BELGIQUE

DISCOURS DU
S.E.M. LOUIS MICHEL
VICE PREMIER MINISTRE ET MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES DE LA BELGIQUE

57ème Assemblée Générale des Nations Unies

15 septembre 2002

Monsieur le Président,

Voici presqu'un demi-siècle, devant cette même Assemblée, Paul Henri Spaak, mon illustre prédécesseur, disait : « Nous avons peur », dans une formule qui a marqué les esprits. Le totalitarisme menaçait alors les libertés démocratiques. Nos sociétés ouvertes étaient en péril. Heureusement, le dialogue politique et diplomatique a pris progressivement le pas sur la logique de l'affrontement, des menaces mutuelles et de la force. L'avènement d'un monde plus libre, plus solidaire, plus respectueux de tous est à notre portée.

Au lendemain du 11 septembre 2001, tous les Démocrates du monde ont aussi eu un réflexe de peur, d'angoisse, de désarroi, d'horreur de violence barbare qui faisait voler en éclats leurs certitudes les plus fortes. Cette haine irrationnelle portait frontalement atteinte aux mêmes valeurs démocratiques, aux mêmes libertés fondamentales et à la même conception humaniste du monde.

Le monde libre a serré les coudes et les rangs dans un instinct de solidarité, de compassion et de survie traditionnelle. Une coalition contre ce crime immonde s'est constituée et s'est rangée fraternellement aux côtés du peuplé américain. Nous sentions que c'était notre devoir. Que sa souffrance était la nôtre et que sa cause était notre cause. Nous ne pouvions laisser le moindre doute aux ennemis de nos valeurs communes. Nous ne pouvions laisser le moindre espace à ceux qui veulent briser la promesse d'un monde de justice, de progrès et de paix.

Aujourd'hui, nous devons dépasser la peur.

L'analyse lucide et l'action rationnelle doivent inspirer notre riposte. L'adversaire est sans visage, c'est vrai. Il n'est pas pour autant partout. La vigilance à laquelle nous sommes désormais tenus ne doit pas nous obséder au point de ne plus regarder l'autre que d'un œil soupçonneux et méfiant. Nous sommes une immense et infinie majorité. Ils sont une infime minorité. Nous ne pouvons pas réduire le monde à un champ de force simpliste.

Il ne faut pas que nous-mêmes nous traçions une ligne de partage entre deux réalités manichéenne. Dresser un mur, ce serait tomber dans le piège de ceux qui portent la haine et l'intolérance en bandoulière. Au contraire, plus que jamais, il est temps de se convaincre que ce qui porte la richesse et l'espoir de cette terre, c'est précisément sa diversité et sa nature plurielle.

La lutte contre le terrorisme doit bien évidemment se fonder sur des moyens et des méthodes efficaces, qui n'autorisent aucun laxisme. Mais je le dis avec force : la lutte contre le terrorisme ne peut nous conduire à défigurer la qualité de vie démocratique et tolérante et le respect de l'Etat de droit. Notre conception d'organisation sociale, pluraliste, ouverte, sans à priori, doit rester notre ultime ambition. Il ne peut être question d'induire ou d'accepter les distorsions ou les dérives de notre conception exigeante des droits des hommes et des peuples. La lutte contre le terrorisme impose aussi et surtout de garantir, en toute circonstance, les droits fondamentaux et la protection juridique de chaque homme, de chaque femme. Ne 'pas respecter ce qui est le fondement même de notre engagement humaniste, ce serait donner une victoire décisive aux terroristes. Et ce serait une erreur aussi de croire que la lutte contre le terrorisme pourrait se limiter à° une option militaire. Cette dimension est sûrement nécessaire, j'en conviens, mais à elle seule, elle ne mettra pas un terme à ce phénomène hideux.

Rien ne justifie le terrorisme. Aucune cause ne justifie la terreur. Je rejette catégoriquement et définitivement l'idée qu'il faudrait voir l'origine de ce dévoiement de l'âme et de l'esprit dans les inégalités du monde. Ce serait accorder des circonstances atténuantes à cet acte abominable . L'origine de cet attentat n'est pas là. Mais nous savons aussi que la misère, l'injustice, la pauvreté, l'exclusion, l'humiliation constituent un terreau fertile dans lequel les extrémismes, les intolérances, les haines vont puiser, usant et abusant de la désespérance et du malheur des laissés pour compte d'une société trop vite satisfaite de sa bonne conscience. Pourquoi le nier ?

