INTERVENTION DE
SON EXCELLENCE MONSIEUR
JOSEPH PHILIPPE ANTONIO
MINISTRE DES AFFAIRES
ETRANGERES
DE LA RÉPUBLIQUE
D'HAITI
LVIème SESSION
ORDINAIRE
DE L'ASSEMBLÉE
GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES
New York, le 16 novembre 2001
Monsieur le Président,
Au nom du Président de la République d'Haïti, Son Excellence Monsieur Jean-Bertrand Aristide, je voudrais tout d'abord vous féliciter pour votre élection à la présidence de la 56ème Session de l'Assemblée générale. Soyez assuré du plein soutien de la délégation d'Haïti dans l'exercice de votre fonction.
Je voudrais aussi rendre hommage à votre prédécesseur S.E.M. Harri Holkeri pour l'efficacité et le talent dont il a fait montre dans la conduite des travaux de l'Assemblée du Millénaire.
Permettez-moi également de présenter au Secrétaire Général Monsieur Kofi Annan et à l'Organisation, mes plus vives félicitations pour l'obtention du Prix Nobel de la Paix. Ce prix, au-delà de toute considération, est une reconnaissance des efforts déployés par le Secrétaire général et l'Organisation en faveur de la paix et du développement.
Je profite de cette occasion pour
adresser, suite au tragique accident d'avion survenu à Queens, New
York, le 12 novembre dernier, nos sincères condoléances aux
familles éplorées, plus particulièrement au gouvernement
et au peuple frère de la République dominicaine.
Monsieur le Président,
Le Gouvernement de la République
d'Haïti condamne fermement les actes odieux survenus le 11 septembre
2001, à Manhattan, New York, à Washington D.C. et en Pennsylvanie
occasionnant des milliers de victimes. Le gouvernement porte, par la même
occasion, sa solidarité au peuple et au gouvernement américains
et son soutien à la lutte contre le terrorisme sous toutes ses formes
et dans toutes ses manifestations quels qu'en soient le théâtre,
les auteurs, les victimes et les commanditaires. Ces actes inhumains et
aveugles, sources de douleur et de désespoir attaquent les bases
même du système démocratique, portant atteinte à
la paix et à la sécurité internationales, à
la liberté, aux droits de la personne, à la recherche du
bien-être et de la prospérité.
Monsieur le Président,
La Communauté internationale dispose déjà de dix conventions complétées par deux protocoles traitant du terrorisme sous ses divers aspects, outre deux initiatives additionnelles en cours d'examen y afférant. Ces instruments juridiques internationaux ont été récemment renforcés par la résolution 1373 du Conseil de sécurité qui définit les grandes lignes de notre lutte commune. Il est de l'intérêt de tous de se conformer à la légalité internationale, et dans cet ordre d'idées, le gouvernement haïtien s'engage, en dépit de ses faibles ressources, à prendre les mesures nécessaires en vue de la ratification et de la mise en application des instruments juridiques pertinents.
Ces instruments juridiques sont certes
indispensables à notre lutte commune contre ce fléau, cependant,
il est aussi de toute importance qu'une réflexion soit engagée
sur les facteurs sociaux, économiques, politiques et autres qui
pourraient engendrer le terrorisme. La Communauté internationale
doit, sous l'égide des Nations Unies et sous le signe de la tolérance
et de la solidarité, construire une grande coalition contre la pauvreté,
l'ignorance, la misère, la faim, l'exclusion sociale, la marginalisation,
tâche urgente maintenant plus que jamais.
Monsieur le Président,
Le moment est venu pour les membres
de la communauté internationale de parvenir à un consensus
concernant la réforme du Conseil de Sécurité. Il est
nécessaire d'augmenter le nombre de ses Membres permanents en fonction
d'une meilleure répartition géographique. Il faudrait procéder
à une réévaluation profonde du droit de véto,
dont la forme actuelle ne concorde guère avec l'état des
relations internationales et l'exigence de l'impératif démocratique.
Il faut aussi institutionnaliser la transparence au niveau des méthodes
de travail et des procédés du Conseil de Sécurité.
La réalisation de ces objectifs rendra notre Organisation plus efficace,
tout en renforçant sa légitimité et son autorité.
Monsieur le Président,
La République d'Haïti
invite les Etats et peuples en conflits, notamment au Moyen Orient, à
embrasser le dialogue afin de trouver une paix durable.
