ANDORRE

DISCOURS DE

S.E. M. MARC FORNÉ MOLNÉ

PRÉSIDENT DU GOUVERNEMENT DE LA PRINCIPAUTÉ D'ANDORRE

Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire Général, Excellences, Mesdames et Messieurs,

Au cours de ces deux dernières années, les attaques du 11 septembre, les guerres en Afghanistan, en Iraq et en Afrique ont bouleversé le monde.

Jamais les Nations Unies n'avaient été si nécessaires et, en même temps, jamais son efficacité n'avait été tant remise en cause. Jamais non plus, jusqu'en mai dernier, et encore cette semaine, à Bagdad, son personnel n'avait été l'objectif direct de si graves attentats.

En Principauté d'Andorre, entourés que nous sommes des hautes montagnes des Pyrénées, nous avons vécu en paix et en démocratie avec nos voisins durant plus de sept cents ans. Depuis 1419, notre Parlement se réunit pour débattre des problèmes de nos gens. Ce n'est pas seulement le fait d'être petits ni notre isolement qui nous a tenu écartés des guerres qui dévastèrent l'Europe. Mais c'est plutôt notre désir d'indépendance, l'unité de notre peuple et notre habileté à l'heure de savoir nous entendre avec nos puissants voisins ce qui font de l'Andorre l'un des plus anciens pays démocratiques du monde.

Au cours du dernier demi-siècle, depuis la création des Nations Unies, le monde a bien changé, et l'Andorre aussi. Il y a moins d'un siècle, on ne pouvait y arriver qu'à cheval. À présent, les routes nous apportent plus de 12 millions de touristes par an. Les téléphones, les ordinateurs, les satellites et bientôt les avions, apportent le monde en Andorre et font que nous aussi nous sortions dans le monde. À l'époque de mes grands-parents, les andorrans ne s'éloignaient guère de leurs montagnes, aujourd'hui nous voyageons dans le monde entier. L'un des moments particulièrement heureux de la longue histoire de notre pays fut ce jour de 1993 - il y a maintenant 10 ans lorsque nous sommes devenus Etat membre de l'Organisation des Nations Unies. Nous y sommes entrés remplis d'illusions et, toutes ces années durant, nous avons cru en son rôle fondamental, même si les crises peuvent avoir beaucoup affaibli cette conviction.

L'attaque perpétrée contre les États Unis marque le début d'une étape très complexe des relations entre les pays et le début de difficiles équilibres entre les endroits divers de notre planète. Cette attaque enclencha les invasions d'Afghanistan et de l'Iraq. La première avec l'accord des Nations Unies, l'autre non. Même s'il ne sert à rien de reprendre ce débat, nous devons quand même nous poser deux questions.

La première : les Nations Unies sont-elles en mesure de répondre efficacement aux menaces contre la stabilité mondiale.

Et la deuxième : jusqu'à quel point ses États membres sont-ils prêts à travailler dans le cadre des Nations Unies ?

Si nous mettions un frein à la passion, peut-être serait-il plus facile de traiter ces deux questions.

Nous sommes tous conscients des difficultés et des dangers qui menacent aussi bien les citoyens de ces pays que les troupes des nations membres qui travaillent à la stabilité dans ces lieux si affectés.

Nous souhaitons qu'une solution rapide soit trouvée aux milliers d'obstacles qui sont apparus et qui malheureusement doivent encore apparaître pour qu'il soit mis fin à ces événements, tristes et douloureux, que ces pays ont pâtis au cours de ces dernières années.

Les Nations Unies ont une responsabilité importante dans la recherche d'une issue constructive pour les peuples afghane et iraquien et dans la résolution des tensions que connaît tout le Moyen Orient. Dans ce sens, je veux manifester notre confiance dans les Nations Unies pour que ce complexe et cruel conflit, soit mis à fin pour retrouver la stabilité si nécessaire dans la région, fait si important pour le futur de l'humanité. Les Nations Unies seront trouver de nouvelles voies pour parvenir aux solutions les plus adéquates et auront un rôle primordial pour la mise en place de ces nouveaux chemins.


Excellences, Mesdames et Messieurs,

En tant qu'hommes politiques, nous sommes fiers de savoir quels sont les besoins de nos citoyens. Nous sommes étudiants à l'Université de la volonté nationale. Ceux parmi nous qui ont eu plus de succès ont cultivé un deuxième sens pour les désirs, les frustrations et les buts qui sont importants pour les citoyens. Si nous vivons dans un État démocratique et si nous ignorons ces nécessités, les votants iront très vite chercher d'autres hommes qui tiendront compte d'eux.