Comme le disait le Premier Ministre Guy Verhofstadt : « En moins d'un an, nous nous sommes penchés pas moins de quatre fois sur les défis du monde: à Doha, à Monterrey, à Rome et à Johannesbourg. L'éradication de la pauvreté, la réduction de la dette, la libéralisation du commerce international comme facteur de développement sont les questions qui furent débattues de manière soutenue. Nous faisons tous le même constat. Nous décelons tous les mêmes causes. Et j'en suis sûr, nous connaissons tous les réponses et les solutions à mettre en ouvre.

Dans cette convergence, il devrait être facile de mettre un terme aux inégalités. Il devrait être facile d'harmoniser un monde qui depuis trop longtemps est coupé en deux ; un monde qui génère tensions et frustrations. Il ne peut pas, il ne peut plus s'agir d'un partage superficiel, à la marge de notre opulence. Il nous faut une conception plus élevée de la coopération. Une coopération qui puiserait son inspiration, non pas dans le paternalisme mais dans le partenariat et le respect mutuel ».

Mettre un terme aux inégalités, forger une solidarité nouvelle, c'est assurer aux générations futures un développement durable. A chacun de ces sommets, le monde riche a soulevé les espoirs des millions de pauvres qui cherchent une petite lueur dans leur nuit d'encre. Mais à chaque fois, à l'issue de ces grandes réunions, quand les discours se taisent, quand les avocats de la misère arrêtent leur plaidoyer incantatoire, le malheur reste sur sa faim. Et on a l'impression de n'avoir offert à ceux qui attendent tellement de nous, que le visage banal de nos postures creuses, de nos incantations péremptoires.

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,

Les objectifs du Millénaire doivent devenir la référence de toutes les actions des Nations Unies, mais aussi de chacun de ses Etats membres. Elles doivent se traduire tant en termes d'outils financiers que d'accès aux marchés et aux technologies. Je rappelle que mon pays s'est engagé à Monterrey à atteindre l'objectif des 0,7 % de son produit national brut consacré à la coopération au développement d'ici 2010 et que nous avons proposé de nouvelles initiatives en ce qui concerne le fardeau de la dette.

Monsieur le Président,

J'attache aussi une importance essentielle au suivi de la Conférence de Durban et à la mise en oeuvre de son programme d'action. La lutte contre les dérives racistes, les tendances à la discrimination et à l'intolérance est un combat essentiel pour des milliers d'êtres humains, victimes trop souvent silencieuses d'atteintes à leur dignité. Je tiens aussi à souligner la portée historique du compromis acquis sur les causes et les origines du racisme. Ce point est fondateur d'un nouveau partenariat. Il m'a en effet toujours paru que sans la reconnaissance des injustices du passé, il ne pouvait y avoir de base prometteuse pour le futur.

Un autre défi que nous voulons relever et réussir, c'est l'égalité absolue entre les hommes et les femmes. Cette exigence est un critère définitivement incontournable d'une civilisation de progrès et d'une conception achevée de la démocratie et de l'humanisme.

Le Secrétaire général et son équipe, dont Louise Fréchette, peuvent compter sur l'engagement et le soutien de mon pays pour l'ensemble des réformes. Il faut revitaliser l'Assemblée générale, poursuivre le renforcement du Conseil économique et social, élargir le Conseil de Sécurité, et mettre en ouvre les réformes organisationnelles. Je sais que les Nations Unies vont relever ces défis. Le discours remarquable et d'une exceptionnelle hauteur de vue de notre Secrétaire général Kofi Annan a rappelé avec pertinence, talent et détermination le sens de ce qui est finalement le gouvernement et le parlement du monde. Il était utile qu'il le fasse avec la conviction et l'intelligence qui est la sienne. Nous sommes avec lui pour refaçonner notre Organisation et la mettre à la hauteur de toutes nos ambitions.

