entière participation des femmes.

Toutefois, l’expérience a montré que la participation durable des femmes dans les projets relatifs à la santé était difficile. Ceci est dû essentiellement au fait que leur principale préoccupation est le bien-être et l’alimentation de leurs enfants et de leur mari. Les femmes mettent davantage l’accent sur les activités qui génèrent des revenus et sur les projets d’approvisionnement en eau que sur les activités permettant de réduire l’incidence de certaines maladies.

Par conséquent, en vue de maximiser les chances d’un projet de contrôle durable de la tuberculose, tout particulièrement l’observance du traitement par le patient, l’utilisation de méthodes non conventionnelles pour la formation du personnel non sanitaire mérite un examen plus approfondi. Par exemple, les femmes formées en tant qu’éducatrices de groupe pourraient réussir davantage à se mettre en rapport avec les hommes et les femmes traumatisés et stigmatisés dans leur cadre que ne pourraient le faire les travailleurs sanitaires. Les groupes de femmes locaux pourraient offrir leurs conseils et apporter leur soutien aux personnes touchées. Ils pourraient aider à identifier les tuberculeux potentiels et assister les services de santé afin d’améliorer les taux d’observance tout particulièrement parmi les séropositifs.

De plus, du fait que le traitement précoce du paludisme constitue la principale cible de contrôle et que l’automédication constitue une préoccupation des prestataires de santé, les mères et les personnes chargées des jeunes doivent être en mesure d’administrer un traitement initial et approprié. Du fait que 80% des cas de paludisme sont traités à domicile, les femmes des zones rurales formées en tant qu’éducatrices de groupe pourraient avoir accès à leurs concitoyens et les informer en matière d’automédication et de sur-utilisation de médicaments anti-paludéens.

Par conséquent, dans chaque communauté, le service sanitaire doit encourager les femmes à sélectionner parmi elles des personnes à former. Celles-ci pourraient former leurs concitoyens à reconnaître les signes et les symptômes du paludisme grave, elles pourraient les former aux dangers de longs délais avant de pouvoir être admis en hôpital. Il convient d’encourager les groupes de femmes locaux à créer, avec des équipes sanitaires du district ou périphériques, des équipes de surveillance du paludisme en vue d’aider à identifier et à traiter ces cas. Au Kenya, il a été démontré que la formation de commerçants dans les zones rurales avait amélioré l’administration de la dose correcte de médicaments anti-paludéens (Kayondo, communication personnelle, 1998).

Il convient cependant de faire attention, car obtenir et maintenir la participation communautaire dans les projets de contrôle en matière de santé constitue une tâche difficile et les décideurs des orientations politiques doivent y être sensibilisés dès le début de la restructuration du secteur de la santé.

La restructuration du système de santé

Le rapport sur le développement mondial (1993) conclut que les problèmes associés à des systèmes de santé inefficaces continueront d’entraver les progrès en termes de réduction de la charge de la maladie et de l’invalidité et d’empêcher les efforts des prestataires de santé en vue de faire face aux maladies nouvelles et émergentes (notamment le SIDA) et aux maladies parasitaires, notamment le paludisme et la tuberculose. Par conséquent, l’inefficacité des systèmes et des services de santé en Afrique constitue un problème. Il convient donc de restructurer le secteur de la santé en intégrant entièrement les séxospécificités.

Il est possible d’éviter ou du moins de traiter dans le cadre des soins primaires, 80% au moins des problèmes liés aux maladies tropicales chez les femmes et leur famille mais les cas de maladies chez la femme ne sont pas toujours rapportés au niveau des centres sanitaires et des hôpitaux. Il semblerait en effet que le nombre de femmes qui se rendent à ces centres pour traitement n’est pas proportionnel au chiffre rapporté par le taux supposé de morbidité. De nombreuses théories ont été proposées, notamment que la faible présentation des femmes à ces centres était due à des exigences d’ordre culturel selon lesquelles les femmes ne pourraient obtenir d’assistance médicale sans l’autorisation de leur mari, lorsque les symptômes cliniques sont graves et apparents. L’absence de prestations sanitaires, les délais dans les centres de santé sont autant de causes avancées également. De plus, il a été rapporté que les femmes qui demandaient une assistance médicale recevaient un traitement inférieur dans les services de santé (Vlassoff et Bonilla, 1993, Manderson et al, 1997).