Les Nations Unies constituent une université différente. Ici, les leçons sur l'intérêt national doivent céder la place à une entente internationale. Dans cette Université du Monde, nos études précédentes, c'est-à-dire nos propres carrières politiques, ne peuvent nous aider qu'à court terme. Mais ce que nous apprenons ici, tous ensembles, ce sont des leçons de long terme qui peuvent nous garantir la survie du monde que nous partageons.

Bien que l'Andorre soit petite dans sa dimension, comme bien d'autres membres des Nations Unies, ce avec quoi nous devons contribuer, nous autres les petites nations, est bien plus important que la proportion de notre échelle géographique ou que la dimension toute relative de notre population. En effet, notre petite dimension nous a, par nécessité, transformé en d'attentifs observateurs des besoins des autres. Et nos siècles d'indépendance nous ont appris notre responsabilité vis-à-vis des citoyens et des pays voisins. Nous n'avons jamais oublié les liens qui nous unissent au monde. Notre histoire nous l'a appris.

Si l'on en croit la légende, l'Andorre aurait été fondée par Charlemagne qui, rappelons-le, a été un personnage historique des luttes entre l'Islam et le Christianisme de l'époque. Mais ce fut au XIII siècle que s'achevèrent les tensions religieuses entre le comte de Foix, partisan des Cathares, et l'évêque catholique d'Urgell, grâce à un accord d'équilibre qui donna naissance à l'indépendance de l'Andorre. L'Andorre naquit, en partie, comme un État d'union entre les deux puissants seigneurs, également séparés par deux conceptions différentes du christianisme : l'orthodoxe et celle des cathares.

Les cathares ne sont plus que quelque chose de très lointain dans notre mémoire historique. Mais je tiens à les nommer ici parce qu'ils nous mènent au champ de bataille des croyances. S'il fut une époque où l'Église réunissait des conciles pour lutter contre les problèmes de l'hérésie, nous nous réunissons aujourd'hui au sein des Nations Unies non pas pour insister sur une forme quelconque de croyance, mais pour reconnaître et confirmer les bases éthiques communes qui unissent toutes les idéologies sous la Déclaration des droits de l'Homme de 1948.

Le fait est que nous sommes au XXI siècle et non plus au Moyen Âge. Mais ceux qui étaient alors intégristes chrétiens et qui arrangeaient tout à force d'anathèmes, de croisades et d'expulsions, ont, à présent, cédé la place à d'autres formes d'intolérance religieuse de signes différents. C'est pourquoi il est lamentable de constater qu'il existe encore des gens qui se font tuer ou qui se tuent en invoquant le nom de leur Dieu.
Le travail que réalisent les Nations Unies ne consiste pas seulement à parler pour parler de la diversité. Nous devons progresser, en toute rigueur morale, dans une éthique de la diversité qui aille bien au-delà de la reconnaissance de la valeur de la tolérance et du pluriculturalisme et qui nous face lutter pour appliquer les principes éthiques partagés, au service de l'entente mondiale.

Excellences, Mesdames et Messieurs

En 1278, l'importance stratégique de l'Andorre résidait dans sa proximité de la frontière entre l'Europe catholique et Al-Andalus, l'Espagne islamique. Le chemin qui conduisait à la grande ville de Cordoue - où la philosophie d'Aristote a été retraduite du grec et l'arabe au latin, et est rentrée à nouveau dans la pensée de l'occident chrétien pendant la renaissance du XIIe siècle- passait tout près de notre pays.

Au centre de cette ville, les gouvernants musulmans érigèrent une surprenante mosquée, riche d'une véritable forêt de colonnes et ils la rendirent plus merveilleuse encore avec la présence, à l'intérieur, d'une synagogue. Sa beauté était telle que lorsque les chrétiens conquirent la ville ils ne la détruisirent nullement, mais la transformèrent en une cathédrale, comme la grande basilique de Constantinople qui devint la mosquée la plus grande d'Istanbul lorsque la ville tomba entre les mains de l'empire ottoman un siècle plus tard.

