BELGIQUE - 58eme Assemblée Générale des Nations Unies 23 septembre 2003 DISCOURS DU VICE-PREMIER MINISTRE Monsieur le Président, Je vous présente mes très sincères félicitations pour votre accession à la Présidence de l'Assemblée générale. Celle-ci intervient à un moment particulier que je qualifierais même de douloureux pour l'histoire de notre Organisation. L'année écoulée a, en effet, très sérieusement mis à l'épreuve la capacité de l'Organisation des Nations Unies à gérer jusqu'au bout la crise irakienne dont elle avait la charge. Elle a vu remettre en cause le rôle prééminent de maintien de la paix et de la sécurité internationales de cette institution, symbole du multilatéralisme et de la stabilité. Pourtant, ce n'est pas la capacité intrinsèque de notre
institution qui est la cause de son impuissance. C'est essentiellement
le manque de volonté politique de ses membres. Nous ne pouvons
éternellement éluder ce débat vital pour l'avenir
d'un monde pacifié, plus harmonieux et plus juste. Il faudra bien
que, à un moment ou à un autre, nous répondions à
cette question existentielle. Comment faire en sorte que tous les Etats
Membres des Nations Pour qu'on me comprenne bien et qu'il n'y ait aucun malentendu, la question que je pose est la suivante. Quelles réformes faut-il apporter au fonctionnement de notre Organisation pour rencontrer les appréhensions ou les réticences parfois légitimes de ceux qui, parce qu'ils exercent des responsabilités politiques particulières, refusent de soumettre leurs options géostratégiques aux règles de notre Organisation ? Tant que nous ne serons pas à même de répondre à
cette interrogation, nous continuerons à vivre dans le doute et
l'incertitude, sinon dans l'impuissance. Il ne s'agit pas ici de plaider
pour un bouleversement institutionnel de l'Organisation, mais plutôt
pour un débat qui devrait permettre de lever les malentendus trop
nombreux qui ruinent la crédibilité de notre instrument
commun et ensuite d'en tirer les conclusions qui permettraient d'actualiser
et de crédibiliser son fonctionnement. Le Conseil de sécurité
a été fondé sur la reconnaissance de la responsabilité
et du rôle particulier de certains d'entre nous. Et j'y souscris
pleinement. Mais ne faut-il pas intégrer dans cette réalité
de nouveaux paramètres comme, par exemple, la dimension régionale,
les données géopolitiques d'aujourd'hui et aussi les nouvelles
menaces ? Ceci ne vise en aucune manière à contester le poids spécifique de certains dans la gestion de la paix et de la sécurité internationales. L'appui de nous tous pourrait au contraire accompagner, légitimer et renforcer leur démarche et leur efficacité par la plus-value indiscutable de la dynamique multilatérale. Cela éviterait, dans bon nombre de cas, des prises de risques inutiles et des malentendus. A ce propos, j'estime que l'Union européenne par le rôle qu'elle joue en tant qu'acteur global mériterait un siège permanent en son nom propre. C'est cette conviction qui a inspiré la position de mon pays dans la crise irakienne. Mais aujourd'hui, le moment n'est pas de débattre à perdre haleine sur la question de savoir qui avait raison ou qui avait tort. Les uns et les autres avaient leurs raisons. C'est respectable. Maintenant, il s'agit de contribuer à rétablir la stabilité et à assurer la reconstruction de l'Irak. Et cela, c'est notre responsabilité à tous, car il s'agit d'une région voisine de l'Europe et nous ne pouvons pas, ne fût-ce que pour notre propre sécurité, tolérer que l'instabilité s'aggrave ou que la spirale de la violence se poursuive de manière incontrôlable, nourrissant les ressentiments vis-à-vis de la communauté internationale, ce qui - l'histoire nous l'a assez appris - constitue le principal ferment du terrorisme. Il faut donc arrêter au plus vite la violence. Pour y parvenir,
je partage l'opinion du Secrétaire général et de
nombreux d'entre nous. Il faut le plus rapidement possible redonner aux
Irakiens la responsabilité de la gestion de leur pays. Ce retour
à la souveraineté, sous l'oeil vigilant des Nations Unies
et de l'ensemble de la communauté internationale, est susceptible
de créer le choc salutaire requis pour inverser la tendance actuelle.
Nous devons convaincre les Irakiens que l'union nationale, le rétablissement
de l'autorité de l'Etat, le redressement de l'économie,
sont accessibles. Ceci ne signifie évidemment pas que la communauté
internationale doive se démobiliser. Il faudra encore longtemps
en Irak une force militaire d'envergure pour garantir la stabilité.
Il appartient bien sûr aux Etats-Unis d'en assurer la direction. Les Nations Unies ont un rôle central à jouer pour accompagner le processus de reconstruction politique de l'Irak, même si les événements tragiques du mois d'août en ont montré les risques et le caractère délicat. Un tel rôle suppose toutefois un mandat clair et des moyens suffisants. Je veux ici réitérer au Secrétaire général, aux familles et aux collègues mes plus sincères condoléances et exprimer mon estime et mon admiration à tous les membres du personnel des Nations Unies pour leur engagement, leur abnégation et les sacrifices qu'ils consentent de manière si constante.
La principale menace en termes de sécurité est la prolifération incontrôlée des armes de destruction massive ainsi que leur usage potentiel par certains Etats en rupture de règles éthiques minimales ou par certains mouvements terroristes. Cette menace est grave. Nous devons y faire face tous ensemble, en prenant chacun notre part des actions entreprises. L'Union européenne et ses Etats membres ont désormais en main un document essentiel : celui de la Stratégie européenne de sécurité. Il doit nous permettre, comme l'évoquait encore tout récemment à Bruxelles Javier Solana, de définir une grille de lecture européenne des défis de ce monde, pour mieux garantir l'efficacité de notre système de sécurité collective. La Belgique participera activement à ce projet. Nous partageons par ailleurs pleinement les inquiétudes de la
Communauté internationale à propos du programme nucléaire
de la Corée du Nord. Nous appelons fermement la Corée du
Nord à revenir à ses engagements internationaux. Nous remercions
la Chine d'avoir offert à cet égard un format utile de discussion. Quant à l'Iran, je suis confiant que, au travers d'un dialogue soutenu et constructif, il rencontrera les attentes de la Communauté internationale et répondra aux exigences de l'AIEA. La Belgique continuera aussi à participer avec détermination et de manière proactive à l'effort international entrepris depuis deux ans pour traquer le terrorisme. Il n'y a pas et il n'y aura jamais en Belgique de sanctuaire pour le terrorisme. En revanche, la lutte contre le terrorisme ne saurait constituer une justification abusive pour des actions qui mineraient la qualité démocratique et les principes sacrés de l'Etat de droit. De même, je ne suis pas de ceux qui pensent que l'option militaire, même s'il ne faut bien entendu pas l'exclure, est la réponse exclusive. Il s'agit, beaucoup plus fondamentalement, de s'attaquer systématiquement aux causes profondes d'un phénomène qui souvent s'enracine dans l'impression d'impuissance ou dans les sentiments d'injustice soupçonnée ou réelle. C'est pourquoi la Belgique continue aussi à agir de concert avec
ses partenaires européens pour soutenir l'action du Quartette pour
le rétablissement de la paix entre Israël et l'autorité
palestinienne. Pour y arriver, il faut que les Palestiniens décident
sans ambiguïté de renoncer à tolérer la violence
aveugle et qu'Israël renonce dans le même esprit à privilégier
la voie de la force.
C'est en Afrique et particulièrement en Afrique centrale, que
mon pays s'implique de la manière la plus convaincue pour le rétablissement
de la paix et de la stabilité. Nous sommes encouragés par
le succès de la mise en place à Kinshasa d'un gouvernement
de transition associant toutes les parties. Il s'agit maintenant de rétablir
les structures de l'Etat, d'imposer la bonne gouvernance pour permettre
le retour de l'aide et des opérateurs économiques étrangers.