La question qui se pose alors est la suivante : en nous concentrant sur les sexospécificités en termes de contrôle des maladies tropicales, pouvons-nous réduire les taux de mortalité et de morbidité ou éviter la poussée des épidémies de paludisme et de tuberculose? Dans de nombreux états africains, il existe une structure à trois niveaux (soins de santé primaires, secondaires et tertiaires) dans le système de santé depuis deux ou trois décennies. Avec la déclaration d’Alma Ata, les soins de santé primaires ont été adoptés par la majorité des pays comme la pierre angulaire du système de santé national et de la participation communautaire dans la planification, la gestion et l’évaluation du système de santé local.

Bien qu’il ait été démontré que la « force du système de santé national dépendait de la qualité des prestations sanitaires au niveau communautaire - l’origine de tous les problèmes en matière de santé dans la nation » (Ransome-Kuti, 1998), il convient d’apporter un changement encore plus fondamental aujourd’hui dans les politiques et les programmes en matière de santé en vue d’examiner efficacement les besoins des femmes en matière de santé. Ces changements sont nécessaires aux trois niveaux du système de santé (soins primaires, secondaires et tertiaires). Pour les prestataires de santé dans cette région, l’enjeu est à la fois politique et technique.

Les maladies tropicales, leurs répercussions sur les femmes et les besoins des femmes en matière de santé, sont des questions négligées, essentiellement du fait que les femmes déshéritées ne sont pas prises en compte, qu’elles sont sous-représentées dans le processus décisionnel politique, technique et économique. D’une façon plus large, les femmes qui sont les bénéficiaires ‘supposées’ des politiques en matière de santé ne voient pas leurs sentiments et leurs besoins en matière de santé se refléter dans les politiques et les programmes. Pour elles, les initiatives de santé continues sont des programmes élaborés par des ‘hommes blancs’ et non ‘nos programmes’.

L’enjeu est politique car la restructuration des services de santé et la création de réformes nécessite une modification des rapports de force entre les prestataires de santé nationaux et internationaux et les communautés qui les reçoivent. En d’autres termes, il convient d’adopter une approche par la base, d’accepter la communauté comme partenaire principal de la réforme du secteur de la santé.

De plus, en vue de restructurer le secteur de la santé, les politiques doivent mettre l’accent sur la question critique de l’interaction entre les prestataires de soins de santé, la communauté et les partenaires potentiels du secteur privé. Ces derniers représentent des atouts négligés en termes de prestations sanitaires. Mais au cours de la dernière décennie, les attentes du public quant au rôle du secteur privé en matière de santé se sont modifiées. L’OMS demande de plus en plus au secteur privé, tout particulièrement aux sociétés de produits pharmaceutiques, de devenir partenaires pour le contrôle des maladies tropicales.

Deux exemples récents ont débouché sur le don d’ivermectine par MERCK & Co Inc (document APOC, 1996) et d’albendazole par SmithKline & Beechem (TDR News, 1998) pour le contrôle de l’onchocercose et de la filariose lymphatique respectivement. Le premier don de médicament a débouché sur le lancement d’un programme régional en Afrique, le Programme africain de contrôle de l’onchocercose (APOC). Il s’agit d’un programme unique de partenariat pour le développement de la santé, entre les communautés affectées, les Ministères de la santé, les organisations de développement non gouvernementales (ODNG), quatre agences de l’Organisation des Nations Unies et les pays bailleurs de fonds. La stratégie de distribution de l’ivermectine dans le cadre de l’APOC est unique du fait que la communauté est autorisée à exercer son autorité dans le processus décisionnel. Du fait que ce médicament, l’ivermectine, ne présente aucun danger, l’approche du traitement est déterminée par la communauté et celle-ci assume l’entière responsabilité de son organisation et de son exécution avec un minimum de contrôle médical. Cette approche requiert l’établissement d’un véritable partenariat avec les populations touchées et permet d’espérer en une durabilité.

Les réformes du secteur de la santé doivent également examiner les réformes qu’il convient d’introduire dans le secteur de l’enseignement en vue d’apporter les changements souhaités dans le secteur de la santé et d’améliorer la qualité des soins. Les modèles de disparités entre les sexes sont terrés dans notre système éducatif et étroitement liés aux points de vue culturels relatifs aux rôles des hommes et des femmes selon lesquels certaines tâches ne sont pas considérées comme appropriées aux hommes (Heggenhougen, 1996).

Comme pour la santé, il convient d’adopter une approche holistique et permanente des besoins de la femme en matière d’instruction. Les politiques en matière d’instruction et de santé des femmes doivent être élaborées de façon à se compléter. Pour élargir encore plus ce raisonnement, un nouveau cadre relatif à l’instruction des femmes doit intégrer les questions plus spécifiques en matière de santé, appropriées aux groupes communautaires.

