MISSION PERMANENTE DE LA SUISSE
AUPRES DES NATIONS UNIES

Assemblée générale
58è" session Débat général
Allocution de
S.E. M. Pascal Couchepin
Président de la Confédération suisse


Monsieur le Président de l'Assemblée générale,
Monsieur le Secrétaire général,
Mesdames et Messieurs les Chefs d'Etat et de Gouvernement,
Mesdames et Messieurs les Délégués,

A l'aube du nouveau Millénaire, les chefs d'Etat et de Gouvernement des pays Membres se sont réunis ici pour affirmer des objectifs communs. Trois ans plus tard, cet apparent consensus international s'est érodé. Les Etats membres n'ont pas la même perception des menaces. Ils n'ont pas les mêmes priorités. Certains pays privilégient la lutte contre le terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive. Dans d'autres régions du monde, les guerres civiles, les armes légères, la pauvreté, la faim, le sida sont les principaux dangers.

Peut-on parvenir au sein de la communauté internationale à un consensus sur les objectifs à atteindre et les moyens d'y parvenir ? Quelle importance voulons-nous accorder à la coopération multilatérale ? N'est-il pas temps de revoir le système de sécurité collective hérité de la Seconde guerre mondiale ? Ne faut-il pas entreprendre une réforme radicale des Nations Unies ?

Qu'autant de chefs d'Etat et de Gouvernement aient répondu à l'invitation du Secrétaire général est un début de réponse. C'est un signe encourageant que les pays membres veulent s'appuyer sur l'Organisation des Nations Unies pour chercher des solutions. Nous devons saisir l'occasion de ce débat pour réaffirmer notre attachement à la coopération multilatérale et aux buts des Nations Unies.

La vie en société suppose un minimum d'ordre, de règles et de solidarité. Cela vaut aussi pour la vie internationale. La Suisse attache une grande importance au respect du droit international. Cela explique son engagement en faveur du droit humanitaire ou de la Cour pénale internationale. Sans droit international, de nombreux pays se sentent livrés à la loi du plus fort. Les grandes puissances, comme les moins grandes, ont besoin du cadre multilatéral pour résoudre leurs divergences.

Le moment est venu de réfléchir au rôle des Nations Unies. Près de soixante ans après la fondation de l'Organisation, les menaces ont changé, les réalités géopolitiques se sont modifiées. Le terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive ont pris des formes plus dangereuses.

Les guerres civiles se sont multipliées. Le sida est devenu l'épidémie la plus meurtrière de l'histoire de l'humanité. La pauvreté n'a pas été éliminée.

La sécurité ne peut plus être abordée en termes purement militaires. Il faut revoir notre vision de la sécurité en plaçant davantage les personnes au coeur de la réflexion. En élargissant notre approche de la sécurité, en mettant un accent nouveau sur la sécurité humaine, nous pouvons surmonter une partie des divergences actuelles entre le Nord et le Sud.

Aux côtés d'autres pays, la Suisse s'efforce de promouvoir cette idée de sécurité humaine. Elle s'engagera cette année sur les thèmes de la prolifération des armes légères et des mines antipersonnel. Nous espérons que l'Assemblée générale créera un groupe de travail chargé d'élaborer un instrument de marquage et de traçage des armes légères. Si les membres de l'Organisation l'acceptent, la Suisse est prête à en assumer la présidence. Le Gouvernement suisse s'engage aussi sur le thème des migrations. Avec d'autres pays, nous travaillons à l'établissement d'une commission mondiale sur les migrations internationales qui sera J chargée de faire des propositions.

Pour améliorer la sécurité humaine, nous devons aussi tenir les promesses faites en matière de développement.

Dans la Déclaration du Millénaire, nous avons pris l'engagement de faire en sorte que "la mondialisation devienne une force positive pour l'humanité tout entière". A cette fin, nous avons adopté une série d'objectifs précis, assortis d'échéances. Mais proclamer des objectifs ne suffit pas; il faut maintenant les concrétiser. Si les pays riches ne tiennent pas leurs promesses, ils finiront par désespérer les pays pauvres.

A Cancùn, les membres de l'Organisation mondiale du commerce ont tenté de relancer la libéralisation du commerce. Malgré un rapprochement des positions, des désaccords persistent et le risque d'un échec durable existe. Cela signifierait un déficit de croissance à l'échelle mondiale, qui affecterait toutes les nations. Il faut redonner une chance à la négociation et éviter la tentation du protectionnisme.

Mesdames et Messieurs,

Affirmer sa conviction dans le système multilatéral n'empêche pas d'en dénoncer les lacunes. Il est nécessaire d'approfondir la réforme de l'Organisation des Nations Unies.

La Suisse estime que le rôle de l'ONU dans les questions économiques et sociales doit être redéfini. Nous devons mieux tenir compte des liens entre la sécurité internationale et le développement économique. Les relations entre l'ONU, les institutions de Bretton-Woods et l'OMC mériteraient d'être réexaminées, par exemple par un groupe de personnalités indépendantes.

Notre attention doit porter également sur le fonctionnement de l'Organisation. A l'Assemblée générale, les résolutions prises se réduisent trop souvent au plus petit dénominateur commun ou à une longue liste informe de désirs, sans impact réel. L'Assemblée générale doit être revitalisée. Il faut réduire le nombre de points à traiter, limiter la longueur des textes, éviter la multiplication de résolutions sur des thèmes qui se recoupent.

En ce qui concerne le Conseil de sécurité, il y a consensus sur le fait que sa composition ne reflète plus assez les réalités géopolitiques contemporaines. Mais nous divergeons quant aux moyens d'y remédier.

La Suisse soutient l'idée d'un élargissement du Conseil. Un élargissement peut se faire sans nuire à son efficacité, si l'augmentation du nombre de membres est raisonnable et tient compte des différentes sensibilités régionales.

Ces dernières années, les possibilités de participation aux travaux du Conseil des pays nonmembres se sont accrues. La Suisse salue ces efforts. Cependant, les discussions essentielles restent confinées au cercle restreint des cinq membres permanents. Tous les membres du Conseil devraient être associés en permanence aux processus de décision. Il faudrait aussi institutionnaliser les moyens de participation des autres membres de l'Organisation. On devrait renforcer, par exemple, les mécanismes de consultation avec les Etats les plus directement concernés par les foyers de tension. Ne faudrait-il pas aussi que les membres non permanents du Conseil se sentent davantage appelés à représenter les vues de ceux qui les ont élus?

Le droit de veto est un privilège qui implique des responsabilités particulières. Il ne devrait être utilisé qu'à titre exceptionnel.

Lorsqu'un membre permanent fait usage de son droit de veto, ne serait-il pas souhaitable qu'il s'en explique après coup devant l'Assemblée générale ? Ne serait-ce pas un moyen de mieux faire comprendre sa position à la communauté internationale ?

Un autre objectif des réformes est l'ouverture à la société civile. La Suisse se félicite de la décision du Secrétaire général d'établir un panel d'experts afin de réfléchir aux moyens d'y parvenir.

C'est dans cet esprit d'ouverture à la société civile qu'est préparé actuellement le Sommet mondial sur la société de l'information, qui se tiendra en décembre à Genève. Plus de la moitié de l'humanité n'a aucun accès au téléphone. L'usage de l'internet est plus limité encore. L'objectif du Sommet est de discuter des moyens de réduire le fossé numérique entre pays riches et pauvres. Les nouvelles technologies doivent être au service du développement, des droits de l'homme et de la démocratie.

J'invite tous les pays membres à participer activement à ce Sommet. De nombreux chefs d'Etat et de Gouvernement ont annoncé leur participation et je m'en réjouis.

Chers collègues des pays industrialisés,

Nous devons prendre nos responsabilités ! Je vous appelle à ne pas manquer ce rendez-vous important. Nous avons besoin d'un dialogue Nord-Sud au plus haut niveau. Je l'ai déjà dit, nous devons tenir nos promesses.

L'Irak a cristallisé ces derniers mois une partie des tensions internationales. Nous devons aujourd'hui trouver ensemble des solutions pour l'avenir. Nous sommes tous confrontés au même danger : celui d'un Irak en proie au désordre et à l'instabilité. L'ONU doit jouer son rôle en Irak et recevoir un mandat plus clair du Conseil de sécurité. Il faut aussi avancer résolument vers le rétablissement de la souveraineté de l'Irak.

La Suisse a une longue histoire de cohabitation entre communautés différentes. Nous savons qu'aucun modèle politique n'est transposable tel quel. Mais la Suisse est prête à partager ses expériences et à fournir son appui à un processus constitutionnel en Irak.

La Suisse a adhéré à l'ONU en tant que pays neutre. Cela ne l'empêchera pas de défendre à l'ONU les valeurs universelles auxquelles elle est attachée.

Elle souhaite le faire en collaboration avec les autres pays membres et en s'appuyant sur les forces de l'Organisation. J'aimerais rendre ici hommage à l'ONU et à tous ses collaborateurs qui viennent d'être durement éprouvés à Bagdad. L'ONU et ses organisations spécialisées accomplissent chaque jour aux quatre coins du monde un travail irremplaçable.

Monsieur le Secrétaire général, vous avez dit de la paix qu'elle était "un rêve en suspens". Je crois que cela s'applique aussi aux autres idéaux qui animent l'Organisation des Nations Unies : la justice, la solidarité, le respect de l'être humain. Il faut une part de rêve dans la vision des Nations Unies, mais aussi de l'action, du réalisme, du courage et de la ténacité.

Je vous remercie de votre attention.