Monsieur le Président,

Mon pays a été à l'avant-garde de la lutte contre l'impunité pour les crimes les plus graves et pour le développement rapide d'un véritable droit pénal international. C'est pourquoi, nous continuons à appeler à l'universalité du Statut de Rome, et que nous sommes déterminés à en préserver l'intégrité. Certes, nous savons que quand le droit croise la politique, la discussion n'est jamais facile. Mais nous sommes convaincus que rien n'arrêtera à long terme le droit de nos sociétés à demander des comptes lorsque sont commis les crimes les plus graves contre nos valeurs fondamentales. Les Etats gardent la responsabilité première d'engager des poursuites pour les crimes visés par le Statut de la Cour. Nous exhortons la communauté mondiale, y compris les plus grands d'entre nous, de donner à cette Cour la crédibilité et les moyens que justifie cette si noble mission.

Monsieur le Président,

Mon pays a fait de la prévention des conflits une des priorités de sa politique étrangère. Il s'est engagé dans des actions concrètes de diplomatie préventive, en particulier en Afrique centrale où la Belgique mène une politique volontariste de soutien aux processus de paix de Lusaka et d'Arusha. La Belgique défend activement cette approche au sein de l'Union européenne. La Belgique entend faire de ce concept de prévention de conflit, de gestion de crise, d'accompagnement post-conflit

une part essentielle de la doctrine internationale. Nous avons besoin de mécanismes permanents de surveillance et d'alerte précoce qui permettent de déceler à temps les crises et qui épargneraient dans la plupart des cas de nombreuses vies humaines.

C'est pour les mêmes raisons que nous devons engager une véritable stratégie contre le financement illégal des conflits et le commerce illicite des ressources naturelles qui y est lié. L'exploitation sordide des ressources naturelles comme par exemple les diamants de la guerre contribue trop souvent à financer des drames régionaux, comme des guerres civiles ou inter-ethniques, ou à les prolonger.

Face à ce défi un système de contrôle international crédible fondé sur des critères communs, doit être mis en place. Des améliorations substantielles devraient être apportées au fonctionnement des différents comités de sanctions et une instance de contrôle unique avec un mandat de plus longue durée devrait être instaurée.

Monsieur le Président,

Le continent africain est au centre de nos préoccupations mais aussi de nos espoirs. La création de l'Union africaine lors du Sommet de Durban ainsi que la dynamique du NEPAD sont des avancées diplomatiques importantes. Le renforcement de la démocratie qui a résulté de plusieurs processus éléctoraux récents en Afrique est aussi un signe encourageant.

Les perspectives pour le continent africain passent aussi par l'intégration régionale des pays d'Afrique, que nous encourageons. Nous observons des signes positifs bien qu'encore fragiles de réconciliation dans des pays dévastés depuis trop longtemps par des conflits, qu'il s'agisse de l'Afrique des Grands Lacs, de l'Angola ou du Soudan.

Les efforts se sont multipliés cette année pour trouver une solution au conflit en République Démocratique du Congo. Sur le plan interne, le dialogue inter-congolais a abouti d'abord à un accord partiel. Cet accord a créé une dynamique inclusive, grâce aux efforts sud-africains que je souhaite saluer ici. L'accord de Pretoria aborde les causes principales du conflit en RDC : son intégrité territoriale et les préoccupations du Rwanda en matière de sécurité. La Mission des Nations Unies en RDC est appelée à jouer davantage encore un rôle crucial dans l'accompagnement de cet accord par une opération de désarmement et de démobilisation des groupes armés. J'exhorte le Rwanda et la RDC à saisir a
cette opportunité pour rendre à leurs populations la stabiliié et la prospérité qu'elles méritent.

J'aimerais aussi saluer les efforts de l'Envoyé spécial du Secrétaire général des Nations Unies, M. Niasse, pour ramener toutes les parties congolaises à la table de négociations et arriver ainsi à un accord inclusif et démocratique. Par mes multiples rencontres dans la région j'ai appris à bien connaître les acteurs politiques congolais. Je sais qu'ils ont la volonté, l'autorité, la compétence et le sens de l'histoire pour donner corps aux rêves de paix et de prospérité d'une population qui souffre depuis trop longtemps.