Il serait bon que l'on apprenne des événements de l'histoire, en tant que leçon de coexistence, en évitant les erreurs et en appréciant les moments d'ouverture au cours des siècles qui nous ont précédé.

Excellences, Mesdames et Messieurs

Nous vivons dans un monde de vastes contrastes où les progrès de la technologie, utilisés de façon périlleuse ou simplement sans précaution, loin de porter les bénéfices si péniblement recherchés, ont rendu la vie plus dangereuse et ceci à l'échelle mondiale.

Si jadis le fléau de la grande peste mit plusieurs années à traverser l'Europe, les fléaux modernes voyagent à travers le monde en quelques heures à peine, qu'il s'agisse de virus transmettant des maladies ou informatiques.

La contamination et l'effet de serre mondial nous préoccupent tous. Les étranges changements climatiques des dernières années, la pollution des grands océans et des lacs menacent notre environnement. Et pire encore : les armes nucléaires menacent la vie de tous les habitants de notre planète. Toutes ces calamités, réelles et annoncées, exigent la coopération internationale si nous voulons survivre.

Dommage que certains parmi ceux qui seraient en mesure de faire quelque chose pour éviter la dégradation de la vie sur terre, continuent de regarder ailleurs, vers les comptes des résultats des grandes entreprises qui polluent, continuent d'appliquer une politique de l'énergie fondée sur la consommation incontrôlée et à faible prix des ressources limitées.

Mesdames et messieurs,

Nous sommes devenus un monde petit.

Nous sommes devenus un petit pays, plutôt comme l'Andorre, où tous sont au courant de ce que font les autres. Et du fait d'être plus petits, la nécessité de combattre la pauvreté et la souffrance est devenue plus importante. Nous ne pouvons oublier que les images des pays plus fortunés pénètrent dans la vie des personnes du monde entier, qui vivent au milieu de la difficulté ou même en des circonstances menaçant leur vie. Peu importe que ces images soient de la propagande ou des distorsions de la réalité. La technologie moderne, la source de tant de confort et d'avantages, montrent également toute l'échelle de nos différences.

Nous devons apprendre à traiter toutes les personnes du monde comme nous voudrions traiter nos citoyens plus proches. Nous devons insister sur une vie décente pour tout le monde, pour toute l'Humanité.

L'Andorre a manifesté son soutien à l'aide au développement partout dans le monde. Depuis 1995 nous avons augmenté progressivement notre apport budgétaire et d'ici deux ans, nous consacreront 0,7% de notre budget à l'aide au Tiers monde. Notre philosophie de développement apporte son soutien à des institutions des Nations Unies qui recherchent des solutions à petite échelle, qui encouragent l'estime de soi et l'initiative locale. Nous apportons un soutien prioritaire aux projets visant les enfants, l'éducation et à ceux destinés à aider les femmes dans la création de leurs propres affaires. Nous avons également manifesté notre engagement à l'aide à l'agriculture durable, parce que nous estimons que les pratiques agricoles propres constituent la meilleure défense contre les chutes catastrophiques des prix des récoltes. Dans ce but, l'Andorre s'est proposé de devenir membre de la FAO dès l'année prochaine.

Mesdames et messieurs,

L'insignifiant poste du budget que mon pays, l'Andorre, consacre à l'armement fut à l'origine d'une chanson que le compositeur interprète Pete Seeger nous consacra durant les années soixante. Ses refrains retentissent encore, tout comme ils nous fit chanter "we shall overcome" à toute une génération.

Bien des choses ont eu lieu depuis cette décennie prodigieuse. L'Andorre ne dépense même plus les quatre dollars et demi de son budget de défense de l'époque, puisque nous ne dépensons pas un centime.

Mais ailleurs dans le monde divers et contradictoire, tout ce qui est lancé en nouvelles et en vieilles armes suffirait pour faire vivre dignement l'Humanité toute entière.

Nous pourrions éliminer toutes les maladies.
L'éducation et la culture devraient être à la portée de tous. Ainsi il serait possible de mettre fin au fanatisme, et tous ces sorciers qui abusent de l'ignorance des peuples se retrouveraient sans victimes, sans coryphées.

Excellences, Mesdames et Messieurs

Faisons en sorte que ces longs débats et discours que nous nous applaudissons les uns les autres, en toute courtoisie diplomatique, souvent sans les écouter, servent à quelque chose de plus. Le risque est bien trop grand pour nous tous.


Je vous remercie de votre attention.