L’élaboration de programmes appropriés, accessibles et tenant compte des sexospécificités en matière de soins des maladies tropicales, signifie s’écarter du paradigme biomédical séculaire traditionnel. Il convient que cette déviation du paradigme se fasse en premier lieu en vue d’élargir le centre de notre compréhension et de recevoir le point de vue des femmes en matière de planification des initiatives de contrôle. On se demande souvent pourquoi l’hypothèse de recherche commence par la supposition des positions biomédicales plutôt que par les croyances traditionnelles du fait que ce sont les croyances qui déterminent le comportement.

Par conséquent, la participation communautaire doit constituer la pierre angulaire des politiques nationales en matière de contrôle du paludisme et de la tuberculose. La participation communautaire dans les initiatives en matière de santé des maladies tropicales incombe largement à la femme dans son rôle de premier prestataire et consommatrice de santé au foyer. Les projets réussis en matière de santé et de développement de la femme ont tous impliqué la femme dès le début « dans la planification, l’organisation, la mise en oeuvre et les dépenses (temps, argent et matière) de toutes les activités en matière de santé » (Rugendyke, 1991).

Le processus d’initiation des réformes du secteur de la santé constitue un autre facteur important méritant d’être pris soigneusement en compte. Du fait que la culture et que les croyances sociales et traditionnelles influencent la façon de vivre des individus, les idées extérieures (biomédicales) ne doivent pas être imposées à la communauté ou aux femmes. Il serait préférable d’introduire des programmes au moyen du dialogue. Les politiques en matière de santé doivent être guidées par les besoins prioritaires en matière de santé, déterminés par les apports communautaires.

Il convient de revoir et de modifier régulièrement les approches et les politiques en matière de planification en fonction du cadre. Ainsi, la généralisation relative à l’efficacité d’une approche par rapport à une autre aura une utilisation limitée.

Recommandations

- Les nouvelles politiques en matière de santé doivent montrer la synergie qui existe entre

les secteurs de l’enseignement et de la santé et encourager le partenariat entre les

programmes en matière de santé et d’enseignement.

- Afin de mettre en oeuvre des politiques durables qui tiennent compte des

sexospécificités, il convient d’allouer les dépenses gouvernementales de cette

région ainsi que les contributions des agences multilatérales et bilatérales en vue

de lutter directement contre la pauvreté.

- Des approches et stratégies nouvelles, la création de partenariats avec les femmes en

tant que premiers prestataires de santé et le secteur privé, seront des facteurs

importants en vue de relever les défis actuels et futurs en matière de paludisme, de

tuberculose et d’autres maladies infectieuses tropicales émergentes.

Il convient d’accepter que, dans le cadre des efforts déployés en vue de réformer le secteur de la santé et de mettre en place des systèmes durables, selon les données existantes, le secteur de la santé seul, surchargé par les autres problèmes en jeu pour des ressources limitées, n’est pas en mesure d’améliorer la santé des populations. Par conséquent, le fait de travailler ensemble, en partenariat avec les communautés, les ministères de l’enseignement et des finances, des affaires de la femme, de l’agriculture, de l’industrie, le secteur privé et avec des stratégies plus vastes, débouchera sur des programmes durables.

- L’examen des disparités et des inégalités en termes d’accès aux soins de santé pour les

femmes doit constituer la première responsabilité des gouvernements pour la

restructuration des prestations sanitaires.

- Afin que les systèmes de santé en Afrique puissent bénéficier du débat continu sur la

réforme et les sexospécificités, il convient de comprendre la relation qui existe entre les

maladies parasitaires, entre les maladies parasitaires et non parasitaires et les

déterminants de la maladie aux différentes tranches d’âge, pour les hommes et pour les

femmes. Actuellement, les statistiques en termes de prestations sanitaires dans de

nombreux pays ne produisent pas ces informations et ne le feront pas plus tard, du fait

de l’incertitude des données relatives aux dénominateurs disponibles pour comparaison.

Les politiques doivent tenir compte de la collecte de données fiables et logiques.

En conclusion, la mondialisation présente de nouveaux défis en termes de paludisme mais présente également des possibilités de créer des partenariats. Toutefois, comme cela a été souligné par Manderson et al (1996), l’enjeu pour les prestataires de santé dans la région sub-saharienne est à la fois politique et technique. Parallèlement à tout effort en vue d’identifier des approches durables, il convient de réitérer la proposition de nombreux chercheurs (Brems et Griffiths, 1993) selon laquelle le processus d’identification des besoins de la femme consiste à ‘écouter les femmes’.