Monsieur le Président,
Aujourd'hui, dans un monde mené par les marchés financiers, les échanges commerciaux et les investissements d'une ampleur sans précédent, nombre de pays en développement sont tenus en marge de l'évolution économique mondiale. Inverser leur dérive vers la marginalisation et la pauvreté extrême appelle un remaniement de la coopération au développement. Nous devons en partenariat avec la communauté internationale et tous les acteurs concernés, revoir nos stratégies et proposer une approche commune qui s'attaquera au problème de l'inégalité du nouveau millénaire.
Ainsi, Monsieur le Président, l'opportunité s'offre à nous de mettre en application tous les engagements pris par nos Chefs d'Etat et de gouvernement lors du Sommet du Millénaire. Plus de 147 Chefs d'Etat et de gouvernement s'étaient engagés solennellement à délivrer l'humanité de la misère et à faire du droit au développement une réalité pour tous. Il nous incombe de traduire ces engagements en actes concrets.
Les bienfaits du commerce pour le développement sont reconnus, mais là encore, il faudrait peut-être se demander si dans ce contexte de mondialisation les Pays Moins Avancés, ne se trouvent pas dans un dilemme. Comment parler sérieusement de libre échange à des pays qui, pour la plupart, ont peu à échanger? Aussi s'avère-t-il nécessaire d'augmenter leur capacité de production et d'exportation.
Il est fondamental que ces pays puissent accéder aux marchés où ils pourraient écouler leurs produits. Il y a bien évidemment l'initiative "Tout sauf les armes" de la Commission européenne dont nous nous félicitons, et nous invitons nos autres partenaires des pays développés à faire de même.
Le gouvernement haïtien se félicite de la tenue de la Conférence sur le financement du développement qui aura lieu durant le premier trimestre 2002 à Monterrey, au Mexique. Cette conférence nous donne l'opportunité de formuler des recommandations relatives à la réorientation de la coopération au développement, notamment des mesures concrètes en matière de la gestion de la dette, de la coopération technique, du commerce, des investissements et du système financier international.
Le gouvernement haïtien se félicite
également de l'organisation du Sommet mondial sur le développement
durable qui se tiendra en septembre de l'année prochaine, à
Johannesburg, et invite ses partenaires à accepter cette conception
du partenariat où les interlocuteurs dialoguent d'égal à
égal dans le cadre d'un respect mutuel.
Monsieur le Président,
Mon Gouvernement réaffirme sa foi dans le devenir démocratique d'Haïti et fera, par conviction, tout ce qui est nécessaire pour l'affermissement et le renforcement de l'état de droit. La démocratie restera donc un des piliers de la politique du gouvernement haïtien.
Haïti connaît une situation de crise résultant d'une controverse électorale. En effet, suite aux élections du 21 mai 2000 pour le renouvellement de la Chambre des Députés et de plus de 2/3 du Sénat, ainsi que de la totalité des collectivités territoriales, la Mission d'observation électorale de l'Organisation des États Américains (MOE/OEA), tout en reconnaissant dans un rapport que les élections s'étaient déroulées "de façon acceptable et crédible", avait relevé certaines irrégularités dans le mode de calcul de la majorité absolue requise pour l'élection au Sénat de 8 (huit) candidats. Il s'en est suivi une suspension de l'aide international dont la reprise reste toujours conditionnée à la solution de la crise post-électorale.
Dès son élection, et avant même son investiture, le Président Aristide s'est engagé dans la voie du dialogue, convaincu que l'opposition est nécessaire au fonctionnement normal des institutions. C'est dans ce contexte que doit être appréciée la lettre en 8 (huit) points, de décembre 2000, du Président Aristide adressée au Président américain d'alors, S.E.M. William Jefferson Clinton. En fait, dans sa quête d'une solution négociée, le Président Aristide a encouragé l'initiative de secteurs de la société civile.
De plus, lors de la participation de la délégation haïtienne au Sommet de Québec, où les Etats membres de l'Organisation des Etats Américains avaient pris note des efforts réalisés par le Gouvernement, le Chef de l'Etat a réitéré une nouvelle fois sa détermination pour une solution négociée à la crise électorale.