Je me dois également de saluer les efforts de la médiation sudafricaine et tanzanienne dans la négociation d'un cessez-le-feu au Burundi. Malgré les avancées obtenues, la recrudescence des affrontements violents risque de miner les acquis du processus d'Arusha qui ont été remarquablement facilités sous l'autorité morale et politique du Président Nelson Mandela.

Je voudrais aussi lancer un appel pressant à l'ensemble des partenaires internationaux pour que nous examinions vraiment les initiatives concrètes à prendre afin d'aider le Burundi à sortir de sa crise politique, économique et sociale. Les difficultés dans ces domaines sont, j'en suis convaincu, des facteurs qui compliquent la solution politique.

Monsieur le Président,

Dans une région toujours à la recherche d'une stabilité structurelle, nul ne peut faire l'impasse sur le conflit israélo-palestinien. La violence quotidienne entraînant la souffrance de pères, de mères et d'enfants, nous oblige à réaffirmer les seuls principes garants d'une solution durable et équitable: terre contre paix, état palestinien viable, sécurité pour Israël. Plutôt que de vouloir dépasser les acquis d'Oslo et de Madrid, il convient de les confirmer en les concrétisant. C'est ce que l'Union européenne s'est efforcée à faire par l'établissement d'une feuille de route qui précise les engagements à réaliser par les parties concernées, dans la perspective d'une solution globale et permanente.

Enfin, Monsieur le Président, j'en termine par une question qui représente, à mes yeux, un enjeu de dimension planétaire. La question iraquienne nous interpelle tous, parce qu'elle en appelle à un questionnement sur plusieurs plans, comme, par exemple, la nécessité de conjurer le risque d'une menace majeure pour la communauté
internationale, comme, par exemple, pour garantir la crédibilité de notre Organisation, comme, par exemple, le fait de savoir si oui ou non un pays possède des armes de destruction massive capables d'infliger la mort à des millions de personnes, comme, par exemple, le fait de savoir si un pays bafoue ses obligations à l'égard des Nations Unies ou encore sur le fait de savoir si une intervention militaire unilatérale à titre préventif pose ou non un problème de doctrine en droit international.

Toutes ces questions sont au cœur de notre Organisation, sont au coeur de ses missions, sont au cœur de ses responsabilités politiques, individuelles et collectives. Je veux rappeler avec force que chacun d'entre nous, en signant la Charte des Nations Unies, y a solennellement souscrit et adhéré. C'est pourquoi, au nom de mon pays, je désire adresser un appel dépourvu d'ambiguité à l'Iraq. Je demande formellement et solennellement aux Autorités iraquiennes qu'elles exécutent, séance tenante et sans conditions, les résolutions des Nations Unies. Seule cette attitude de respect de notre Organisation, de ce que nous sommes collectivement, peut éviter le recours à la force. J'en appelle aux Autorités iraquiennes pour qu'elles saisissent cette ultime opportunité.

Monsieur le Président,

Tous ces défis appellent une action concertée, solidaire et multilatérale. Le monde est devenu un village, mais les esprits restent encore trop souvent hermétiques à l'écoute attentive de l'autre, trop souvent traité en étranger, voire en intrus. Il me paraît essentiel que les cultures humaines, amenées à se côtoyer chaque jour davantage, apprennent à mieux se connaître pour pouvoir vivre en harmonie. Les regards divers que les citoyens de notre planète jettent sur la vie, sur la religion, sur l'organisation sociale, sur le passé et sur l'avenir sont traversés par une aspiration fondamentale qui est le commun dénominateur à tous, à savoir le rêve de justice, de bonheur, d'égalité. Le rêve est souvent le même, seuls les chemins pour lui donner corps varient. Le respect de l'autre dans sa différence peut tracér la voie vers un monde plus harmonieux. C'est notre mission, à nous responsables politiques, d'y travailler sans relâche pour élargir le fonds commun des valeurs que nous avons en partage.

Je vous remercie, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs.