LIBAN
DISCOURS
DE S.E. MONSIEUR JEAN OBEID
MINISTREDES
AFFAIRES ETRANGERES ET DES EMIGRES
DURANT
LA 58EME SESSION DE L'ASSEMBLEE GENERALE DES NATIONS UNIES
NEW
YORK MERCREDI 24 SEPTEMBRE 2003
Monsieur le Président,
Si cette Session se distingue particulièrement par un remarquable
afflux de Présidents et de Chefs de Gouvernement, ce n'est certes
pas par souci de se plier à un rituel ou de se conformer à
un engagement périodique fixé par des dates contraignantes.
C'est plutôt l'état du monde qui l'exige, puisqu'en tout
point de cette planète et jusqu'aux fonds de conscience de notre
race humaine, s'avive le conflit entre l'angoisse et l'espoir, la sécurité
et le désarroi, la force et la faiblesse, le surplus et le besoin,
l'abondance et la faim, la liberté et la répression.
Notre retour collectif vers cette Assemblée répond à
un désir de remonter aux sources, vers les origines, et les principes
fondateurs que notre monde actuel, à force de s'en écarter,
a failli perdre, tout en se perdant avec ou à cause d'eux.
Nous revenons à l'Organisation-Mère comme des enfants, qui
pourtant différent en conditions et en qualifications. On y retrouve
l'obéissant et le rebelle, l'oppresseur et l'opprimé. De
même qu'on retrouve cette Organisation-mère atteinte, blessée,
comme d'ailleurs certains de ses enfants, par les flèches d'autres
enfants qui sont les siens.
Monsieur le Président,
Toute atteinte à la Mère de la légalité internationale
est une atteinte qui nous touche unanimement. Et le qualificatif de «
martyrs de l'humanité » ne peut mieux convenir à une
victime comme il convient à ses fils, tombés en accomplissant
leur mission: du Comte Bernadotte à Dag Hammarskjôld jusqu'à
Sergio Vieira de Mello, ainsi que tous ceux qui ont mérité
la noblesse du martyr dans cette auguste Organisation.
Monsieur le Président,
L'Organisation des Nations Unies n'est pas, dans l'esprit et l'espoir
de notre monde, un simple recours pour défendre les droits des
faibles et des démunis, mais aussi et surtout l'instance qui dissuade
les forts, en vue de brider leur arrogance et de leur rappeler leurs devoirs
et engagements.
Notre région et notre pays ont plus que d'autres, longtemps souffert,
et continuent à souffrir du recours à la force aux dépens
du droit.
C'est justement lorsque l'écart s'est élargi avec l'esprit
de l'Organisation Internationale et de sa raison d'être, que les
guerres et les injustices se sont succédées, notamment depuis
qu'a été fondée, sur les décombres du peuple
de Palestine, une entité qui ne reconnaît aucune frontière,
ni la sienne, ni celle des autres.
A Madrid, l'effort international a entériné des approches
globales et justes en vue d'un règlement pacifique du Conflit au
Proche-Orient. Ces approches ont engendré des principes de base
et des acquis qu'il est difficile de méconnaître ou de remettre
en cause. Mais depuis, sont apparues des approches partielles qui n'ont
clairement pas réussi, comme la suite des évènements
l'a prouvé, à réaliser la paix, instaurer la sécurité
et assurer la stabilité.
Il est devenu certain, sauf pour les opiniâtres en Israël,
qu'il ne saurait y avoir de sécurité sans solution politique,
ni de solution politique pacifique partielle indépendamment d'une
solution globale, s'inspirant de l'esprit de justice, des principes de
Madrid et de l'Initiative arabe de Paix entérinée au Sommet
de Beyrouth. Il s'agit d'une solution basée sur les résolutions
pertinentes des Nations Unies qui rendrait au Liban le reste de ses territoires
sous occupation israélienne y compris les fermes de Chebaa, à
la Syrie ses territoires occupés jusqu'à la ligne du 4 juin
1967, et
qui permettrait aux réfugiés palestiniens de réaliser
ce droit légal éthique et humain qu'est le droit de retour
dans leurs terres.