Il faut aussi éteindre les foyers de violence encore actifs à
l'Est du pays. Quant au Burundi, il s'agit de poursuivre la mise en oeuvre des accords
d'Arusha et de convaincre les rebelles d'accepter de s'inscrire dans ce
processus. Mon pays se réjouit de participer activement à
l'action nouvelle décidée par le Conseil économique
et social en faveur du Burundi et espère que cette action contribuera
à sortir ce pays de l'isolement dont il souffre au sein de la Communauté
internationale. Enfin, mon pays suit aussi de très près
les efforts des Nations Unies pour relancer le projet de conférence
des Grands Lacs, qui devrait définitivement consacrer le rétablissement
des relations pacifiques et le développement de la coopération
transfrontalière entre les pays de la région. Monsieur le Président, La crédibilité des Nations Unies ne tient pas seulement
à sa volonté et à sa capacité de gérer
les crises ; elle repose aussi sur sa capacité à répondre
aux attentes des hommes, des femmes et des enfants, dans le monde entier,
qui sont confrontés directement ou indirectement aux déséquilibres
et aux injustices dont tant la cause que la solution ne peuvent se trouver
qu'au niveau mondial. Il est impératif de maîtriser la globalisation,
d'en valoriser les promesses et d'en corriger les dérives. Il est clair que, conformément à l'analyse du Secrétaire
général, ce défi nécessitera une réflexion
fondamentale sur l'architecture des grands outils du développement.
Celle-ci demandera une ouverture d'esprit et ne devrait exclure à
priori aucune option. Le moment n'est-il pas venu de renforcer la capacité
des Nations Unies d'agir véritablement dans ce domaine ? Je désire
ici répéter la question que je posais dans le cadre de la
Conférence de l'OMC à Cancun. Ne faudrait-il pas, par exemple,
créer un véritable Conseil de sécurité économique
et social qui dispose du même pouvoir dans la gestion des politiques
économiques, sociales et environnementales que le Conseil de sécurité
dans les questions de paix et qui puiserait sa légitimité
et son efficience dans le droit ? J'en suis d'autant plus convaincu que
ces domaines constituent la toile de fond indispensable à la stabilité
et la sécurité. Une réforme de l'ECOSOC s'impose pour lui rendre un rôle
opérationnel plus décisif dans la maîtrise d'une organisation
du monde fondée sur des principes universels d'équité.
Un tel objectif doit consacrer les synergies les plus larges et les plus
équilibrées entre les organisations internationales comme
la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire International, l'Organisation
Mondiale du Commerce et l'OIT qui devraient devenir vraiment les instruments
d'un même projet. Des référents fondateurs d'un tel concept existent déjà
et sont consacrés dans certains Etats, dont le mien. Je pense plus
particulièrement aux normes fondamentales de travail telles que
la liberté syndicale, l'interdiction du travail des enfants, du
travail forcé, le droit à des emplois de qualité
ainsi qu'à des obligations environnementales vitales pour assurer
le caractère durable du développement. Je pense également
à la nécessité d'exclure de la sphère marchande
les services d'intérêt général. Monsieur le Président, Il me semble qu'une telle ambition traduirait opportunément l'espérance suscitée par le Sommet du Millénaire. La Déclaration du Millénaire avait bien défini les objectifs à poursuivre à notre niveau. Je me réjouis de la décision prise par l'Assemblée de faire du bilan « cinq ans après » du Sommet du Millénaire, en 2005, un événement important, c'est-à-dire, à mon sens, un Sommet des Chefs d'Etat et de gouvernement. Celui-ci devra non seulement évaluer la mise en couvre des objectifs du millénaire mais aussi celle des engagements pris par l'ensemble des grandes Conférences des Nations Unies. Mais la réussite de ce Sommet implique d'aller au-delà pour forcer enfin un acte fondateur audacieux qui permettrait de combler durablement les inégalités entre les pays riches et les pays pauvres et de nourrir de manière irréversible la confiance indispensable dont le monde a besoin pour être plus juste, plus solidaire, plus humain et plus sûr. Je vous remercie, Monsieur le Président. |