Une fois de plus, à Costa Rica, lors de la XXXIème session de l'Assemblée générale de l'OEA, en juin 2001, le Président Aristide, dans une lettre adressée au Président de l'Assemblée, avait fait des propositions, lesquelles ont été retenues dans une résolution adoptée par les 34 Etats Membres de l'Organisation comme étant des recommandations de sortie de crise. Depuis, Monsieur le Président, le Chef de l'Etat et le Gouvernement haïtiens ont tout mis en oeuvre pour l'application effective de ces recommandations.
Le Gouvernement et l'Organisation
Politique Fanmi Lavalas, sous la médiation du Secrétariat
général de l'OEA, ont entamé avec la Convergence,
regroupement politique de l'opposition, des négociations en vue
d'aboutir à un accord dans le cadre des engagements de Costa Rica.
Lors de ces négociations, différentes propositions ont été émises, notammentMonsieur le Président,
1. la démission des 7 (sept) Sénateurs concernés par le rapport de l'OEA ; 2. la réduction de 2 (deux) ans des mandats de tous les Députés ;
3. la réduction des mandats des Sénateurs élus le 21 mai 2000; 4. la composition du futur Conseil Electoral Provisoire ( CEP ) ; 5. l'organisation en novembre 2002 d'élections anticipées pour l'ensemble de ces Parlementaires concernés au titre des points (1, 2, 3, 4) préalablement cités;
6. l'organisation d'élections au cours du premier semestre de 2003, pour les collectivités territoriales dont les mandats arriveront à échéance en novembre 2003.
Le Président Aristide, le Gouvernement et l'Organisation Politique Fanmi Lavalas ont fait preuve de beaucoup de flexibilité dans le cadre des négociations, malheureusement la Convergence reste intransigeante et conteste la formulation des 2 derniers points relatifs. à la tenue des élections. La Convergence se fige dans sa position qualifiée d'option zéro qui consiste en l'annulation pure et simple des élections du 21 mai 2000. Ainsi donc, Monsieur le Président, l'impasse demeure. L'aide international est toujours suspendue.
Entre temps, la pauvreté sévit, la pandémie du Sida avec ses 260.000 victimes fait perdre à notre population des années d'espérance de vie laborieusement conquise. La mortalité materno-infantile est en nette progression. Le chiffre de 500 femmes mortes sur chaque 100.000 accouchements et le taux de mortalité infantile s'élevant de 61 enfants sur chaque 1000, restent très alarmants.
Quand des enfants, des femmes, des hommes, toute une population se meurt par faute de moyens, de ressources financières, serait-il exagérer de parler, Monsieur le Président, d'une autre forme de terrorisme économique qui n'ose se dévoiler?
Peut-on vraiment justifier le lien
entre une méthode de calcul électoral contestée et
le gel du financement accordé sous forme de prêts sur lesquels
mon pays continue malgré tout de verser des intérêts,
surtout lorsque l'on sait que les élections législatives
et locales du 21 mai 2000 ont été organisées pour
7500 postes vacants, et que 29000 candidats ont pris part à ces
consultations et la participation au vote - 60% du corps électoral
- a été la plus élevée depuis 1990 ?
Monsieur le Président,
La République d'Haïti reste et demeure confiante dans sa destinée. Elle interpelle la conscience des membres de la Communauté internationale pour que cette dernière comprenne que la survie d'un peuple ne peut être liée seulement à des manoeuvres politiques. Le Gouvernement haïtien s'engage dans un processus de renforcement institutionnel et reste ouvert au dialogue et à toutes propositions, pourvu qu'elles ne portent pas atteinte à la dignité du peuple haïtien. Dans cette perspective, nous accueillons avec satisfaction la lettre du Black Caucus du Congrès américain, en date du 9 novembre 2001, adressée à l'actuel Président des Etats-Unis d'Amérique, Son Excellence Monsieur George W. Bush, dénonçant la « politique inflexible » vis à vis d'Haïti, conditionnant la coopération économique à un déblocage du processus politique.
Le Gouvernement est prêt à faire tout ce qui est en son pouvoir pour résoudre la crise post électorale et remettre le pays sur les rails du développement, mais cela ne peut se faire sans la coopération de la Communauté internationale. A cet effet, il invite cette Communauté à se joindre à lui dans ses luttes quotidiennes pour la survie, la réconciliation et la paix.
Je vous remercie.