Et tout ceci couronné par la création d'un Etat palestinien
souverain, indépendant, stable, viable, avec pour capitale Al-Qods
al charif.
Monsieur le Président,
Les faits sur le terrain sont en flagrante contradiction avec tout ce
qui précède, puisque le Gouvernement israélien persiste
à construire des colonies, à prononcer des peines sans jugements,
à tuer les hommes, les femmes et les enfants, à démolir
les maisons, à arrêter et assassiner de manière préventive.
A l'image de la Palestine, le Liban subit les menaces, les agressions,
et les violations aériennes, terrestres et maritimes d'Israël,
de façon continue, provocatrice et dramatique, comme l'a affirmé
le Secrétaire Général et son Représentant
dans la région; cette situation nécessite des pressions
de la part de la Communauté Internationale sur Israël pour
mettre fin à ces violations persistantes.
De même, Israël continue à retenir des prisonniers et
des détenus libanais en otages sans jugement, au mépris
du droit international. En outre, Israël garde toujours ce qui reste
des cartes qui localisent les champs de mines déposées durant
son occupation, sans oublier son recours persistant à la politique
de liquidation et sa convoitise pour l'eau et les ressources naturelles
du Liban.
Monsieur le Président,
Il me faudrait attirer l'attention de notre Assemblée à
la question du droit au retour des réfugiés palestiniens,
question qui pourrait, si elle n'est pas réglée, mettre
le Proche-Orient en entier en situation d'instabilité permanente.
Le Liban, pour sa part, que ce soit au niveau de son gouvernement ou de
son peuple, s'attache à la réalisation de ce droit, et le
considère comme légal, naturel et moralement incontournable.
A partir de là, il est inadmissible d'évoquer ce qu'on appelle
« les solutions réalistes » à ce problème,
contraires par leur essence aux principes du droit international et à
l'esprit de justice.
En tout état de cause, l'attachement au droit de retour et le refus
de l'implantation des réfugiés palestiniens sont à
la base de la "concorde libanaise" qui a mis fin à la
guerre et a abouti à l'Accord de Taëf, entériné
par les Nations Unies.
Je tiens à réaffirmer que ces choix et ces positions, relatifs
au Liban et au Proche-Orient, ne sont pas des choix occasionnels qui pourraient
changer en fonction des changements des rapports de force, mais des choix
fondés sur le droit et la morale, conformes avec les besoins de
la paix juste, seule capable de garantir la pérennité et
l'inviolabilité de tout règlement éventuel du Conflit
israélo-arabe. .
Ceci est à notre sens conforme avec les efforts de l'Organisation
des Nations Unies, en ce qu'elle tend à raffermir son rôle
et réaliser ses objectifs, surtout ceux partagés avec la
mission des co-parrains du Processus de Paix et avec le rôle dévolu
à l'Union européenne.
Monsieur le Président,
Il est dans l'intérêt d'Israël de retourner dans la
voie de la raison et de la justice, et il va de la responsabilité
de la Communauté internationale de l'y ramener après que
ses gouvernements ont échoué à le faire.
Car, en Israël; le gouvernement actuel préféré
réciter le bréviaire des droits et ignore celui des devoirs.
Et nous considérons qu'il serait infiniment dangereux de lire dans
un seul bréviaire, quel qu'il soit.
Ce même gouvernement construit un mur de séparation avec
le peuple de Palestine, sous le prétexte de la sécurité,
et en érige un autre, plus grand, plus monumental et plus injuste
entre le plus puissant des pays occidentaux et le reste du monde, et notamment
le monde arabe et musulman. C'est ainsi qu'Israël sert ou appuie
ceux qui veulent provoquer un conflit entre l'Orient et l'Occident, entre
l'Islam et le Christianisme, entre les civilisations, les cultures et
les religions, au moment où il s'agit, en tout état de cause,
d'une civilisation humaine unique, de valeurs divines communes, d'une
seule Foi en un seul Dieu, aussi diverses que sont les voies et nombreux
les prophètes.
Et au sein du gouvernement israélien, il y a ceux qui ont recours
à la violence quotidienne pour soumettre l'autre, ignorant ou feignant
d'ignorer que la violence provoque l'insoumission, que les oppresseurs
et les victimes se sont souvent échangés les rôles
et que ceux qui exerçaient leur domination en certaines périodes
historiques ont vu leur hégémonie décliner sans retour,
et oubliant que la pérennité revient uniquement à
Dieu, ainsi qu'aux valeurs de l'égalité, l'équité
et la justice entre les hommes.
De même qu'au sein du gouvernement israélien, il y a ceux
qui ont été élus par l'extrémisme -- un extrémisme
qui a renversé un prédécesseur et assassiné
un autre -et qui n'hésitent pas à accuser d'extrémisme,
d'une manière restrictive, des arabes et des musulmans.
Et au sein d'Israël, il y a ceux qui veulent à tout prix consacrer
ce pays en forteresse au-dessus de la région, et non un Etat dans
la région, et ceux qui rendent la vie pour les palestiniens pire
que la mort, affichant une étrange détermination à
faire mourir les Israéliens avec les Arabes dans la guerre au lieu
de vivre avec eux dans la paix.
Au sein du gouvernement israélien, il y a ceux qui feignent ignorer
que le Liban, la Syrie et le droit au retour forment un passage obligé
pour le règlement du conflit et l'instauration de la paix juste,
globale, permanente, et ceux qui, par contre, essaient désespérément
par le biais de certains faibles d'esprit, de raviver les conflits entre
les Palestiniens eux-mêmes, ou entre Libanais, ou entre Libanais
et Syriens, ou encore entre arabes et arabes, au lieu de chercher à
régler le conflit entre tous les arabes et Israël, d'une manière
généreuse, juste, globale et équitable.
Le gouvernement israélien pense plutôt qu'il est plus important
de gagner du temps que de gagner la paix, et qu'il vaut mieux jouer sur
les différents volets et problèmes que de chercher à
résoudre le conflit dans tous ses volets et problèmes. Ceci,
en pensant que l'intimidation pourrait transformer l'injustice en droit,
le droit en injustice et l'occupation en indépendance.
Ce même gouvernement s'attache à la devise de sa souveraineté
absolue, et à la souveraineté violée par Israel ou
partagée avec les autres, limitant le rôle de son plus important
allié à l'octroi d'argent et d'armes, et refusant même
de lui donner le droit de lui prodiguer des conseils; et si le conseil
porte par exemple sur la
construction en cours du mur de séparation et de discrimination,
le conseil du plus puissant Etat est ignoré et le mur élevé.
Monsieur le Président,
Plus d'un péché est souvent engendré par le trop
plein de tolérance aux fautes, et le trop plein de chaos dans les
critères et les mesures a pour cause une utilisation discriminatoire
de ces critères en matière de justice et de résolutions
internationales.
Et il n'est de la justice en rien, ni de la sagesse, ni de la sécurité,
ni de la paix, de persister dans cette impuissance flagrante que les grands
pays n'arrivent pas à dépasser à cause de la dualité
des critères et de la pluralité des poids et des mesures
quand il s'agit d'Israël, et de la rigueur du critère et de
la mesure quand il ne s'agit pas d'Israël, mais des autres parmis
les faibles, les opprimés et les Etats.
Monsieur le Président,
Ceci nous amène évidement à évoquer la nécessité
de réformer les Nations Unies, tout autant que la nécessité
de renforcer son rôle. Ceci par la révision des mécanismes
de travail du Conseil de Sécurité, l'élargissement
du nombre de ses membres, en vue de lui donner plus de poids dans la prise
de décision et de renforcer l'aspect consultatif et démocratique
qui devrait présider aux travaux de notre Organisation Internationale.
Ces réformes répondraient de manière juste et efficace
aux nouveaux défis qui menacent la sécurité du monde,
et formeraient un élément d'équilibre et de stabilité
dans les relations internationales, surtout si elles s'accompagnent d'une
modernisation du travail des organes des Nations Unies et d'une rationalisation
qui aboutirait à écarter l'utilisation du droit de veto
de cette manière qui entrave la justice et l'application du droit
dans le monde.
Monsieur le Président,
En Irak aussi s'élève un appel grandissant pour un retour
aux Nations Unies et à son rôle central pour aider le peuple
de l'Irak à préserver son unité, à reprendre
les rênes de son destin et la maîtrise de son gouvernement,
à mettre fin à l'occupation de son territoire, à
former les moyens de gérer ses ressources, à choisir les
termes de sa propre Constitution et à élire ses dirigeants
par une décision libre.
Il est possible qu'une seule partie fasse la guerre par l'air, mais la
paix sur terre ne peut se faire qu'avec les autres, à l'intérieur
de l'Irak, de même qu'en consultation avec son voisinage et avec
l'aide des Nations Unies.
La paix en Irak et son destin exigent que les Irakiens soient libérés
de l'occupation dans les plus brefs délais, tout en oeuvrant dans
le cadre des Nations Unies qui seraient amenées à jouer
un rôle politique central et élargi, et non limité
aux seules questions sociales.
C'est là l'appel fondamental des événements et des
tragédies, mais aussi du peuple d'Irak. Seul l'ignorant ou celui
qui feigne l'ignorance, refusent d'écouter et de saisir les conclusions
avant qu'il ne soit trop tard.
Monsieur le Président,
Les débuts de ce siècle ont été marqués
par la violence et le terrorisme qui ont révélé leurs
pires aspects dans les tragédies et les crimes du 11 septembre
et ont ouvert la voie à la recrudescence conséquente des
appels à l'extrémisme et au conflit de civilisations. C'est
pourquoi nous refusons de nous soumettre au pire des maux qui menacent,
la paix et l'unité de notre planète.
Le Liban a été à la tête des pays pris comme
cibles du terrorisme via certains groupes d'extrémistes, mais il
y a fait face courageusement et fermement, tout en restant confronté
au terrorisme d'Etat pratiqué par Israël et qui a causé
la mort, les préjudices et le déplacement de milliers de
Libanais, et a détruit secteurs vitaux et les infrastructures du
pays.
Et si nous distinguons entre le terrorisme et le droit des peuples dont
les territoires sont occupés, à résister et à
libérer leurs terres, dans les limites agréés par
les résolutions de la légalité internationale et
par la Charte des Nations Unies, notre pays condamne clairement et vigoureusement
toute forme de terrorisme, en ce qu'il constitue un danger qui menace
l'humanité toute entière, sans distinction de race, de couleur
ou de religion. En outre, le Liban renouvelle son engagement à
poursuivre sa coopération avec la Communauté Internationale
pour lutter contre ce fléau aux dégâts globaux et
aux préjudices énormes.
Monsieur le Président,
Je ne manquerai pas, à la fin de mon discours, de vous adresser
mes félicitations pour votre élection à la présidence
de notre Assemblée Générale, vous souhaitant le succès
dans votre mission. Je voudrais saluer aussi les efforts de Son Excellence
Monsieur le Secrétaire Général Kofi Annan en vue
de renforcer les chances de paix, de stabilité et de développement
dans le monde. Je voudrais aussi louer hautement le rôle des forces
des Nations Unies au Sud-Liban, tout en espérant qu'elles arriveront
à terminer le mandat qu'il leur reste à accomplir tel que
défini dans la résolution 425, après que le Liban
a pu libérer la plus grande partie de son territoire.
Le Liban a longtemps refusé et refusera toujours les attitudes
de repli et de rigorisme, optant pour le dialogue et l'interaction humaine
et civilisationnelle riche et créatrice. Il restera fidèle
à cette mission-ci et veillera, en dépit des défis,
à renforcer l'Etat de droit, dans le verbe et dans l'acte, et à
promouvoir les valeurs de liberté et de démocratie qui sont
celles des Nations Unies et du Liban, et cela depuis son inception.
/Je vous remercie,
Monsieur le Président.
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